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À l’Université, un peu de présentiel mais beaucoup de « demerdentiel » pour les profs

Habitués des amphithéâtres remplis de centaines d’élèves, les professeurs de l’Unistra expérimentent depuis mars 2020 l’enseignement à distance. Mettant à rude épreuve leurs capacités d’adaptation, c’est sur eux qu’a pesé toute la mise en place des nouvelles méthodes d’enseignement.

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« On a l’impression que l’enseignement supérieur repose plus que jamais sur nos épaules, et sur notre conscience professionnelle », estime Pierrick Poisbeau. Professeur à l’Université de Strasbourg et membre de l’Institut universitaire de France, il enseigne la neurobiologie depuis plus de 23 ans.

Le 17 mars 2020, l’université ferme ses portes et tout le monde doit s’adapter : l’enseignement se fera maintenant en distanciel. À l’époque, « on n’a eu aucune directive », se souvient Pascal Darbon, directeur adjoint de l’Institut des Neurosciences Cellulaires et Intégratives (INCI) et maître de conférences en neurobiologie et physiologie depuis 14 ans. Un souvenir partagé par leur collègue François Gauer, alors vice-président en charge de la transformation numérique et des innovations pédagogiques :

« La première réaction a été : faites comme vous pouvez pour faire passer le message qui est habituellement le vôtre, et que vous connaissez mieux que personne ». Un message qui n’a pas vraiment changé depuis.

Toujours 80% des enseignements à distance

En mars 2021, l’outil le plus utilisé est la visioconférence avec la plateforme BBB. Après un retour très limité des étudiants dans leurs établissements depuis le 8 février, 80% des enseignements se font encore à distance. Les cours se déroulent « en direct » ou enregistrés par les professeurs. Et ce sous différentes formes : séances de questions, vidéos explicatives ou cours inversés par exemple – les élèves préparent leurs cours à l’aide de documents fournis, et se retrouvent en visioconférence pour parler de ce qu’ils ont appris chacun de leur côté. Les 20% de cours sur le campus sont essentiellement les travaux dirigés en petits groupes, ou avec une « hybridation » entre élèves présents et ceux en visioconférence simultanée. Pierrick Poisbeau et Pascal Darbon ont tous deux opté pour une formule de « cours inversés », permettant aux étudiants d’avoir accès au contenu du cours à tout moment avant de se retrouver en groupe.

Capture d’écran de Pascal Darbon, directeur adjoint de l’Institut des Neurosciences Cellulaires et Intégratives (INCI). Une image qui illustre selon lui « la solitude de l’enseignant devant son ordinateur » (document remis).

De l’auto-formation systématique

En mars 2020, Pierrick Poisbeau s’équipe d’une tablette graphique et d’un casque, pour environ 150 euros. L’enseignant acquiert en outre une licence Zoom, en plus de celle de l’Unistra. « On était tellement saturés sur les réseaux institutionnels, et je ne voulais pas mettre les étudiants en difficulté en raison de problèmes techniques », justifie-t-il.

Un an plus tard, « on n’arrive toujours pas à aider tout le monde », convient Sophie Kennel, directrice l’Institut de Développement et d’Innovation Pédagogique (Idip), la structure d’accompagnement de l’Unistra fondée en 2013. Des outils techniques et pédagogiques sont proposés, « mais ça prend du temps pour les apprivoiser », abonde François Gauer, de la direction de l’Unistra, en dépit des nombreux échanges téléphoniques. « Cela fait partie de la profession que de se former sur ses heures à soi, comme lorsqu’on prend un nouveau cours », ajoute-t-il.

Mais après un an avec ces nouveaux outils, « certains collègues sont démotivés, car ça demande un important investissement temporel », regrette Pascal Darbon, qui parle « d’effort invisible » pour qualifier cette adaptation des professeurs. Dans les couloirs des facs, après cette année, on qualifie encore le distanciel de « démerdentiel ».

Une reconnaissance évanescente

Pour créer un examen sur Moodle, la plateforme d’apprentissages à distance de l’Unistra, Pierrick Poisbeau a tâtonné pendant plus d’un mois. Après la prise en main, il lui aura fallu quinze jours pour générer un seul examen. Seuls quelques messages de la direction et de doyens « pour dire qu’ils savaient qu’on était en difficulté, et nous remercier » font office de reconnaissance en filigrane.

