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Unique eurodéputée alsacienne, qu’a fait Anne Sander ?

Peu de gens connaissent Anne Sander, seule rescapée alsacienne des élections européennes de 2014. Et c’est normal car l’eurodéputée n’est pas la figure d’une cause particulière. Héritière d’une tradition agricole, elle se définit comme une technicienne et suit sa famille politique. En revanche, elle s’enflamme pour l’idéal européen.

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Sur les 9 eurodéputés du Grand Est élus au printemps 2014, il ne reste plus qu’une seule Alsacienne : Anne Sander, issue de la liste PPE (droite).

Au Parlement Européen, Anne Sander dit défendre l’industrie, les PME et l’emploi (Photo DL/ Rue 89 Strasbourg/ cc)

Assidue mais discrète

Anne Sander est dans les 5 premiers eurodéputés français sur 74 au niveau de la présence et du vote en plénière. Elle n’a pas produit de rapport mais en débute un sur la formation professionnelle. Elle a publié des avis, notamment celui sur les relations UE-Suisse et les obstacles à la mise en œuvre du marché intérieur.

Intervenue près de 100 fois en séance plénière, elle a présenté 8 propositions de résolutions depuis le début de son mandat. À ce niveau-là, le site MEP Ranking la classe 52e, devant les médiatiques Jean-Luc Mélenchon, Nadine Morano ou Rachida Dati. À l’inverse, certains députés comme son collègue Arnaud Danjean du PPE en ont déjà déposé des dizaines.

Ses dernières interventions en séance plénière, à chaque fois dans un hémicycle déserté, concernaient des thèmes variés, allant de la crise porcine au dumping social du transport routier, en passant par les voitures autonomes… Ses récents travaux et publications mettaient en avant la fin de l’itinérance des télécoms dans l’Union Européenne :

« Réflexions » sur l’emploi et l’industrie

Sur quoi Anne Sander a-t-elle alors travaillé ?

Le Parlement Européen a adopté sa résolution de juillet 2014 sur l’emploi des jeunes, qui presse l’UE de créer un cadre favorable aux PME, et les Etats à prendre des mesures fortes de lutte contre le chômage des jeunes, notamment en favorisant les programmes de mobilité comme EURES.

D’autres résolutions plus techniques suivront, comme celle sur la révision des lignes directrices de la Commission concernant l’analyse d’impact et le rôle du test PME ou celle sur la liste de questions adoptée par le Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies à l’égard du rapport initial de l’Union européenne.

Ses autres propositions adoptées concernent le secteur industriel, comme sa résolution sur le secteur sidérurgique dans l’Union européenne, ou, récemment, celle qu’elle a co-signée, sur « une réelle politique industrielle européenne », (autour de l’actualité d’Alstom et Caterpillar), qui exhorte la Commission et les Etats membres à mettre en place des mesures concrètes pour renforcer la compétitivité du marché européen et à promouvoir une nouvelle politique industrielle.

Pour la libération de Mossoul

Le député écologiste Yannick Jadot a cosigné cette résolution. À titre de comparaison, il a été en charge de 9 rapports, par exemple sur le développement d’une industrie européenne durable, ou sur l’assistance financière à l’Ukraine, et une dizaine de propositions de résolutions sur la reconnaissance de l’Etat Palestinien ou le statut d’économie de marché de la Chine. Il se classe lui 44e sur la présence en plénière et la participation au vote.

À la dernière session plénière, Anne Sander a voté, comme ses collègues du PPE, pour une résolution soutenant l’intervention irakienne pour libérer Mossoul, ou encore pour une résolution demandant la fin des obstacles au service volontaire européen.

Lors des sessions strasbourgeoises, les eurodéputés arrivent le lundi après-midi au bâtiment Louise Weiss du Parlement Européen (Photo DL/Rue 89 Strasbourg/cc)

Brexit et TAFTA : positions prudentes sur les sujets brûlants

Sur les gros dossiers qui traversent l’Union Européenne, on n’entend guère Anne Sander. Au moment du Brexit, elle appellera à une sortie rapide du Royaume-Uni, pour « éviter une période d’instabilité pour les 27 », causée par de longues renégociations d’accords entre l’UE et les britanniques. Pour elle, pas de demi-mesure pour les sortants :

« Les Anglais doivent être conscients qu’ils ne pourront bénéficier des mêmes avantages qu’auparavant. Dehors, c’est dehors ».

