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À La Grande Fosse, la petite maison en terre-paille dans la prairie

Vosges alternatives, notre série d’été sur la vie militante en zone rurale (1/8) – Ancien doctorant en politique climatique, Mathieu Munsch a pensé et bâti une maison autonome en énergie dans les Vosges. Un outil au service d’un mode de vie sobre et durable, où la consommation s’ajuste aux ressources disponibles.

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Façade de terre claire sur fond boisé. Dans le bourg de La Grande Fosse, près de Saâles, la maison de Mathieu Munsch passe volontiers inaperçue. Il faut un œil attentif pour débusquer cette drôle d’architecture aux angles arrondis en surplomb de la route et son gardien, sorti à la rencontre de visiteurs qu’il devine un peu perdus. Sur le côté, la porte d’entrée donne sur la pièce principale, spacieuse, lumineuse. Fraîche aussi, malgré les quelques 30 degrés de ce mois de juin caniculaire.

Un seul coup d’œil permet d’embrasser les tatamis posés au pied de la bibliothèque en guise de coin détente, la table disposée devant les larges fenêtres et la cuisine ouverte équipée d’une vieille cuisinière à bois. Il flotte dans l’air un drôle de parfum, légèrement âcre. « C’est sans doute l’huile de lin que vous sentez », sourit le propriétaire des lieux, habitué à l’odeur de cet enduit naturel qu’il utilise pour ses sols. Pas tout à fait réguliers. Agréable sous les orteils. « Vous avez soif ? J’ai sorti de l’hydromel de plantes que je viens de préparer. Il n’est pas encore alcoolisé. Vous serez un peu mes testeurs », plaisante-t-il en servant trois verres.

« Je n’avais pas pris conscience de l’ampleur du désastre écologique »

Originaire de Gresswiller, à l’entrée de la vallée de la Bruche, Mathieu Munsch a beaucoup voyagé avant de se réinstaller dans les Vosges en 2018. Beaucoup cheminé, aussi. Avant de tout quitter pour construire sa maison en terre-paille, autonome en énergie, via un chantier participatif, exploiter son jardin en permaculture et développer une activité de cueillette de plantes comestibles et champignons en forêt.

Il retrace : « Il y a presque dix ans, je suis entré dans un master d’études européennes. C’est lors d’un stage que j’ai commencé à m’intéresser à la question énergétique et au changement climatique. Jusque-là, je n’avais pas pris conscience de l’ampleur du désastre écologique », détaille le jeune homme, qui opère alors un virage et poursuit son cursus avec un doctorat spécialisé dans l’étude des négociations internationales sur le climat, à Glasgow. « C’était juste après la COP 21. Je travaillais sur les promesses faites par les États et les politiques menées par les pays industrialisés pour atteindre la neutralité carbone. » En parallèle, Mathieu Munsch milite au niveau local contre les énergies fossiles, pour que le fonds de pension des institutions publiques de Glasgow retire son investissement de 800 millions de livres dans le secteur pétrolier.

Mais progressivement, un malaise s’installe dans son quotidien. Jusqu’à la rupture :

« En 2018, j’ai fait un burn out. Tout ce que j’analysais théoriquement indiquait que mon mode de vie n’était pas durable, qu’il dépendait des systèmes que je critiquais. Que ces derniers étaient enchevêtrés. J’en suis venu à m’intéresser à des modes de vie alternatifs, échappant à l’extractivisme. »

Utilisé dans les milieux académiques et militants, ce terme désigne un modèle basé sur l’extraction des ressources naturelles des pays du sud pour les concentrer dans les pays riches. Il inclut également l’exploitation d’esclaves ou de salariés sous-payés pour effectuer ce travail.

Faire mentir Margaret Thatcher

Mathieu Munsch décide alors de rompre son contrat doctoral. « Je voulais m’investir totalement dans la recherche de solutions », détaille ce militant désespéré de voir « comment on continue à se projeter dans un modèle à bout de souffle. » « Margaret Thatcher disait “There is no alternative” : il s’agit aujourd’hui d’échapper à cette injonction ». Ses recherches l’amènent à s’intéresser aux habitats écologiques et à l’autonomie énergétique, comme fondements d’un mode de vie plus « soutenable ». La construction de sa propre maison lui apparaît comme une évidence. Un « outil » lui permettant de « militer à plein temps ».

À l’été 2018, le jeune homme part quatre mois dans le nord de l’Écosse pour se former à la technique du terre-paille sur un chantier participatif. Deux professionnels y transmettent leur savoir-faire à une douzaine de bénévoles. « C’est très accessible aux amateurs et il y a un petit côté sculpture assez ludique », détaille Mathieu Munsch, qui se met ensuite en quête d’un terrain pour y mener son projet. Son choix se porte sur La Grande Fosse, accessible en train via la ligne reliant Strasbourg et Saint-Dié. Situés dans le département des Vosges, les terrains y sont aussi trois fois moins chers qu’en Alsace. Un élément important pour l’aspirant propriétaire, fermement opposé au prêt bancaire pour financer sa construction.