Les efforts des professeurs auraient pu être compensés financièrement. À l’université Sorbonne Nouvelle par exemple, ils ont reçu une prime covid allant jusqu’à 1 000 euros. Rien n’a été décidé ni communiqué dans ce sens à l’Unistra. « Il existe déjà une prime pour l’implication pédagogique« , précise Sophie Kennel. Pour candidater et obtenir jusqu’à 8 000 euros brut, il faut justifier de 6 ans d’ancienneté, et envoyer un dossier de 40 pages montrant un « engagement exceptionnel. »

L’Unistra répond que ses enseignants peuvent candidater à l’appel à projets Déphy, qui veut « promouvoir » les modes d’enseignements « hybrides » mis en place depuis le confinement. Mais celui ne se terminera qu’en mars 2022. Les professeurs pourront y trouver des financements pour des méthodes pédagogiques qu’ils ont créées ou expérimentées, telles les vidéos, infographies, ou éléments interactifs. Doté d’un million d’euros par l’Agence Nationale de la Recherche, il permettra une « reconnaissance intellectuelle et universitaire » et de généraliser certaines innovations. Mais aussi un investissement de temps supplémentaire aux professeurs débordés.

Le poste de télétravail de Pierrick Poisbeau, professeur de neurobiologie à l’Unistra (document remis).

« Ce qui m’a surpris, c’est le silence des étudiants »

La visioconférence est au centre des interactions. « Ce qui m’a surpris, c’est le silence », décrit Pierrick Poisbeau. Sur ses 400 étudiants de licence 2, moins de 10% suivent en direct ses cours à distance. Rien à voir alors avec les bruits habituels d’un amphithéâtre classique. « Ceux qui étaient là avaient l’air très contents d’avoir un prof en face d’eux, c’était humainement très riche », relève-t-il.

Lorsqu’une étudiante lui confie ne pas avoir accès à un livre, il lui propose de lui apporter le sien, alors qu’en raison du confinement total, sortir de chez soi était interdit : « Je lui ai transmis l’ouvrage sur le campus, en plein confinement, c’était à peine croyable ». 

Pour échanger avec ses élèves, Pascal Darbon décide d’enregistrer son cours en vidéo et d’organiser ensuite des séances de questions, entre 30 minutes et une heure aux horaires habituels :

« Ma fille est étudiante, et je me rends bien compte que suivre 6 heures de visioconférence consécutives, ce n’est pas possible. »

Le journal interne de l’Université de Strasbourg, l’Actu promeut les outils numériques comme favorisant l’interactivité, mais « on a surtout perdu en réactivité » estime l’enseignant expérimenté. Lors des séances de questions, peu nombreux sont les étudiants qui acceptent d’activer leurs vidéos. Connectés à travers l’audio et le tchat uniquement, la communication non-verbale est quasi impossible, ce qui « réduit les retours que l’on peut donner aux étudiants ». Avant, il pouvait trouver dans un soupir ou dans un regard une façon de voir comment son enseignement était reçu, s’il était compris. Ce n’est plus le cas à travers un écran.

Pierrick Poisbeau a retranscrit ses notes de cours en un livre de 150 pages pour ses étudiants de licence 2. « Ça m’a pris un temps fou, » avoue-t-il, « mais je ne voulais pas d’incompréhension, pas de mauvaises prises de notes. » Et c’est durant des séances de questions-réponses en visioconférence qu’il constate le besoin de communication de ses étudiants. « Certains nous appelaient au secours, avaient besoin d’écoute, et ça a créé un lien ».

Les profs en première ligne face à la détresse étudiante

Pour ses élèves de Master, c’est leur orientation qui inquiète le professeur. « J’ai l’impression de les avoir perdus. » En temps normal, les trois-quarts des effectifs poursuivent avec un doctorat de recherche d’au moins trois ans en neurobiologie. Cette année, il ne sont que 30% à se projeter sur cette voie. « Le lien avec les aînés est coupé, on perd l’enrichissement de la communauté, qui leur permettait une réflexion », explique l’universitaire. « C’est plus compliqué pour l’étudiant qui avait besoin du groupe pour progresser », constate Pascal Darbon de son côté.

Lors d’un cours sur la dépression, Pierrick Poisbeau a pu constater la fragilité d’une partie de ses étudiants. Il en a orienté certains vers des cellules d’aide psychologique. Pour d’autres, il comprend qu’ils n’arrivent pas à subvenir à leurs besoins primaires. « Il y a beaucoup de pudeur », remarque-t-il, mais redoute un phénomène de décompensation : « C’est ce qu’on a observé en période de crise chez des patients, dans des études que l’on a menées au laboratoire, » ajoute-t-il. En clair : la santé mentale ou physique se dégrade soudainement. Et si tel est le cas, Pierrick Poisbeau aura du mal à le détecter, faute de contact réel avec ses promotions.


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