Une fine pluie s’abat sur l’Arcadia ce jeudi 4 janvier. Le local du Bastion Social Strasbourg (BSS), inauguré le 9 décembre 2017, est fermé. Le lieu de réunion de la mouvance identitaire strasbourgeoise abrite une affiche provocatrice, derrière une vitrine vandalisée : « Il y a des Français qui ne se rendent pas ! » Vers 19 heures 30, six personnes sortent de l’immeuble situé au 29 rue Vauban. Tous portent de la nourriture. Des autocollants du groupuscule « nationaliste révolutionnaire » figurent sur des sacs de papier blanc.
Un président ancien militant du GUD
Valentin, le président de l’association, fait partie du petit groupe sur le départ. Les denrées alimentaires seront distribuées aux précaires et aux SDF, à condition qu’ils soient Français, voire Européens. Le responsable du Bastion Social Strasbourg accepte de répondre à Rue89 Strasbourg, tout en interdisant à ses camarades de faire de même. Ils chargent une vieille camionnette Renault bleue et s’en vont.
À 23 ans, Valentin est l’homme à tout faire de l’association. Depuis l’ouverture de l’Arcadia, le local et le Bastion social lui prennent quasiment tout son temps libre. Le porte-parole du mouvement identitaire travaille « dans le domaine de la santé ». Sur sa famille et son métier, il préfère rester évasif.
Pour cet ancien militant du GUD Alsace, un mouvement étudiant d’extrême-droite et violent, le Bastion Social Strasbourg n’a rien à voir avec un repère de néonazis. Valentin préfère mettre en avant la diversité des membres de l’association :
« Parmi nos adhérents, nous avons des chômeurs, des étudiants, des cadres, un assureur… La semaine dernière, il y a une femme de 78 ans qui s’est encartée chez nous. »
Trois étudiants, séduits par l’action sociale
Malgré diverses sollicitations, Rue89 Strasbourg n’a pas pu s’entretenir directement avec d’autres membres du Bastion Social Strasbourg. Le président du BSS a néanmoins accepté de transmettre des questions écrites à quatre adhérents, dont trois sont étudiants.
Il y a Constance*, 18 ans. La jeune femme réside dans un village à une vingtaine de minutes de Strasbourg. Cette adhérente du Bastion social étudie dans la capitale alsacienne après avoir obtenu un baccalauréat professionnel en accompagnement, soins et services à la personne. Elle explique son engagement militant :
« J’ai découvert le mouvement sur les réseaux sociaux. Je me suis sentie concernée par les actions de maraude et de relogement des personnes dans le besoin. »
Ludovic* habite à Strasbourg. À 18 ans, il étudie en classe préparatoire aux grandes écoles. L’enfant d’une famille d’ouvriers a aussi été touché par l’action sociale du Bastion :
« Cela m’a tout de suite plu d’aider des Français et des Européens dans le besoin, délaissés par l’État. Quel mal peut-il y avoir dans le fait d’aider des gens de son peuple ? J’ai donc décidé de rejoindre le mouvement strasbourgeois. Je n’avais jamais milité ni appartenu à un quelconque parti politique auparavant. »
Fabien* est un autre jeune membre du Bastion social. À 25 ans, il étudie en médecine à Strasbourg, où il réside. Comme Ludovic, il a découvert ce mouvement identitaire lors de l’occupation d’un bâtiment à Lyon en mai 2017:
« Cette action a été un véritable tsunami dans le milieu patriote, avec, enfin, une action fédératrice et concrète. J’ai, sans hésiter, pris contact avec les cadres locaux strasbourgeois pour leur faire part de mon désir de m’investir pleinement au sein du mouvement. »
Olivier : « Je souhaitais intégrer le GUD »
Il y a enfin un tatoueur, Olivier. L’homme de 46 ans vit dans le Haut-Rhin. Là encore, c’est l’action lyonnaise du Bastion Social qui attire son attention en mai 2017. À ce moment, il cherchait à s’engager politiquement :
« À l’époque, je souhaitais intégrer le GUD pour lutter contre la politique menée contre les peuples européens par l’Union Européenne. J’ai décidé de m’engager au Bastion pour deux raisons : je partage la remise en question du modèle de société consumériste actuel et j’adhère aux modes d’action de mouvements radicaux, comme Casapound en Italie. Il faut s’opposer à la politique politicienne et privilégier l’action à destination des Français et des Européens. »
Les actions caritatives, relayées sur Facebook
Chaque semaine, l’association publie sur sa page Facebook une photo d’une action caritative. On y voit six personnes récoltant de la nourriture devant un supermarché. Sur un autre cliché, trois activistes prennent la pose aux côtés d’un SDF. L’un d’eux tend un sandwich à l’homme, assis en tailleur sur un matelas à même le sol.
La communication du Bastion Social semble fonctionner. L’antenne strasbourgeoise affirme disposer d’une soixantaine d’adhérents. Environ 1 600 personnes suivent la page Facebook. Pour continuer de recruter, Valentin veut mettre fin à l’idée que son association serait violente. Un objectif difficile à atteindre depuis une agression xénophobe survenue le 9 décembre à Strasbourg.
