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« Je sais qu’on est déjà mort » : colère et dépit chez les ouvriers de Dumarey Powerglide

À partir du samedi 31 août, les ouvriers de l’usine Dumarey Powerglide située à Strasbourg ne produiront plus une boîte de vitesses automatique qui représentait près de 80% du chiffre d’affaires de la société. Suite à ce fiasco, les ouvriers s’attendent à une fermeture du site qui emploie plus de 500 personnes.

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Après 34 ans dans l’usine Dumarey Powerglide, André Dulery ne compte pas partir avec le minimum.

« Vous avez vu le panneau les gars ? C’est parfait pour la photo. » Bras dessus bras dessous, la petite délégation d’ouvriers de l’usine Dumarey Powerglide se serre pour rentrer dans le cadre. Devant l’objectif, les salariés lèvent le poing, sourient, alors qu’au-dessus de leur tête trône un petit panneau rouge, marqué des lettres blanches : « Sans issue ».

Quelques instants plus tôt, ils avaient participé à une réunion au sein de la Maison des syndicats, vendredi 30 août, évoquant les emplois menacés dans le secteur automobile. Un sujet qu’ils maîtrisent bien : la survie de leur usine Dumarey Powerglide, au Port du Rhin, est désormais menacée avec le départ du plus gros client de l’entreprise, l’équipementier allemand ZF.

À Strasbourg, le site de Dumarey Powerglide se situe au Port du Rhin.Photo : Roni Gocer / Rue89 Strasbourg

Spécialisée dans les boîtes de vitesses, l’usine Dumarey produisait essentiellement pour le groupe allemand le modèle « 8HP »- cette pièce représentait près de 80% de la production du site. À partir du samedi 31 août, cette production s’arrête. La perte de chiffre d’affaires attendue pourrait être fatale pour la société. Le tribunal de Strasbourg examinera lundi 16 septembre une demande de procédure de sauvegarde.

591 emplois menacés

« Ce produit concernait à peu près 200 personnes en CDI », traduit André Dulery, délégué CGT au sein de l’entreprise, qui dénonce en intersyndicale avec la CFDT les répercussions de cette perte de clientèle. « Nos volumes de production étaient initialement de 100 000 à 80 000 pièces. La semaine dernière, la DRH nous annonce que les volumes ne seraient plus que de 52 000 pièces. » Précis, l’ouvrier raconte la chronique d’une débâcle annoncée. Onze ans plus tôt, en 2013 quand Dumarey Powerglide produisait pour ZF, l’usine comptait près de 1 000 salariés, elle n’en compte plus que 591 en CDI en août. Dans une réunion extraordinaire du comité social d’entreprise (CSE) en avril, la direction indiquait ne pas prévoir de plan social ni de chômage partiel.

« Sur l’ensemble des salariés en CDI, 267 s’occupent de la production » précise Haydar Turan, lui aussi délégué à la CGT. Le syndicaliste précise tout de suite : « Tous les postes vont être touchés. Les personnes qui s’occupent de la maintenance, la qualité, les méthodes… » André Dulery renchérit : « C’est l’affaire de tout le monde, de tous les salariés de l’entreprise. Dès qu’un secteur est touché, c’est tous les secteurs qui sont concernés. » Les quelques 200 salariés intérimaires risquent d’être les premiers à voir leurs missions réduites.

À droite, Haydar Turan accuse la direction et l’actionnaire principal, Guido Dumarey, d’avoir pris de mauvaises décisions.Photo : Roni Gocer / Rue89 Strasbourg

Dépendance économique dangereuse

En aparté, dans l’un des couloirs de la Maison des syndicats, le syndicaliste soupire. Il n’a pas beaucoup d’espoir pour les emplois : « Je ne connais pas l’échéance mais je sais qu’on est déjà mort. » Après 34 ans dans la boîte, il espérait un départ plus digne :

« Moi je suis en fin de carrière, j’ai 61 ans, je suis tiré d’affaire. Mais pour les plus jeunes, ça m’inquiète. La moyenne d’âge est de 52 ans dans l’entreprise, et sur le marché du travail on est déjà “senior” à 45 ans. Il faut imaginer ceux qui ont plus de 50 ans refaire un CV, une lettre de motivation… »

En dehors de la production de boîtes 8 HP, l’usine produit également des composants en plus petites quantités, notamment pour Stellantis et ZF. Des pièces qui ne concernent qu’une centaine d’emplois, estime Haydar Turan. Son collège André fulmine, sur la dépendance de son usine à un seul client, ZF : « Ça fait des années qu’on tire la sonnette d’alarme. Il n’y a eu aucune volonté de la direction locale de se diversifier et de trouver de nouveaux clients. Aujourd’hui, elle est responsable de cette situation. »

« On ne veut pas être virés comme des malpropres »

André Dulery, syndicaliste

Si le syndicaliste ne se fait pas d’illusions sur le maintien des emplois, il reste déterminé à ne pas accepter passivement la situation :

« La priorité, c’est de conserver les emplois bien sûr. Mais le problème, c’est que face à cette situation on en est pas là. Alors on fera des actions spontanées pour obtenir un fonds de garantie, qu’on estime à la CGT à 60 millions d’euros, ce qui représente 100 000 euros par salarié. On ne veut pas partir avec le minimum légal après 20 ou 25 ans d’ancienneté. »

« On ne veut pas être viré comme des malpropres », reprend Haydar Turan. « On est des êtres humains, on a plusieurs centaines de salariés, avec des familles là dedans. Dumarey doit payer la casse sociale. » Dans les semaines qui viennent, les salariés entendent se mobiliser, notamment à l’occasion du prochain Salon de l’auto, qui débutera le 14 octobre. « On prévoit aussi de descendre dans la rue en septembre, pour se faire entendre », assure l’ouvrier. « On espère que les politiques ne laisseront pas faire. »


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