16 000 euros et beaucoup d’huile de coude

Début 2019, le terrain est acheté et les travaux peuvent enfin commencer… en bibliothèque. « J’ai passé six mois à étudier des livres d’architecture pour savoir ce qui devait rentrer dans la conception d’une maison, explique Mathieu Munsch. Comment penser la luminosité, maximiser les intrants énergétiques, installer des panneaux solaires. » Néophyte ou presque en matière de construction, le jeune homme a en revanche « appris à apprendre » et s’en sert pour accumuler toutes les connaissances utiles à son projet. Sans se priver de demander conseil à droite à gauche.

Son permis de construire obtenu, l’ancien doctorant peut enfin poser les fondations de sa maison. Mais, pourquoi travailler seul lorsqu’on peut transmettre à son tour et avancer plus vite à plusieurs ? Mathieu Munsch poste des annonces sur Twizza, une plateforme spécialisée dans les constructions écologiques et Work Away, un réseau mettant en relation des voyageurs prêts à donner un coup de main et des hôtes ayant besoin d’aide pour un projet. En deux ans, plus de 70 personnes viennent prêter main forte au propriétaire. Ils restent entre trois jours et trois semaines, aident à empiler les bottes de pailles entre des rails en bois puis à les compacter avant de les recouvrir d’un mélange de terre et de paille. « C’est à la fois la partie la plus simple et la plus longue : il faut tout modeler à la main. Seul, j’y serais arrivé quand même, mais j’aurais mis beaucoup plus de temps. »

En se servant de la terre du site comme matière première et en misant sur la récupération pour les huisseries, Mathieu Munsch parvient à limiter les coûts. Les dépenses pour la construction de sa maison de 50 mètres carrés atteignent 16 000 euros. Sans factures d’énergies à prévoir. Déconnectée des réseaux, elle est alimentée en eau par la source qui coule sur le terrain et en électricité des panneaux solaires reliés à une batterie. Un ballon de 200 litres perché sur le toit permet d’obtenir de l’eau chaude l’été. L’hiver, la cuisinière à bois prend le relais.

Cinq heures par jour pour la subsistance

Particulièrement bien conçue, la maison de Mathieu Munsch est une merveille de sobriété énergétique. Ses larges ouvertures orientées au sud réchauffent la pièce à vivre l’hiver. Son toit en pente limite la déperdition de chaleur – tout en pouvant supporter d’importantes chutes de neige. Excellente, l’isolation conserve la fraîcheur l’été et la chaleur l’hiver. Inutile de chercher un âtre ou un chauffage d’appoint : il n’y en pas. Lorsque les températures chutent, il suffit de se mettre aux fourneaux pour faire remonter le mercure. « J’en profite pour faire des conserves ou des préparations qui nécessitent un peu de cuisson », détaille le maître des lieux, aussi économe qu’ingénieux.

Ici, l’énergie est une ressource. « Je dois calculer ma consommation d’électricité en fonction de ce qui est disponible. L’été, lorsque l’ensoleillement recharge ma batterie en six heures, je peux brancher mon frigo consommant sans problème. L’hiver, je mets les aliments sur le bord de ma fenêtre. » Côté alimentation d’ailleurs, Mathieu Munsch s’appuie sur la permaculture et la cueillette. « Je consacre environ cinq heures par jour à des activités dites de subsistance », détaille-t-il, pédagogue. Faire des semis, entretenir le jardin, faire des conserves, sécher des plantes, cuisiner… les activités ne manquent pas. »

« L’autonomie n’est pas un objectif absolu, c’est un horizon, tempère toutefois Mathieu Munsch. Il ne faut pas voir mon mode de vie à l’aune du rêve américain, ni le comparer à celui du self-made-man en autarcie. » Le jeune homme fait ses courses chez les producteurs du coin et rend régulièrement visite à des amis. Il lui arrive de prendre le train pour aller boire un verre ou s’offrir une séance de cinéma à Strasbourg.

Vivre sobre oui, vivre seul non, bien au contraire. « L’aspect vie au sein d’une communauté était important pour moi quand je me suis installé dans le village, détaille celui qui est aujourd’hui conseiller municipal. Je n’ai pas élaboré ce projet juste pour moi, pour mon bien personnel. Mais je trouve ça enthousiasmant de faire partie des pionniers qui viennent dans les Vosges pour y proposer des alternatives. »


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