Lundi à 8h45, sur le parking de la Rotonde à Strasbourg, Krystel rejoint son amie Sabrina au volant de sa Twingo rouge. Le petit véhicule jure parmi les nombreux bus présents autour de la station ce matin. Robe verte à pois blancs pour l’une, jupe noire pour l’autre, les deux amies se sont apprêtées avec soin. Elles prévoient d’aller à Molsheim, Thann et Dannemarie pour se préparer à un concours de beauté, le Miss Curvy Alsace, réservé aux femmes dont les tailles vestimentaires atteignent 42 et plus.
Depuis le début de l’année, les deux prétendantes multiplient les répétitions de défilés, les essayages, les shooting photo et les ateliers de maquillage. Les candidates seront aussi départagées par des épreuves de culture générale et un discours introductif devant plusieurs centaines de personnes.
Ces préparatifs, définis par un comité national, se sont intensifiés à l’approche de la cérémonie, prévue le 5 septembre à Wintzenheim, près de Colmar.
Répétitions devant les Jésuites à Molsheim
Krystel connait bien Molsheim. La jeune femme travaille à l’office de tourisme de la ville. C’est dans l’atmosphère calme du parc des Jésuites qu’elle a choisi de répéter son défilé. « Heureusement qu’on n’a pas encore mis nos écharpes » s’amusent les deux amies dans les rues. En général cela provoque des réactions, « les gens sont curieux mais n’osent pas venir nous voir » poursuit Sabrina.
Aux abords du parc, les deux femmes investissent un banc et y déposent leurs sacs à main. À l’intérieur, deux paires d’escarpins qu’elles échangent contre leurs chaussures. Sabrina en profite pour repasser du rouge à lèvres et toutes deux revêtent finalement leurs écharpes estampillées « Candidate Miss Curvy Alsace ». Quelques passants intrigués s’attardent sur la scène. Sabrina pointe du doigt les contours d’une scène imaginaire.
« Mets un peu de musique sinon ça ne va pas le faire, » adresse Krystel à son amie. Candyman résonne dans le téléphone d’une des candidates. Épaules en arrière et regard au loin, les deux femmes entament une marche cadencée sur une dizaine de mètres, avant de se figer quelques secondes dans une pose, le bras sur la hanche et la chevelure en arrière. Les deux complices procèdent ensuite à plusieurs passages individuels, s’observent et corrigent leurs gestuelles respectives : « redresse tes épaules, marche plus doucement… »
« Advienne que pourra… »
Depuis neuf mois, Krystel s’exerce à cette épreuve sur plusieurs rythmes, du pas lent au pas allongé. Le soir de l’élection, elle réitérera ces gestes dans différentes tenues, maillot de bain et lingerie. Sur ses chances de couronnement, elle se montre pragmatique « advienne ce qui pourra mais je me donnerai à fond. »
Pour l’inscription au concours, Krystel a dû débourser 25 euros et acheter son propre maillot de bain. Pour les autres tenues du défilé, une caution est requise afin de louer les vêtements dans les boutiques partenaires. À hauteur de 5 séances d’essayage dans toute l’Alsace, la jeune femme s’est préparée à des déplacements fréquents : ce jour-là, la Twingo rouge affichera près de 250 kilomètres au compteur.
« Pour le concours, il faut alimenter une page photo sur les réseaux sociaux. J’alterne des beaux clichés de photographes et des selfies. C’est un investissement qui varie en fonction des prix demandés par les photographes… »
« Body positive », une tendance de fond
Au moment de remonter en voiture, il est 10h30, « pile dans les timings ». Sur le trajet de Thann, à 1h30 de Strasbourg, Krystel revient sur cet investissement et sur l’énergie qu’elle consacre à ce concours :
« Tous les gens ne comprennent pas, ce n’est pas juste un concours de beauté, ça aide aussi à s’accepter. »
Si aujourd’hui des femmes aux rondeurs assumées militent en lingerie dans les rues grâce au mouvement « Body positive », pointe Krystel, « il reste des gens malveillants ». Plus jeune, elle explique avoir subi des remarques blessantes et dévalorisantes sur son physique :
« Les mots sont importants, car quand une personne est un peu complexée, ils peuvent faire ressortir des trucs rapidement. Une fois, lors d’un essayage de lingerie, la vendeuse semblait vouloir me dire que ma poitrine était anormale. Elle me disait de mettre des coques. »
La jeune femme, bloquée par ses complexes quotidiens et le regard des autres, s’interdisait certaines tenues :
« Quand je prenais les transports en commun, je me sentais observée et jugée. Je me remettais tout le temps en question. Je n’osais pas prendre la parole en public, je parlais tout bas comme ça. Je préférais me cacher derrière mes vêtements. Je ne pouvais pas porter une jupe. De ce côté-là, il y a une évolution dans ma tête. Maintenant, cette nana porte du maquillage, une robe, se montre. Je me sens féminine. »
Les regards en biais, Krystel n’y prête plus autant d’importance. Une assurance acquise après un long travail sur elle-même. Les shooting photo l’ont aidée à reprendre confiance en elle, sous l’objectif bienveillant de photographes qui ont su la mettre en valeur. Il y a six ans, elle en réalisait jusqu’à un par semaine. Les candidates à Miss Curvy ont aussi accès à une conseillère en image, pour harmoniser le maquillage et les vêtements avec leur morphologies.
