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Dans les Vosges, le retour du loup a viré au conflit permanent

Depuis 2011, la présence du loup est avérée au sud du massif vosgien. Mais les éleveurs n’ont pas été préparés à ce retour et la cohabitation se passe mal : brebis dévorées en nombre, mesures de protection que les éleveurs jugent inadaptées ou chronophages… La situation se tend.

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Premier cliché d’un loup dans les Vosges pris en 2011 par un piège photographique (Photo ONCFS)

Depuis janvier, les éleveurs vosgiens ont dénombré 43 attaques de loups sur leurs troupeaux. L’année 2016 est bien partie pour battre le record de 65 attaques en 2015, qui avaient fait 143 victimes du prédateur parmi les élevages des Hautes Vosges. C’est donc peu dire que Jean-Yves Poirot, éleveur de La Bresse, envisage l’avenir avec pessimisme :

« Le loup est une espèce protégée mais c’est l’éleveur qui est une espèce en voie de disparition. J’ai 369 brebis, 30 bovins et une dizaine de chevaux et j’ai déjà perdu une quinzaine de bêtes. Et pourtant j’ai les chiens de protection, les clôtures électrifiées, les filets… J’ai même un aide-berger depuis 10 mois, dont j’attends toujours le remboursement du salaire par l’État soit dit en passant, et rien y fait. Il n’y a pas de cohabitation possible avec le loup. J’ai un permis de chasse et j’ai demandé un droit de tir à la préfecture, voilà la cohabitation ».

Le cas de Jean-Yves Poirot n’est pas isolé. Car l’irruption du loup dans les Vosges a bouleversé le quotidien des éleveurs. La population de ces canidés est estimée entre 2 et 4 individus mais en quelques mois, il est devenu impossible de laisser les brebis paître la nuit. En urgence, il a fallu barricader les enclos avec d’imposantes clôtures, électrifiées si possible, et se doter de chiens de protection, sensés veiller sur les troupeaux et s’opposer aux loups.

Alors que les exploitations sont économiquement fragiles, c’est tout le métier d’éleveur en montagne qui doit être réappris. Le loup avait disparu des forêts françaises au début du XXe siècle.

Les brebis dans des bunkers

Dans une vidéo, Bruno Lecomte, également éleveur de La Bresse, détaille ce qu’il appelle « les lourdes conséquences du retour du loup » :

« On avait des troupeaux qui parcouraient la montagne, on se retrouve avec des bêtes parquées dans des enclos. On avait des champs ouverts et des prairies, on se retrouve avec des clôtures partout, dont il faut parfois désherber le sol. Les éleveurs doivent maintenant gérer des meutes de chiens de protection, imposées par la réglementation mais qui posent de nombreux problèmes avec les randonneurs et demandent beaucoup de temps. Et tout ça ne sert à rien, le loup parvient quand même à prélever des bêtes. J’ai même vu un éleveur des Pyrénées enfermer ses brebis dans un réseau de bunkers durant la nuit ! »

Pour Stéphanie Morelle, administratrice du Groupement d’études et de protection des mammifères d’Alsace (Gepma) et chargée de mission sur les grands prédateurs pour le réseau France Nature Environnement (FNE), l’État a très mal géré le retour du loup :

« Au vu de la propagation du loup en France, il était évident depuis des années que le prédateur reviendrait s’installer durablement dans les Vosges. Mais au lieu de préparer les éleveurs à cette nouvelle situation, l’État préfère minimiser, voire nier sa présence pour économiser un peu d’argent en refusant d’indemniser les exploitants pour leurs pertes. Le Bas-Rhin par exemple n’est toujours pas éligible aux aides pour les éleveurs. Le résultat est que les troupeaux sont attaqués sans protection, ce qui provoque un stress et des traumatismes chez les éleveurs, qui doivent alors en urgence s’équiper en clôtures et en chiens… »

Un cliché pris par un piège photographique en juin 2012 à Avranville, Vosges (Photo ONCFS)

Pour les éleveurs : des chiens ou des fusils

Ces équipements sont subventionnés à 80% par l’État, voire à 100% dans les parcs nationaux. En 2015, le montant des aides au gardiennage a cru de 53% pour atteindre 18,6 millions d’euros pour la France, dont 2% sont allés dans les Vosges. Mais les éleveurs s’équipent aussi de fusils… Pour la première fois depuis sa réapparition, la population de loups en France a décru l’an dernier.

Pour Stéphanie Morelle, il n’y a pourtant pas d’alternative à une cohabitation entre les éleveurs et le loup :

« Dans les Alpes, les éleveurs s’arment et disent non au loup depuis 20 ans et qu’est-ce qu’il se passe ? Il est toujours là. Donc il faut réapprendre à vivre avec le loup, il n’y a pas d’alternative. Nos ancêtres savaient le faire, aujourd’hui on envoie des engins sur Mars, on devrait être capables de vivre avec le loup ! Il faut être clairs avec les éleveurs, oui ils seront en première ligne face au loup et oui, leur métier est devenu plus difficile. Pour autant, il existe des méthodes de gestion qui permettent de capitaliser sur la présence du loup, y compris pour le tourisme. »

Bruno Lecomte ne croit pas à ces solutions :

« Moi aussi je suis pour le loup qui régule la faune, chasse les sangliers, ne mange que les bêtes malades et jamais plus… Mais ce loup n’existe pas ! Les citadins ont toujours des tas d’idées sur ce que doit être notre métier mais ils méconnaissent la réalité : les éleveurs ne peuvent pas passer tout leur temps à côté de leurs troupeaux, et perdre chaque année 10% de leur cheptel à des fins écologiques. Et qu’on ne vienne pas me dire que le loup va attirer des promeneurs hein… »

Le fossé entre le monde paysan et la ville complique la gestion de ce délicat dossier. Et chaque attaque du loup vient envenimer la situation et tendre encore plus l’atmosphère entre les éleveurs et l’État, dont les subventions et la politique environnementale sont de plus en plus mal acceptées. Certains éleveurs, comme Bruno Lecomte, accusent même l’État d’avoir directement réintroduit les loups en France. Les agents de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) ont tous reçu l’ordre impératif de se taire dès qu’il s’agit du loup et nos demandes d’informations auprès de la préfecture sont restées lettre morte.

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