Un mois après les faits, Florian, livreur Deliveroo, n’a toujours pas digéré la contravention pour rupture du confinement qu’il a reçue alors qu’il travaillait au centre-ville de Mulhouse :
« Le policier m’a réclamé mon attestation dérogatoire. J’ai expliqué qu’en tant que livreur Deliveroo, je n’en avais pas besoin. Je lui ai montré mon justificatif professionnel, le Kbis de mon auto-entreprise et ma carte d’identité. Mais il n’a rien voulu savoir. »
Florian écope d’une amende de 135 €, « c’est deux jours de travail ! » Mais le plus dur à accepter pour le jeune homme, c’est l’injustice :
« J’ai vérifié, j’étais bien en règle. Et les agents qui m’ont contrôlé depuis me l’ont confirmé. C’est fou qu’un policier ne connaisse pas la loi, non ? »
La case de trop pour Miroslav
Autre contravention entachée d’erreur, celle de Miroslav. Cet entrepreneur allemand habite Strasbourg :
« Quand j’ai passé la frontière, c’était bon. J’ai montré à un policier la facture d’électricité de mon appartement à Strasbourg, un papier qui dit que je gère une société à Francfort, et l’attestation de sortie. »
Mais cette nuit de début avril, un autre policier qui contrôle Miroslav alors qu’il se gare devant chez lui n’a pas la même analyse :
« Il a dit : “C’est pas bon, il y a deux cases cochées !” J’ai expliqué que j’avais acheté du pain en partant au travail. Mais le policier m’a quand même mis une amende. Après il m’a demandé de le suivre avenue des Vosges pour vérifier les papiers de ma voiture. Et tout le temps, il m’a parlé comme si j’étais un chien. C’est normal en France ? »
« Les règles ont changé au fil du confinement »
Selon les informations mises en ligne par le ministère de l’Intérieur, Florian et Miroslav étaient bien en règle. Joël Irion, chargé de communication à la Direction départementale de la sécurité publique du Bas-Rhin, admet qu’il peut exister des erreurs, notamment en raison des règles changeantes :
« Je ne commente pas des cas particuliers, c’est la parole des uns contre la paroles des autres. Rappelons que nous vivons une situation exceptionnelle pour tout le monde. Les règles de confinement, qui sont là pour protéger la population et non produire des amendes, ont changé au fil du temps. L’erreur est humaine, même pour un policier. »
Certes, mais l’ennui est que les amendes tombent vite tandis que les contester reste compliqué. Comme dans le cas de ce policier qui ne voulait pas admettre que, pour déménager son appartement, Pierre-Paul n’avait pas besoin d’attestation dérogatoire de sortie :
« Juste mon nouveau bail et la résiliation de l’ancien, comme me l’avait d’ailleurs indiqué le commissariat. Mais le policier ne me croyait pas, et refusait de joindre le commissariat pour vérifier. Il a même voulu m’interdire de l’appeler ! C’est seulement quand il a entendu la confirmation dans le haut-parleur de mon téléphone qu’il a laissé tomber, très vexé. Je me demande ce qui serait arrivé à quelqu’un ayant moins de répondant que moi ? »
Cependant, le kiné précise : « Ça fait un mois que je vide petit à petit cet appartement du centre de Strasbourg. Tous les autres contrôles se sont bien déroulés. »
« Vous êtes à 3 km de chez vous »… à 2 km près
Pour Émilie, ce qui a été problématique, c’est la fiabilité du contrôle. Fin mars, elle est arrêtée par un policier des CRS alors qu’elle se promène avec ses deux enfants près du stade de la Meinau :
« Après m’avoir fait la morale : “Vous êtes irresponsable de vous promener avec vos petits ! Vous voulez finir entre quatre planches ?”, il a regardé mon adresse, consulté son téléphone m’a dit : “Vous êtes à trois kilomètres de chez vous. Je verbalise.” J’ai eu beau protester, il a tapé la contravention. »
De retour à la maison, la graphiste vérifie sur internet. Et constate qu’elle avait raison :
« Aucun doute : je n’ai pas été contrôlée à trois kilomètres de chez moi mais à 900 m ! J’étais dans le rayon d’un kilomètre autorisé. Alors c’est bien de faire appliquer la loi, encore faut-il savoir se servir des outils. »
« Deux dans la même voiture ? C’est interdit «
Parfois, aux erreurs s’ajoutent des exigences abusives. Caroline et Ange, son compagnon, vont à la poste de Schiltigheim envoyer un cadeau d’anniversaire en Australie. « Celle du Neudorf était fermée ; Ange n’a pas son permis et il ne parle pas français » s’excuse presque la jeune femme.