Au sujet du TAFTA, son silence a été tout autant assourdissant. Interpellée sur ce dossier, elle se veut rassurante quant à la transparence des négociations, et assure qu’elle et ses collègues du PPE sont vigilants sur la protection des normes européennes agricoles et de santé, et sur la protection de la vie privée.

Concernant l’arrivée massive de réfugiés en Europe, elle a notamment interpellé la Commission, avec d’autres eurodéputés PPE, sur la politique d’accueil sanitaire des femmes dans les camps de réfugiés :

« Alors que la société civile et les associations européennes se mobilisent massivement face à la situation sanitaire extrêmement préoccupante des réfugiés, notamment des femmes réfugiées et demandeuses d’asile, la Commission européenne, devant une telle situation de détresse humaine, compte-t-elle apporter un soutien financier et matériel aux organisations qui œuvrent déjà sur le terrain en Europe ? »

Mais elle n’a reçu qu’une réponse technique et évasive.

Entrée par la petite porte…

Anne Sander le concède elle-même, elle est peu connue du grand public :

« Quand j’accueille des jeunes et que je leur demande qui sont leurs eurodéputés, ils sont incapables de me répondre. »

Qu’est-ce qui l’a poussée à s’engager alors ? Elle en rit :

« Moi ma famille c’était des paysans. »

La famille Sander est pourtant loin de l’image d’épinal d’agriculteurs alsaciens discrets. Houblonnier à Ohlungen près de Haguenau, son frère Franck Sander est très en vue en tant que président de la section bas-rhinoise du premier syndicat agricole (FDSEA). Quant à son père, Jean-Marie Sander, aussi houblonnier, entre le syndicalisme (Jeunes agriculteurs puis FDSEA), et l’engagement politique, il est devenu banquier et a présidé le Crédit agricole jusqu’à la fin 2015.

En fait, Anne Sander est arrivée à la politique par cooptation. Au cours de son doctorat d’économie à l’Université de Strasbourg, Joseph Daul, eurodéputé dès 1999, l’engage au Parlement Européen au début des années 2000 :

« C’était d’abord pour accueillir des groupes qui venaient visiter, et puis j’ai fini à plein temps, en tant qu’attachée parlementaire. »

Elle le restera jusqu’en 2014, tandis que Joseph Daul parvenait jusqu’à la présidence du groupe PPE. Elle a aussi évolué dans le monde économique et consulaire, à la Jeune chambre économique d’Alsace ainsi qu’au Conseil économique, social et environnemental régional (CESER) d’Alsace.

Présente mais invisible

Le profil, discret et réservé, d’Anne Sander tranche avec l’environnement de la délégation française du PPE, où se côtoient Rachida Dati, Michèle Alliot Marie, Nadine Morano… Elle le reconnaît :

« Partout, il faut se faire sa place. En circonscription, au niveau européen… Il faut occuper le terrain sans arrêt. C’est très prenant mais au bout d’un moment, il y a un retour. »

Des attachés parlementaires de ses collègues confirment :

« Anne Sander est très présente, à toutes les réunions. Et dans ces moments, souvent les députés les plus connus n’y sont pas. Il n’y a pas de compétition entre les députés, mais elle prend régulièrement la parole. »

Mais par rapport à sa visibilité et son rapport aux médias, elle semble chercher encore ses marques. D’après une journaliste régulièrement présente au Parlement et auprès des français du PPE :

« Elle a encore un manque d’envie ou de courage face aux médias. Lors d’une émission diffusée en direct sur une chaîne nationale vers le début de son mandat, elle avait beaucoup appréhendé. Elle manque encore de spontanéité : si on doit interroger un député dans un couloir sur une question d’actualité, on ne va pas aller vers elle mais vers quelqu’un de plus efficace. »

