Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Présidentielle : à Strasbourg, un centre fort et un vote Mélenchon qui intrigue

La gauche radicale a souvent été réduite à la portion congrue en Alsace. À Strasbourg, on s’interroge sur le détail du scrutin de dimanche et l’apparition soudaine d’un vote jusque-là anecdotique. Il faut regarder du côté des abstentionnistes, des quartiers périphériques, mais aussi de l’écartèlement du PS.

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Il y a eu un tournant électoral dans les villes de France ce dimanche : un vote urbain, centriste pour une part et marqué à gauche de l’autre, qui distancie la droite et le FN.

Des scores étonnants

À Strasbourg, un bulletin pour Jean-Luc Mélenchon a été déposé 25 692 fois, un score inouï à gauche de la gauche. À Mulhouse, Jean-Luc Mélenchon est au coude-à-coude avec Emmanuel Macron, François Fillon et Marine Le Pen sont relégués 3 points derrière. Même dans des villes marquées à droite comme Colmar ou Sélestat, Jean-Luc Mélenchon dépasse les 15% et le candidat En Marche l’emporte.

Schiltigheim et Bischheim, qui ont une histoire de fort vote communiste et une configuration plus urbaine que d’autres villes de l’Eurométropole, ont aussi vu Jean-Luc Mélenchon l’emporter. Seule Haguenau a échappé à ce phénomène, en plaçant en tête le Front national et Les Républicains.

Mélenchon remporte quelques grandes villes

À Montpellier, ville parfois comparée à Strasbourg, le candidat de la France insoumise l’a largement emporté (31,46%), tout comme à Lille avec près de 30% des voix dans la ville de Martine Aubry (PS).

Et à Strasbourg, Jean-Luc Mélenchon a recueilli 24% de voix, à peine 3 points de moins que le vainqueur Emmanuel Macron (27%) alors que le Front de gauche n’avait pas réuni 5% des voix aux élections municipales en 2014, ni pesé dans les autres élections intermédiaires.

Les 52 bureaux de vote (sur 143, voire notre carte en fin d’article) sont surtout remportés dans des quartiers populaires au sud, à l’est et à l’ouest ou à la Cité de l’Ill et quelques uns plus favorisés (gare ou Krutenau).

Ces résultats qui intriguent et certains élus ont commandé des études pour mieux cerner cet électorat.



La gauche écartelée « entre deux votes utiles »

Habitué des cartes électorales, Mathieu Cahn, ancien premier secrétaire fédéral du PS du Bas-Rhin et adjoint au maire de Strasbourg, estime que la gauche a été écartelée entre deux votes « utiles » :

« Une partie, et c’est compréhensible, voulait éviter un duel Le Pen – Fillon et une autre a repéré une masse à gauche où dans les dernières semaines Mélenchon est apparu comme celui qui avait le plus de chances d’aller au second tour. Dans les deux cas, il y a un vote d’adhésion, mais il n’est pas sûr que ce soit le seul ressort. Il y a des votes d’adhésion, mais aussi dits « utiles » et de « contestation ».

Si on se penche sur les cartes, Jean-Luc Mélenchon a fait voter des gens dans les quartiers qui ne se retrouvaient plus dans l’offre actuelle. Et Emmanuel Macron fait 6 points de moins que François Hollande en 2012. Mais est-ce que cela suffira pour faire une majorité ? Je continue de voir des gens qui n’ont pas voté PS et qui disent qu’ils voteront pour Eric Elkouby, Philippe Bies ou Serge Oehler (les trois candidats PS), plus que « PS » d’ailleurs, aux prochaines législatives. »

Adjoint en charge des élections, Eric Schultz (ex-EELV) résume aussi le glissement de cet électorat :

« Ce sont des quartiers qui avaient voté pour François Hollande en 2012 et qui n’ont pas voté entre temps. »

Plus d’écarts chez Jean-Luc Mélenchon

Le score de Jean-Luc Mélenchon est très contrasté d’un secteur à l’autre. Il augmente jusqu’à 47,1% à l’école du Stoskopf dans le quartier des Poteries à Hautepierre, mais descend jusqu’à 5,5%, au pavillon Joséphine à l’Orangerie. Le vote Emmanuel Macron en revanche ne descend jamais en dessous de 15%, mais son maximum est moins élevé, à 37%.

À ce petit jeu-là, François Fillon est le maître du grand écart : il réunit plus de 55% des voix au pavillon Joséphine et descend à 4,8% à l’école Guynemeyer, au sud de Strasbourg.

Les forts scores d’Emmanuel Macron se retrouvent dans les quartiers du conseil XV et au nord, sur une carte que l’on peut plus ou moins superposer avec celle de François Fillon. Même si l’échantillon est plus faible, le vote Benoît Hamon est sur-représenté dans les quartiers gare ou Neudorf.

Paul Meyer, soutien de la première heure à Benoît Hamon, dégage néanmoins un bloc à gauche (Hamon + Mélenchon) à près de 35%, opposé au bloc centriste :

« On remarque une grande porosité des électorats EELV-PS-France insoumise, dans une gauche volontariste, qui ne renonce pas. Jean-Luc Mélenchon a réussi ce qu’on aurait rêvé de faire, mettre la gauche en tête dans des quartiers populaires comme le Port-du-Rhin. Ce n’est pas une honte de capter l’indignation et la colère. La social-écologie a dégagé un socle incontournable à Strasbourg et cela doit inspirer à différents niveaux de responsabilité, sans exclure. »

Des électeurs « pris » au FN ?

