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Santi, mère célibataire à la rue : « Je dois me battre pour mes enfants »

Depuis février 2023, Santi et sa famille n’ont pas de logement. En plus de devoir gérer son travail et ses enfants, elle doit se poser chaque jour la même question : où dormir ce soir.

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« Vous avez froid ? Alors imaginez pour nous », fulmine Santi, emmitouflée dans sa longue doudoune kaki. Les mains dans les poches ce lundi 8 janvier en fin d’après-midi, la mère attend devant l’école Ziegelau que sa fille sorte du cours de soutien scolaire. Voilà bientôt un an que Santi, sa mère, sa fille et son fils n’ont pas de logement.

Sept années de présence en France

Avant d’arriver à Strasbourg en 2017, Santi était vendeuse en Albanie. Puis elle a fui son pays. Pendant ses cinq premières années en France, elle a changé plusieurs fois de logement. Grâce à ses appels au 115 (le numéro de l’association qui gère l’hébergement d’urgence), elle est logée six mois dans un hôtel, presque trois ans dans un appartement à Illkirch, puis un an à Neudorf. En 2022, le Service Intégré d’Accueil et d’Orientation (SIAO) lui propose d’aller dans un centre d’hébergement d’urgence géré par Coallia, à Geispolsheim.

Avec ses enfants, Santi assiste à des scènes de violence dans cet hôtel reconverti en hébergement d’urgence. « Il y avait du sang, des bagarres, des personnes avec des couteaux. En plus, le centre était à 1h30 de l’école. On devait marcher 30 minutes avant de prendre bus et tram », se souvient la mère de famille, le regard marqué. En février 2023, elle apprend qu’elle va être transférée à Bouxwiller dans un centre d’aide pour le retour. « Je ne voulais pas retourner en Albanie, c’est trop dangereux pour moi ». La mère de famille prend alors la décision de quitter le centre et de se retrouver à la rue.

Une situation qu’elle pensait temporaire, mais qui s’éternise :

« Ça va faire un an. Tous les jours, j’appelle le 115 et à chaque fois on me dit la même chose : “il n’y a pas de place pour les familles”. »

« Le plus dur, c’est de gérer les enfants »

Accompagnée d’une avocate, Me Christine Mengus, elle fait une demande de titre de séjour. Douche froide le 14 février 2023 : sa demande est rejetée. Elle reçoit une OQTF, une obligation de quitter le territoire français sous 30 jours. Santi passe alors plusieurs journées et soirées dans la gare centrale.

“Il y avait beaucoup de gens alcoolisés, violents, ça faisait peur. Des associations comme Strasbourg Action Solidarité venaient faire des maraudes. En hiver, je restais à l’intérieur la journée et le soir, mais à minuit on devait partir. C’est encore plus difficile pour les femmes, surtout avec des enfants.”

Elle passe alors souvent le reste de la nuit chez des parents d’élèves, ou dans des chambres d’hôtel payées grâce à la solidarité citoyenne. Son fils et sa fille doivent se construire tout en vivant dans la rue :

“Mon fils est très énervé contre moi. Il me demande pourquoi je ne fais rien, pourquoi on est à la rue. Mais moi je fais tout ce que je peux. Je dois gérer les besoins de mes enfants, quand ils ont faim, quand ils sont fatigués, qu’ils veulent aller aux toilettes… Ils comprennent tout et sont inquiets aussi. »

Depuis lundi 8 janvier, sa fille scolarisée en CE2 suit des cours de soutien dans l’établissement, pendant une heure. “Elle a du mal à faire ses devoirs dehors », explique Santi. Son fils, qui est au Lycée Couffignal a vu ses résultats dégringoler : « Lorsqu’il était au collège, c’était le meilleur de sa classe. Il avait appris le français en trois mois. Mais maintenant c’est vraiment compliqué pour lui. »

Santi a une fille scolarisée en CE2, et un garçon de 16 ans.Photo : Camille Balzinger / Rue89 Strasbourg

Un titre de séjour et un CDD

L’avocate de la famille a contesté l’OQTF. En juillet 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a ordonné à la préfecture d’annuler sa décision et de fournir un titre de séjour à Santi. Avec ses enfants, ils ont rapidement obtenu leurs papiers. “Maintenant, j’ai même la carte vitale !”, se réjouit-elle.