Au soir du concours, la jeune femme défilera devant un jury et le public vêtue d’un maillot de bain. Un défi qu’elle n’aurait jamais pu relever sans ce cheminement préalable : « Le travail sur soi ce n’est pas juste pour 6 mois, c’est tous les jours. »
Une alternative à Miss France
En essor cette année, le concours compte 11 candidates contre 7 lors de l’édition précédente. La cérémonie finale ne sera « pas diffusée sur TF1 mais bon… » Krystel, comme les autres candidates, regarde les concours de beauté comme Miss France. Les fenêtres baissées pour rafraîchir l’habitacle de la voiture, la jeune femme décortique le fameux concours :
« La Miss France de l’an dernier avait des formes par rapport aux critères habituels. Celle de cette année n’était pas qu’un physique, elle est passionnée par l’Histoire et a obtenu la meilleure note en culture générale. Ça ôte l’idée d’un concours de bétail… »
« J’ai vu le film Miss, dans lequel un jeune garçon veut devenir Miss France et je trouve qu’avec la présidente actuelle (Sylvie Tellier, ndlr), on va vers ce genre de changement, » se dit Krystel avec optimisme.
« La société juge sur les apparences »
À la pause déjeuner, les deux femmes sont rejointes par l’actuelle Miss Curvy Alsace, Désirée Tschirhart, et la présidente du comité régional, Esclarmonde Ramadour. Cheveux rouges et look cabaret, cette dernière a repris les rênes du concours en 2018. Ancienne obèse, elle a subi une opération qui lui a fait perdre 80 kg pour des raisons de santé. Elle explique ne pas vouloir « lâcher les femmes qui ont du mal à s’assumer face à une société qui juge sur les apparences. »
Sirotant un Irish coffee, Esclarmonde confie à ses protégées ne pas avoir encore pu caser les 5 séances d’essayage de toutes les candidates. En raison du confinement, le temps de préparation a été écourté. La présidente compose également avec les disponibilités de chacune.
Reprise de la route. « 13h30, on ne sera jamais à l’heure » s’inquiète Krystel qui surveille fréquemment l’horloge de son téléphone branché en GPS. En cortège, les femmes s’engouffrent dans le Vieux-Thann, à la recherche d’une tenue de défilé chez Boutique B2G, un magasin partenaire du concours.
« Difficile de s’habiller sans ressembler à des grand-mères »
En entrant dans la boutique, tout de suite à droite, un carré de tringles est dédié aux grandes tailles. Krystel plonge les mains dans les tissus polychromes, les écarte, en retire une robe blanche, trop petite se désole-t-elle :
« Avant de découvrir la boutique Shein, par exemple, il était difficile de s’habiller sans ressembler à des grand-mères. La mode n’était pas adaptée pour les grandes tailles. Aujourd’hui je trouve plus facilement. »
La commerçante n’a pas encore reçu sa nouvelle collection. Les candidates devront revenir pour passer commande. Sur place, elles essaient de multiples tenues, pour le plaisir. Les rideaux de la cabine ondulent au gré des essayages. À chaque nouvelle tenue, les femmes s’affairent, se complimentent, rabattent une étiquette qui dépasse, tiennent un masque le temps d’une photo. « J’ai trois mamans en fait, » s’amuse Krystel, entourée par les trois femmes à l’essayage d’une robe fleurie.
Prochaine étape : la boutique Capris Vintage Store à Dannemarie, 25 km plus au sud. « Mon petit doigt me dit qu’on va devoir revenir là-aussi, » augure Krystel.
« Vous allez trouver des vêtements dans ce coin, » indique la responsable en désignant plusieurs rayons. Des robes colorées et des tenues vintage s’y suspendent. Les enceintes diffusent une ambiance rockabilly, la déco évoque les fifties. Sans se faire prier, les femmes commencent à fouiller.
« Ça te fait de ces fesses ! »
Après quelques minutes, Sabrina balance entre une tenue en jean, un tailleur et une combinaison moulante. Elle les essaiera tous les trois, en plusieurs tailles, s’observant sous toutes les coutures devant le miroir. « Ça te fait de ces fesses ! Celle-là te met vraiment en valeur, une vraie pin-up », lui lâche Esclarmonde au sujet de la combinaison.
Krystel opte pour le chic d’une robe noire aux motifs de cerises, ceinte d’un ruban rouge. « Il faudra ajouter un jupon, pour donner du volume » précise-t-elle satisfaite. Les essayages durent tout l’après-midi. Les tenues de soirées sont commandées par les deux candidates. Pour Sabrina, ces moments passés dans les boutiques constituent des « transferts de confiance entre filles. » Krystel reprend :
« Quand t’es en groupe, ça te montre que t’es pas toute seule dans ton cas, t’es avec d’autres filles complexées. On a toutes des complexes qu’on apprend à oublier ensemble. »
« C’est des reines de beauté, » s’émerveille une fillette passant devant la porte ouverte de la boutique. « La vérité sort de la bouche des enfants », rétorque l’une des modèles.
Si Krystel est pleinement investie dans la préparation du concours aujourd’hui, elle envisage à l’avenir de profiter de son expérience afin de conseiller des femmes qui se sentent complexées :
« Les photos que je fais montrent une évolution. Ça pousse d’autres filles à se lancer. Sur le long terme je voudrais aider à mon tour les personnes qui se sentent mal, leur apporter du positif, croire en elles. »
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