La politique des couloirs

Dans les couloirs du Parlement, lorsque débute une séance plénière, élus et collaborateurs bourdonnent et s’agitent. Au bar du Parlement, on croise Edouard Martin, le syndicaliste d’Arcelor-Mittal devenu eurodéputé (PS). En sortant, Anne Sander se fait interpeller par une collègue polonaise sur sa position sur un des thèmes de la semaine, l’internalisation des chauffeurs de taxi du Parlement :

« Il faut que j’en discute avec ma délégation. Je suis d’accord avec toi bien sûr, on a des réserves, mais je ne peux pas entamer le sujet comme ça. Si tu en parles, j’embrayerai dessus. »

Anne Sander donne le sentiment d’une bosseuse de l’ombre. Mais elle est plus suiviste que meneuse. Elle assure :

« Avec mon équipe, on est de plus en plus convié aux réunions informelles, je suis régulièrement consultée maintenant. »

Méthode Coué ? Une journaliste abonnée aux communiqués de presse du PPE n’en voit pas le résultat :

« C’est clair que dans le groupe PPE, elle est assez effacée. C’est une suiveuse par rapport aux Lamassoure et consorts. Dans les communiqués de presse que l’on reçoit du PPE, c’est toujours les opinions des mêmes “grandes gueules” qu’on retrouve, mais pas les siennes. Comme quoi sa voix ne porte pas plus que cela au sein du groupe. »

Le Groupe Pflimlin défend le siège unique du Parlement Européen à Strasbourg (Photo DL/ Rue 89 Strasbourg/ cc)

Des « dadas » terre à terre

Quand on lui demande ce qui la fait vibrer, ce qui la passionne, ce qu’elle a envie de défendre, Anne Sander s’en tient au « travail de tous les jours » et déroule son CV en rappelant qu’elle est membre de la commission Emploi et Affaires Sociales et de la commission Industrie.

Relancée sur les domaines où elle pense apporter quelque chose, elle détaille :

« Je travaille sur l’emploi et l’innovation. Les PME, c’est un peu mon dada. Je veux faire en sorte qu’elles tirent les bénéfices du marché commun. Et je travaille aussi sur la formation professionnelle et l’alternance. »

Son héritage agricole a aussi laissé des traces : elle interpelle régulièrement la Commission et les députés sur des sujets comme le maintien et la simplification de la PAC, la crise porcine ou la santé au travail dans les vignobles. Elle se tourne aussi vers le gouvernement français quand elle cosigne une motion de soutien à l’agriculture française ou demande au Président français de prendre des mesures fortes pour enrayer la crise agricole.

Une eurodéputée utile aux agriculteurs alsaciens

Son frère Franck Sander, président de la FDSEA 67, lui reconnaît une utilité pour les agriculteurs alsaciens :

« En tant que seule eurodéputée de notre région, c’est forcément un bon relais, dans les deux sens : elle fait remonter nos préoccupations d’abord. Elle n’est pas dans la commission agriculture, mais elle est souvent invitée dans les assemblées générales d’agriculteurs, par exemple des Jeunes Agriculteurs. C’est une des rares qui revient toujours vers nous, qui revient chercher l’information.

Mais surtout, elle nous apporte des connaissances sur l’Europe et son rôle dans l’agriculture. Les politiques français se dédouanent souvent sur l’Union Européenne, mais avoir une eurodéputée qui vient nous parler de la PAC et des autres dossiers, ça nous permet de voir ce qui relève de l’UE et comment la France met en œuvre les politiques. »

Tout suivre, au risque de ne rien porter de particulier avec passion ? Oui et non. Anne Sander l’Alsacienne insiste sur les dossiers transfrontaliers :

« Quand je dépose des amendements, c’est pour tenir compte des régions transfrontalières. Je travaille par exemple sur les implications au niveau de l’Europe de la votation suisse qui limite le nombre d’étrangers pouvant travailler chez eux. Je mène un groupe de travail sur la coopération transfrontalière également. »

La journaliste européenne décrit une députée consciencieuse sur ces sujets :

« Elle est très réglo par rapport à ses propositions. Elle me paraît très sérieuse et soucieuse de ce qu’elle dit. Du coup, elle est aussi à l’opposé de ceux qui parlent pour ne rien dire. »

Vendre l’Europe au public

Anne Sander, victime du système politico-médiatique alors ? En fait, la députée s’illumine quand on parle du projet européen :

« Européenne, oui je le suis. Dans tous les cas pour moi, il faut de l’européen. Il faut trouver une nouvelle dynamique, se concentrer sur les droits des citoyens, c’est aussi cela qui les raccrochera à l’Europe. »

Anne Sander consacre effectivement une bonne partie de son temps à parler d’Europe aux gens, elle sillonne la grande région et ne cumule aucun autre mandat.