Une agression raciste en marge de l’inauguration de l’Arcadia…
Les médias locaux ont largement relayé la présence des agresseurs du 9 décembre à la soirée d’inauguration du local. Valentin, lui, parle d’un acte perpétré par des individus « isolés », sans lien avec son association :
« Nous condamnons l’agression xénophobe qui a eu lieu en marge de notre soirée d’inauguration. Les coupables ne sont pas membres du Bastion. Ils étaient à notre réunion d’ouverture, publique et ouverte à tous. Il y avait des personnes qui étaient juste curieuses de voir ce que nous faisions. À la réunion, nous avons dit plusieurs fois : après la conférence, tout le monde va au local. Ces mecs-là ne nous ont pas écoutés. Nous ne sommes pas responsables de leurs actes. »
Et le responsable du BSS d’ajouter :
« Après effectivement, si un jour il y a une violence au nom du Bastion, vous le saurez, ce sera réfléchi et ça ne se fera pas comme ça dans la rue. »
… dont le coupable est trésorier du Bastion Social Strasbourg
Mais les statuts déposés de l’association présidée par Valentin contredisent ses propos. L’association encadrant le Bastion Social Strasbourg est « Solidarité Argentoratum » (le nom antique de Strasbourg) dont l’objet est de « promouvoir les traditions locales ». L’un des agresseurs du 9 décembre, Thomas, a été condamné trois jours plus tard par le tribunal correctionnel à huit mois de prison ferme, avec maintien en détention pour violence aggravée. Ce Thomas figure parmi les sept membres fondateurs et exerce même la fonction de trésorier.
Aucun des membres fondateurs de « Solidarité Argentoratum » n’a répondu au questionnaire envoyé par Rue89 Strasbourg et relayé par le président de l’association. Le vice-président, aurait pu, par exemple, indiquer qu’il a fait partie de la liste du Front National lors des élections municipales de 2014. Cet ancien colistier de Jean-Luc Schaffhauser s’est aussi fait remarquer sur Twitter en octobre 2012. Il réagissait alors à la volonté d’Harlem Désir de dissoudre les Jeunesses identitaires : « Pendons-le », avait-il publié.
Deux activistes, proches des hooligans de « Strasbourg Offender »
Valentin a aussi choisi de ne pas parler du secrétaire de l’association. Philippe, un ouvrier de 29 ans, était derrière le bar le soir de l’inauguration de l’Arcadia. Ce résident d’Illkirch-Graffenstaden a été condamné à 16 mois de prison ferme en juin 2010 pour des faits de violences contre un ancien amour de sa compagne. Sur sa page Facebook, l’homme affiche en photo de couverture un cliché du groupe de supporters de foot « Strasbourg Offender ».
Ce groupuscule a récemment suscité le débat parmi des supporters strasbourgeois sur le forum internet racingstub.com. En novembre 2016, des habitués du stade de la Meinau ont dénoncé des saluts nazis du petit groupe lors du déplacement à Sochaux le 31 octobre 2016.
Un autre utilisateur du forum a aussi signalé l’agressivité des membres de Strasbourg Offender à l’égard des CRS :
« Ils sont à l’origine d’un mouvement visant clairement à des affrontements avec les CRS dix minutes avant le match, fort heureusement non suivis… Il faut suivre cela de très près… »
Sur l’une de ses photos de profil, le secrétaire de « Solidarité Argentoratum » met en scène sa détestation des forces de l’ordre. Accoudé à une voiture de police italienne, il montre une partie de son avant-bras où le sigle « ACAB » est tatoué. L’acronyme signifie « All Cops Are Bastards », qu’on peut traduire en français par « Tous les flics sont des bâtards ».
D’autres activistes du Bastion Social ont affiché leur proximité avec Strasbourg Offender sur les réseaux sociaux. Le président lui-même, ainsi qu’Arnaud*, un adhérent présent lors de nombreuses maraudes médiatisées, ont mis en avant le groupuscule via Facebook. En décembre 2017, Arnaud avait pour photo de profil une prise de vue de la banderole de « Strasbourg Offender ». Lors d’une fête, il a aussi été photographié vêtu d’un t-shirt du groupuscule. Dans le stade de la Meinau, ces hooligans se réunissent dans la tribune basse ouest. Leurs visages sont souvent couverts d’une capuche et d’une écharpe noires.
Les trois derniers signataires des statuts de l’association ne semblent pas avoir de passé militant. Ce sont deux étudiants, de 18 et 19 ans, et un demandeur d’emploi, de 22 ans. Ces résidents de Mittelchaeffolsheim, Bischheim et Pfaffenhoffen ont été désignés assesseurs.
Samedi 13 janvier, le Bastion Social de Strasbourg prévoit d’accueillir à l’Arcadia Gabriele Adinolfi, l’un des fondateurs du mouvement néo-fasciste italien, et interdit, Terza Posizione. Il est l’un des maîtres à penser du mouvement identitaire et nationaliste italien, CasaPound, dont s’inspire le Bastion Social.
* Le prénom a été modifié
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