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La vie en suspens des habitants du squat Bourgogne

Plus de 200 personnes ont trouvé refuge dans un immeuble de la Meinau voué à la démolition. En novembre, la justice a ordonné leur expulsion. La plupart espèrent rester jusqu’à la fin de la trêve hivernale. Et après ?

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Quand l’immeuble de la rue de Bourgogne sera t-il évacué ? Et dans quelles conditions alors que beaucoup d’enfants et de malades ont trouvé refuge dans ce bâtiment ? Y aura-t-il des relogements adaptés et pour combien de personnes ? Que se passera-t-il pour les personnes dont les titres de séjour sont échus ? 

Depuis une décision du tribunal de Strasbourg du 4 novembre ordonnant l’expulsion, ces questions sont ouvertes. Ceux qui habitent dans cet ancien bloc d’habitat social de la Meinau se les posent tous les jours, ainsi que d’autres : y aura t il de l’eau chaude aujourd’hui ? De l’électricité ? Où aller du matin au soir pour ne pas risquer d’être contrôlé, évacué et conduit en centre de rétention… Armen, sa femme et ses deux enfants collégiens à Strasbourg sont dans cette situation pénible : 

« Nous quittons le squat tous les jours à 5h30 en raison du risque d’évacuation et n’y retournons qu’après 21h ou 22h… Nous avons peur. De 5h30 à 7h30, nous nous asseyons à l’arrêt de bus ou nous montons dedans jusqu’à ce que les enfants aillent au collège vers 8h. Le soir, c’est la bibliothèque. En vacances, c’est plus difficile… »

Environ 70 familles sont installées dans cet immeuble de 54 logements voué à démolition (voir tous nos articles). Le 9 décembre, une pétition, diffusée à l’initiative des habitants, alerte sur la situation très fragile des 223 personnes réfugiées dans ce bloc dont plus de 30 enfants : 

« Nous avons toutes et tous des histoires singulières mais l’absence de solution d’hébergement ou de logement nous a amenés à trouver un abri dans ce bâtiment. (…) Nos situations sont très diverses : en cours de suivi médico-social, en attente de logements sociaux ou de titres de séjour. Nous sommes plusieurs à être intégrés localement, participant à des actions bénévoles, humanitaires. Nos enfants sont scolarisés et une grande partie d’entre nous travaille. »

Les 23, 25 et 27 rue de Bourgogne à la Meinau, plus de 200 personnes y vivent, parfois depuis plus d’un an Photo : SW / Rue89 Strasbourg

Aucune réponse du 115

Les témoignages recueillis font tous état du même constat : le 115, le numéro du Service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO), n’a jamais de solution d’hébergement d’urgence disponible, le dispositif est saturé. Une situation qui redouble les angoisses des habitants quant à leur situation après l’expulsion… Certains misent sur un sursis en raison de la trêve hivernale, comme l’a promis la société propriétaire In’li Grand Est dans un article des DNA fin novembre.

L’opération immobilière envisage de réhabiliter ce bâtiment dans le cadre d’un projet plus important, In’li Grand Est, qui fait partie du groupe Action Logement, propose de « l’habitat intermédiaire », qui se veut moins cher que le parc privé. Aucun logement du projet à venir ne sera accessible aux bénéficiaires du parc social. 

Alexeï, un Letton de 37 ans, a mobilisé les troupes, signé et envoyé la pétition. Il est, en tant que ressortissant européen, résident de droit en France. Attaqué en août 2021 par un ancien compagnon qui l’a lardé de 18 coups de couteaux, il est désormais handicapé. Sa demande de logement social est restée sans réponse, l’ancien ouvrier monteur dans une usine allemande ne peut travailler tant que son état n’est pas stabilisé : il montre que sa main n’a plus de souplesse, ses tendons ont été sectionnés. 

Alexei, a initié la pétition des habitants du squat Photo : SW / Rue89 Strasbourg

Dans son appartement, des fiches de règles de grammaire française et des listes thématique de vocabulaire sont placardées au mur. Le chauffage est coupé dans l’immeuble, mais des petits radiateurs électriques tournent. Une musique jazz légère donne l’impression d’une vie presque normale. Au mur un poster du boys band One direction, pour son album Take me home. Un post-it fluo avec écrit en gros « 115 » est collé dessus : « One direction ? Aucune », résume-t-il en plaisantant l’issue systématique de ses appels pour une solution d’hébergement. Quand il se départit de son sourire, c’est pour raconter :

« Tout cela est vraiment stressant. J’ai besoin d’un logement, je dois pouvoir avoir des conditions de vie normale, pour me retaper et apprendre la langue française. Et enfin retrouver un travail. » 

Des vies en pointillés

Certains comme Alexeï sont installés ici depuis un an maintenant, ont pris leurs marques tant bien que mal. Les menaces d’expulsion, la visite régulière des forces de l’ordre aux alentours, les coupures d’électricité et d’eau, rythment un quotidien que les familles essaient pourtant de mener de façon la plus ordinaire possible. Sous certaines sonnettes, il est indiqué en géorgien et russe la présence d’enfants, comme un talisman pour protéger contre les agressions…

Avec l’hiver et les températures glacées, l’eau chaude a un temps été coupée dans l’immeuble. Les habitants ont cru à une énième ruse pour les faire partir. Alerté, In’Li a finalement rétabli l’eau chaude, craignant pour la sécurité du bâtiment au vu des bricolages électriques pour chauffer l’eau, selon un membre d’une association qui accompagne les habitants. 

