Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

« Vous devriez arrêter de manifester monsieur, ça ne vous réussit pas »

Lundi 29 avril, cinq personnes ont été jugées après avoir été interpellées en marge de l’acte 24 des Gilets jaunes. Récit d’audiences absurdes, marquées par les premières applications de la loi anti-casseurs et des accusations souvent floues.

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La loi anti-casseurs a frappé… à côté. Lundi 29 avril, cinq personnes sont passées en comparution immédiate devant le tribunal correctionnel de Strasbourg. Elles ont passé 48 heures en garde à vue avant d’être jugées. Une mère de famille célibataire, un boulanger, un éboueur, un jeune sans emploi et une figure locale du mouvement des Gilets jaunes se sont succédé à la barre. Les profils et les faits décrits pendant les audiences peignent des portraits très éloignés des « blacks blocks ».

« Avez-vous joué avec un caillou ? »

Kevin (tous les prénoms ont été modifiés) assistait à sa première manifestation le 27 avril. Ce jeune de 19 ans, habitant du quartier du port-du-Rhin, est accusé de « participation sans arme à un attroupement après sommation de se disperser ». Les caméras l’ont aussi filmé en train de passer un objet indéterminé d’une main à l’autre.

« Avez-vous joué avec un caillou ? », demande le juge. « Non, c’était mes clés, je les avais perdues, je jouais avec », répond le jeune en se grattant le cou. Un problème technique empêche de diffuser les images de vidéosurveillance pendant l’audience. Peu importe. Kevin n’a pas été vu ou filmé en train de jeter ce « caillou », ou ses clés…

Mais cette absence de preuve semble suffire au procureur : « L’attroupement armé paraît tout à fait établi », affirme-t-il. Il requiert deux mois de prison ferme avec mandat de dépôt : « le sursis simple n’est pas possible (au vu des trois condamnations du jeune pour dégradations de biens d’autrui il y a plus de quatre ans, ndlr) » L’avocat de Kevin, Me Lefebvre, s’insurge : « Avec la loi anti-casseurs, on a basculé du droit commun à un droit politique. » Il obtient finalement la relaxe du jeune.

« Les manif’, j’arrête »

Le 27 avril, Francis était passablement ivre. Place de Bordeaux, il lance un « objet en plastique » sur les forces de l’ordre. Un officier de police reçoit le projectile à l’arrière de son casque. Il ne voit pas le lanceur mais un collègue désigne l’éboueur.

Son avocat, Mohamed Aachour, démonte l’accusation :

« Vous n’avez aucun élément pour prouver que mon client a bien lancé le projectile qui a atteint l’officier. Dans sa première déposition, le seul témoin dit « Il me semble que » puis il passe à l’affirmative. Pourquoi n’a-t-il fait aucune description vestimentaire ? Pourquoi n’a-t-on aucune vidéo ? »

Pendant l’audience, Francis tente de faire bonne figure : « Il n’y a plus de Gilets jaunes pour moi. Les manifs, j’arrête. J’ai eu mon compte avec les 48 heures (de garde à vue, ndlr) ». Le procureur demande 8 mois d’emprisonnement sans mandat de dépôt, en rappelant que Francis « a déjà été condamné pour des faits des violences ». « C’était il y a un quatorze ans ! », réplique l’avocat, avant de dénoncer la réponse sécuritaire du gouvernement :

« Le but du Parquet, c’est de fatiguer le mouvement. Je vois ici un défilé d’individus lambdas qui deviennent délinquants parce qu’ils ont manifesté. »

Francis sera condamné à six mois d’emprisonnement ferme, une peine aménageable. Il devra également verser 600 euros à la partie civile pour préjudice moral et pour les frais d’avocats.

Une mère célibataire à la barre

À la barre, Clara a la gorge nouée. Cette mère célibataire, avec deux enfants à charge, ne parvient pas à s’exprimer pour se défendre. Elle est accusée de « participation à un attroupement après sommations », « violence avec lancée de projectile contre un agent dépositaire de l’autorité publique sans Interruption temporaire du travail (ITT) » et « outrage à agent dépositaire de l’autorité publique ».

Cette bénévole dans une association d’aide aux SDF s’effondre lorsqu’elle entend le président du tribunal énoncer son délibéré : 2 mois d’emprisonnement sans mandat de dépôt. « Vous serez convoquée par un juge d’application des peines pour procéder à un aménagement (Travail d’intérêt général ou bracelet électronique, ndlr). », rassure le président du tribunal.

Opinel et feu de détresse

Le plus penaud des accusés, c’est le boulanger. Rémi n’a même pas manifesté. Il a été arrêté avant même de rejoindre le cortège. Le trentenaire célibataire a eu le malheur de laisser son Opinel dans son sac. Il a donc été placé en garde à vue pendant 48 heures pour « participation à une manifestation en étant porteur d’une arme ». La possession d’un feu de détresse l’accable selon la procureure, qui demande trois mois d’emprisonnement.

Dans ses écrits, Me Mohamed Aachour dénonçait une « fouille non légale ». « La loi (anti-casseurs, ndlr) autorise la fouille dans un périmètre délimité et ses abords immédiats. Moi je ne sais pas ce que sont les abords immédiats. Vous pourriez faire jurisprudence en définissant cette notion floue. » Le président du tribunal écarte ces propos et suit la demande du substitut du procureur : Rémi est condamné à trois mois d’emprisonnement ferme.

« Ils font ça pour dissuader de manifester »

Sandra, 51, attend depuis des heures dans le palais de justice. « Moi je viens pour Yannick », explique-t-elle, inquiète. Cette figure locale des Gilets jaunes a déjà été condamnée à onze reprises au cours des dernières années. Interpellé le 20 novembre, il a écopé de quatre mois de prison pour avoir bloqué une autoroute. Le substitut du procureur décrit « un meneur ou un organisateur avec un risque de renouvellement (des délits, ndlr) fort ». Il demande un mandat de dépôt pour une détention provisoire dans l’attente de son procès, repoussé au 29 mai.

Autre absurdité issue de la loi anti-casseur : il est reproché à Yannick Krommenacker d’avoir dissimulé son visage pendant la manifestation. « Je suis asthmatique, je me suis protégé, mon dossier médical le prouvera », assure-t-il. Cet adepte des Live Facebook ne souhaite pas se cacher. Lors de l’acte 24, Rue89 Strasbourg l’a croisé à de nombreuses reprises en train de filmer et de diffuser sur les réseaux sociaux. Il porte même son nom et prénom sur son pull.

« Vous devriez arrêter »

Yannick Krommenacker sort finalement libre de la salle d’audience 101 du TGI. Mais il est placé sous contrôle judiciaire, interdit de territoire sur toute l’Eurométropole et obligé de pointer deux fois par semaine au commissariat de Haguenau. « Vous devriez arrêter de manifester, monsieur. Ça ne vous réussit pas. », conclut le président du tribunal. Le militant exprime son incompréhension :

« On dit que je suis un des leaders, alors que moi j’ai pas ce statut là. Je suis juste un relayeur d’informations. Je ne fais pas appel à la haine ou à la violence. Moi ce qui me fait chier, c’est pas d’avoir été plaqué au sol et d’avoir eu des coups encore samedi soir. Pour moi le problème, c’est le fait qu’il y a 500 000 personnes qui ont vu ces images-là (Yannick Krommenacker était en direct sur Facebook au moment de son interpellation, ndlr) et qu’il y en a qui attisent la haine maintenant. »


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