Le 20 novembre 2023, Santi a commencé une formation de deux semaines pour travailler en crèche. Désormais, de 8h à 17h chaque jour de la semaine, elle s’occupe du ménage et de faire manger les enfants de cette crèche. “J’adore mon travail”, sourit Santi. Employée en CDD, elle espère obtenir un CDI.

Ses collègues sont au courant de sa situation. “Ma patronne a fait une demande auprès d’Action Logement pour moi”. En plus d’avoir un salaire et d’être au chaud, Santi peut charger à toute heure sa batterie externe pour son téléphone. Elle peut ainsi continuer d’appeler le 115 quotidiennement. 

« Certaines journées, on ne se lave pas »

Sans logement pérenne, le quotidien de Santi est fait d’incertitudes : « C’est le plus dur dans cette situation ». Pour manger, elle achète des produits secs comme du pain. Elle va à la rencontre des maraudes ou reçoit de l’aide des personnes qu’elle connaît. Elle passe beaucoup de temps dehors, souvent le matin entre l’école et le début de son travail :

“Ce matin, on a passé 45 minutes tôt dehors. Ma fille courait autour de nous pour se réchauffer. Ensuite lorsqu’elle se retrouve seule, ma mère va à Rivétoile. Elle peut s’assoir dans le centre commercial et aller aux toilettes. Et puis au moins, elle est au chaud. »

L’hygiène est aussi une question importante. « Quand on est dehors, on va prendre une douche dans les locaux de La Loupiote. Mais certaines journées, on ne se lave pas. » Heureusement, la famille a suffisamment d’habits pour se changer et se couvrir en hiver. Toutes leurs affaires sont stockées dans le grenier d’un parent d’élève. 

Tenir grâce à la solidarité

« Les amis, c’est ça que j’ai gagné », confie Santi en souriant. Accueil, repas et collecte pour payer des nuits dans des logements Airbnb… Plusieurs parents d’élèves se sont mobilisés pour l’aider. « Je m’entends très bien avec la famille, ce sont des gens adorables. Cette horrible bureaucratie pour avoir un logement, c’est complètement déconnecté de la réalité », déplore Frédéric, un parent d’élève qui les a hébergés plusieurs fois. 

Santi peut aussi compter sur le collectif « Pas d’enfants à la rue », qui s’occupe des familles sans-abris. Lundi 8 janvier, Delphine Bernard, membre du collectif, et Fanny Taulou, déléguée des parents d’élèves, ont voulu occuper l’école de la Ziegelau pour faire dormir la famille au chaud, à l’intérieur. En juin 2023, une action similaire avait permis à Santi d’habiter dans le logement d’un particulier, grâce à l’association Casas, pendant plusieurs mois. Elle avait ensuite dû retourner à la rue.

Objectif logement pérenne

« Cette fois-ci, notre objectif avec cette action c’est qu’elle obtienne ensuite un logement pérenne », précisait Delphine Bernard devant l’école dans la soirée du lundi 8 décembre. Mais le concierge de l’établissement les a empêchés de rentrer. « Il a eu des consignes. C’est une honte ! », peste Delphine Bernard.

Santi, elle, semble résignée. « Je ne vais rien gagner si je pleure. Je dois continuer de me battre pour mes enfants », souffle la mère en regardant sa fille qui joue, insouciante, avec les autres élèves. Le groupe part interpeller Antoine Dubois, l’élu référent du quartier du Neudorf, lors d’une réunion sur le stationnement dans le quartier. Il leur propose une solution temporaire : aller au gymnase du Conseil des XV, réquisitionné pour loger les sans-abris, le temps de la vague de froid. Santi et sa famille ont la possibilité d’y rester une semaine.


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