Hervé Moritz, ancien rédacteur en chef du blog à thématiques européennes « Le Taurillon » et membre des Jeunes européens, lui reconnaît cette constance :

« C’est l’eurodéputée du coin, elle est sur le terrain, elle répond souvent positivement aux invitations pour des cafés débats, des rencontres avec des étudiants, etc. On sent qu’elle connaît très bien le Parlement Européen, elle a un réseau incroyable. Elle soutient beaucoup de propositions différentes, c’est vrai que c’est un peu compliqué parfois d’identifier ses principaux engagements. Elle travaille sur l’agriculture, dans l’héritage de Joseph Daul. »

« Ce sont les jeunes qu’il faut convaincre »

Ces derniers mois, elle a accueilli plusieurs fois des simulations de Parlement européen pour des jeunes, est intervenue dans des lycées, était présente aux portes ouvertes du Parlement, a fait un tour à la Foire Européenne, et aussi au congrès de la Géothermie à Strasbourg, devant les élus de Wissembourg… Quand elle n’est pas sur Alsace 20 ou dans d’autres médias locaux ou nationaux, elle organise des « rendez-vous européens », où plusieurs fois par an, elle échange sur l’Europe avec le grand public.

Pour elle, cela fait partie du job, quand on veut promouvoir l’échelon européen :

« Ce sont les jeunes qu’il faut convaincre, les possibilités pour eux sont énormes, mais ils ne s’en rendent pas compte. Il faut parler de programmes comme Erasmus+, qui ouvrent les esprits. Il faut parler de l’importance des langues, qui offrent des opportunités, surtout dans notre région frontalière. »

Un combat institutionnel : défendre le siège unique du Parlement à Strasbourg

Son principal cheval de bataille finalement est peut-être pour rapatrier le travail des commissions du Parlement européen à Strasbourg. Anne Sander a repris le « Groupe Pflimlin » de Joseph Daul, avec le député allemand Andreas Schwab. Il réunit les députés qui soutiennent le siège unique du Parlement européen à Strasbourg.

Il existe bien la « Task Force Strasbourg : The Seat » menée par Catherine Trautmann, mais pour Anne Sander, son groupe est différent, il fait remonter les problématiques concrètes des députés (transports, allers retours coûteux, etc.). À l’écouter, le siège à Strasbourg est plus qu’une solution pragmatique :

« C’est dans les traités ! Strasbourg, c’est l’Europe des citoyens, pas l’Europe des marchés. Il faut revenir aux fondamentaux, montrer ce que l’on fait. Ici, on est clairement séparé de l’exécutif. Il faut ramener tout le travail législatif à Strasbourg. Les mini-sessions à Bruxelles n’ont pas lieu d’être ! »

Des arguments quelque peu romantiques, aussi utilisés par la Task Force strasbourgeoise, mais qui semblent avoir peu de prise sur les eurodéputés au vu des votes de défiance envers Strasbourg.

Elle ne s’arrêtera plus sur l’importance de l’Europe et l’urgence de revoir le projet européen pour mettre fin à la méfiance et au désamour du grand public :

« Il faut dire la vérité aux gens, faire un gros travail pédagogique, et faire évoluer le projet européen : le simplifier, établir des priorités, mettre l’accent sur du concret. Il faut s’appuyer sur les élus locaux aussi. On est seulement 9 eurodéputés sur une circonscription qui va de la Champagne à l’Alsace en passant par la Franche-Comté. »

« Mettre l’accent sur du concret », en voilà une idée.


#Anne Sander

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