Kevin Loquais, membre actif de la France insoumise à Strasbourg, ne se dit pas surpris du résultat et estime que son parti a su capter une parte de l’électorat FN qui ne souscrivait pas à toutes les thèses de Marine Le Pen :

« On a surtout remarqué que des gens étaient désespérés, mais avaient des problématiques très différentes d’un secteur à l’autre. Sur cette campagne, l’accueil a été meilleur même dans les quartiers plus favorisés où on allait moins. Parmi nos électeurs, on a bien eu des personnes qui étaient déçues et votaient FN par dépit et qu’on a su convaincre qu’il y avait d’autres voies que celle que propose Marine Le Pen. Maintenant, après une campagne débutée il y a un an, il va falloir continuer à maintenir ce lien. »

Olivier Bitz, adjoint au maire de Strasbourg et qui rejoint « En Marche », calcule que « 75% des sympathisants du PS et d’EELV n’ont pas voté pour le candidat du parti » :

« C’est la recomposition que j’attendais depuis des années. je suis très content que Fabienne Keller comme Roland Ries appellent à voter Emmanuel Macron. Déjà, le second tour n’est pas gagné d’avance et le quinquennat ne sera pas le même selon le score du second tour. Les partisans de Jean-Luc Mélenchon peuvent se retrouver chez Emmanuel Macron, dans le renouvellement et sur les valeurs de la République qu’il porte. Mais on ne peut plus analyser ces résultats avec des lunettes qui datent des années 1980. »

La droite réduite à son noyau dur

Autre constat clair, la droite a « sous-performé » reconnaît le conseiller municipal Jean-Philippe Vetter (LR) :

« 19% c’est l’os, les personnes qui voteront toujours à droite. Aux municipales, Fabienne Keller réunit 33% au premier tour. L’électorat de centre-droit n’était clairement pas en phase avec notre candidat. Dans ce contexte particulier, le résultat est en trompe l’œil et les législatives pourraient inverser cette tendance. »

Bonne participation dans les quartiers de droite

Le manque de voix à droite ne s’est pas traduit par des électeurs restés à la maison. Les quartiers traditionnellement à droite, au nord, ont continué à voter massivement. La répartition des 1 251 bulletins blancs reccueillis, soit plus que quatre candidats, mériterait un approfondissement.

Pour Geoffroy Lebold, secrétaire départemental adjoint, les scores sont en deçà de l’électorat habituel de manière quasi-équilibrée :

« La plus forte baisse est à la Meinau où on n’est qu’à 16%. Partout dans le Bas-Rhin on devrait être plus haut, parfois on est à 30% là où on était à 50%. Le bon score de Nicolas Dupont-Aignan ailleurs est un autre symptôme en dehors des villes. À Strasbourg, le rejet de notre candidat s’est davantage porté sur Emmanuel Macron. Même à la Robertsau, Yves Le Tallec fait 36% sur le canton 4, là où François Fillon est à 31%. »

La participation

Le FN gagne 200 voix

Dans cette équation, le score du FN est un peu occulté. Avec 12 833 votes, à 12% des suffrages exprimés, Marine Le Pen est très proche de son score de 2012 (12 635 voix), mais cela reste 1 000 voix de plus qu’aux régionales fin 2015 (18%), qui marquait déjà une suite d’augmentations. « Cela reste un score à deux chiffres, dans un contexte de forte participation à Strasbourg », relève Geoffroy Lebold.

Pour le conseiller régional strasbourgeois, Andrea Didelot (FN), malgré l’émergence de Jean-Luc Mélenchon, les scores restent forts dans les bastions habituels, laissant émerger un clivage sociologique et politique :

« L’élection contredit l’adage que l’abstention favorise le FN. Nos scores restent forts dans les quartiers sud et ouest, ainsi qu’à Bischheim et Hoenheim, même si on a souffert d’un premier tour avec un éclatement des candidats sur les thèmes souverainistes. Strasbourg est une ville de clivages sociologiques et on les retrouve dans le vote avec patriotes d’un côté et mondialistes de l’autre, donc nous sommes susceptibles de récupérer une partie des électeurs de Jean-Luc Mélenchon. On s’attend aussi à progresser dans les bastions à droite car on reçoit déjà des demandes de procurations. Depuis les départementales en 2015, on progresse entre les deux tours. »

Le décompte des reports de voix le 7 mai pourra compléter l’analyse de cet électorat chamboulé. Les adeptes de Jean-Luc Mélenchon seront-il plus à même que leur leader de se porter vers un candidat centriste ? L’eurodéputé a simplement indiqué dimanche soir qu’il y aurait une « réflexion collective » et a renvoyé les finalistes dos à dos.

La gauche d’En Marche bénéficie en tout cas des soutiens nombreux au soir du premier tour. Mais si dès les législatives plusieurs candidats s’alignent sur les thèmes du PS, de Benoît Hamon et de Jean-Luc Mélenchon, il n’est pas sûr que cette nouvelle donne urbaine puisse prospérer politiquement à court-terme.

La carte des résultats à Strasbourg


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