Ils sont arrêtés lors d’un contrôle routier :
« Quand j’ai voulu montrer au policier nos attestations, il a dit : “Je m’en fiche, de toute façon vous n’êtes pas en règle : vous n’avez pas le droit d’être dans la même voiture juste pour aller faire une course.” Je lui ai assuré que j’avais vérifié sur internet, il m’a répondu : “Ce n’est pas parce que vous avez lu que vous avez compris.” Et il a rempli le PV. »
Pourtant, au troisième jour du confinement, le déplacement à deux personnes co-confinées est autorisé. Mais le couple n’est pas au bout de ses surprises :
« Le policier a ordonné à Ange de descendre et de finir le trajet à pied ! Sinon il ne nous laissait pas repartir ! »
La conseillère en économie sociale ressent encore l’injustice et l’humiliation :
« Pendant trois semaines, nous n’avons plus osé prendre de voiture, ni même sortir ensemble. »
« La pilule ? Pas de première nécessité ! »
Sarah, étudiante de 22 ans, a terminé sa plaquette de pilules. Alors ce matin de début avril, elle prend son ordonnance, coche sur son attestation la case « Déplacement pour effectuer des achats de première nécessité » et sort de son appartement, à l’Esplanade, en direction de la pharmacie la plus proche. Elle est contrôlée par trois policiers à vélo :
« Le chef m’a demandé mon ordonnance. Je la lui ai donnée. Il m’a demandé de quel médicament il s’agissait. Quand je le lui ai dit il m’a répondu : “Ce n’est pas un achat de première nécessité. Vous n’avez le droit d’aller chercher en pharmacie que des médicaments pour vous soigner. Je vous verbalise.”
La voix de la jeune femme en tremble encore :
« De la part de trois hommes, c’était encore pire. J’étais révoltée, je n’ai pas osé répondre. On voit tellement de vidéos où les gens qui protestent sont menottés, brutalisés… Et puis je craignais qu’ils m’empêchent d’aller à la pharmacie. »
À ce jour, Sarah n’a cependant pas reçu d’avis de contravention.
Pour Me Arnaud Dupuy, avocat pénaliste au barreau de Strasbourg, l’agent verbalisateur a clairement outrepassé sa mission :
« Les policiers doivent vérifier que les attestations sont correctement remplies et que le motif qui y est porté correspond à la réalité. C’est tout. Si un établissement est autorisé à ouvrir, les personnes qui s’y rendent ont le droit d’y acheter ce qu’elle veulent. Les policiers peuvent vous demander d’ouvrir votre sac de course mais ils n’ont pas le droit d’en inspecter le contenu. Encore moins de contrôler une ordonnance ou de demander pourquoi vous allez chez le médecin : ces informations sont protégées par le secret médical. »
Au CMCO : « Est-ce que madame vient pour un contrôle de grossesse ? »
Alexandra estime, elle aussi, qu’on a attenté au secret médical la concernant. Enceinte de cinq mois et demi, elle est contrôlée le premier jour du confinement alors qu’elle se rend, en fauteuil, au centre médico-chirurgical obstétrique de Schiltigheim. Le policier municipal lui dit qu’elle est en règle, mais il la suit jusqu’à l’établissement, puis la devance à l’accueil :
« Il a demandé à la secrétaire : “Est-ce que madame a bien rendez-vous chez vous pour un contrôle de grossesse ?” Elle l’a regardé droit dans les yeux et elle lui a dit : “Les dames qu’on reçoit ici ne viennent pas pour une manucure !” Mais franchement, c’est quoi ces méthodes ? »
Combien de verbalisations ? Secret d’État !
Confronté à ces récits, Joël Irion ne désavoue pas les policiers et invoque la subjectivité des contrevenants :
« Je ne connais personne qui soit content de recevoir une contravention, même pas moi. Mais toute personne pensant avoir été injustement verbalisée a la possibilité de contester sa contravention : nous sommes dans un État de droit. »
Contrairement aux PV de circulation, pour la rupture de confinement, il n’y a pas d’amende minorée. Le tarif reste de 135€, avec ou sans contestation, tant que les délais sont respectés. Mais il est impossible d’obtenir ne serait-ce que le nombre de verbalisations pour non-respect du confinement dans le Bas-Rhin… Interrogé, le ministère de l’Intérieur n’a pas craint de répondre : « Nous ne disposons pas de chiffres territorialisés. » Les chiffres nationaux, en revanche, sont publiés : au 23 avril il y avait eu 915 000 verbalisations pour 15,5 millions de contrôles, soit près de 6%. Reste à voir combien feront l’objet d’une contestation.
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