Dix ans d’attente

Deux ex-époux, Géorgiens, cohabitent dans l’appartement sous celui d’Alexeï. Le Letton apprécie en connaisseur le morceau de jazz qui irrigue l’appartement. Les deux ex-époux ont un fils marié à une Française, ils ont demandé l’asile dès leur arrivée en 2011 mais ne l’ont pas obtenu et sont désormais au bout de leurs recours. Ils espèrent quand même être régularisés et pouvoir travailler. Les deux montrent fièrement les diplômes d‘ingénieurs du rail obtenus à Tbilissi. 

Alla et sa chienne Maya Photo : SW/rue 89 Strasbourg

Pour le moment, seule Alla travaille de temps en temps, des ménages au noir : « Je suis une mamie de Française sans argent », dit elle comme en s’excusant, en montrant tout de même des jouets récupérés qui attendent la prochaine visite de sa petite fille sous le sapin décoré. Compagne et gage de sécurité, Maya, une chienne recueillie en France par le couple a, elle, tous ses papiers et elle est même pucée affirme Andreï. Il décrit ses journées en attendant qu’une issue improbable se présente à eux :

« Je vais de la maison aux Restos du cœur, des Restos du cœur à la maison, et j’écoute du jazz. Je ne suis pas un criminel, ni un alcoolique, ni un drogué ; alors pourquoi on ne me donne pas une carte de séjour ? » 

Andrei et Alla ne savent pas où ils iront en cas d’expulsion du squat. 

Des malades et des personnes fragiles

Direction le logement de la famille d’Elene, Géorgienne également, elle vit au squat Bourgogne depuis décembre 2021 avec son mari, sa mère et ses trois enfants. Les deux plus grands, Sesili, 14 ans, et Giorgi, 10 ans, sont scolarisés. Déboutés de l’asile, la famille attend une réponse à sa demande de titre de séjour « étranger malade ». Le mari qui est atteint d’une maladie respiratoire, amaigri, vient de sortir des urgences pour une infection du poumon. Il doit être sous respirateur environ 20 heures sur 24, explique sa fille Sesili : 

« On n’a pas d’eau chaude en continu, et en plus c’est souvent la nuit qu’elle arrive, mais on préfère rester ici. On peut cuisiner, pas comme à l’hôtel. Et le respirateur de papa doit rester branché. »

L’adolescente fait visiter l’appartement. Il est meublé très simplement, mais sa chambre a des murs peints en lilas dont elle a choisi la couleur et elle se réjouit d’avoir souvent des copines qui viennent la voir. La famille pense qu’elle appellera le 115 après l’expulsion et espère, sans trop y croire, avoir un hébergement à ce moment-là. 

Dans l’appartement d’Elene et sa famille, avec Anastasia, un an et demi qui gambade Photo : SW / Rue89 Strasbourg

Si les conditions de vie au 23, 25 et 27 rue de Bourgogne semblent spartiates, les familles installées depuis plusieurs mois se sont meublées peu à peu, ont décoré leur domicile temporaire, des épices du pays agrémentent les placards de la cuisine, des plantes poussent sur les balcons… Régulièrement, des associations leur viennent en aide parmi lesquelles Médecins du monde, les Petites roues, Strasbourg action solidarité, Ithaque, etc. Une solidarité de fait règne aussi entre les habitants, dont la plupart viennent d’Europe de l’Est. 

Des garages occupés

Aux incertitudes des semaines à venir s’ajoutent les conditions encore plus sordides de ceux qui ont emménagé dans les garages du bloc. Ce matin, des portes restent fermées mais les garages habités se devinent par des portes calfeutrées en bas par du bois et du tissu, afin d’éviter que le froid ne s’y engouffre. Un coup sur la porte et celle-ci bascule en laissant entrevoir un espace plus ou moins équipé. 

Edisher a installé un frigo, une petite table, des chaises et un lit. Un ragoût mijote dans une casserole. Le vieil homme, Géorgien, se présente comme invalide, il montre sa hanche pour expliquer qu’il est équipé d’une poche et que, trop fatigué pour monter et descendre dans l’appartement qu’il squattait en haut d’un des blocs, il a décidé de s’installer dans un garage en mars et ne monte que pour se laver. 

Faute d’autre solution, certains se sont installés dans des garages Photo : SW / Rue89 Strasbourg

Trois autres garages sont occupés par des squatteurs malades, tous Géorgiens. Particulièrement fragiles, leur conditions de vie sont encore plus rudes ici. Pas de lumière naturelle, ni d’air, seulement le froid et l’humidité.

Le garage qu’occupent Sopibo, son mari et son fils est dénué du moindre confort. Des pneus entassés font office de table. Des canapés en guise de lits, et au sol, une casserole bout. Le fils, Beso, 12 ans, est atteint d’une maladie orpheline, il a du mal à parler et il est parfois pris de mouvements saccadés. Sopido doit faire attention à ce qu’il ne trébuche pas et ne se blesse pas. Ils auraient dû demander l’asile en Allemagne, pays de leur arrivée, mais Beso est désormais soigné en France, son état requiert un suivi régulier selon Sopibo :

« Ce n’est pas un endroit pour mon fils ni pour nous. Il est malade, il a besoin de sa chambre. Et moi je dois pouvoir cuisiner correctement. C’est trop dangereux. »

La mère de famille a appelé le 115 à plusieurs reprises, mais les services d’hébergement d’urgence estiment qu’ayant une « solution » avec ce garage, ils ne sont pas prioritaires, regrette Nicolas Fuchs de Médecins du monde, qui voit venir le printemps avec appréhension : 

« Au moment de l’expulsion, est-ce que les malades bénéficieront de logements adaptés ? Quelle sera l’attitude des forces de l’ordre ? Il y a beaucoup d’enfants et de personnes fragiles ici, et une évacuation, c’est traumatisant. »

La trêve hivernale s’arrête au lendemain du 31 mars.


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