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« Une régulation des réseaux sociaux est inévitable »

Twitter, Facebook, YouTube sont-ils devenus des médias ? Depuis la crise sanitaire, les plateformes sociales ont pris une part de plus en plus active dans la modération des contenus qu’elles diffusent. Pourquoi ce virage et quelles sont les suites possibles ? On en discute jeudi soir au Shadok avec nos deux spécialistes.

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Après l’invasion du Capitole, les réseaux sociaux se sont mis à censurer les discours publics de Donald Trump. Le président des États-Unis, dont le compte Twitter était suivi par plus de 80 millions de personnes, peut-il être ainsi à la merci des décisions d’une entreprise privée ? La volte-face de Twitter, après une série d’avertissements distillés depuis mai 2020, est-elle l’amorce d’une nouvelle politique des plateformes sociales ? Retranchées derrière le très pratique statut d’hébergeur, elles rechignent à accepter une co-responsabilité pour les contenus qu’elles diffusent. Et si cette époque était révolue ?

Ce sera le sujet d’une visioconférence organisée par le Shadok et Rue89 Strasbourg jeudi 21 janvier à 19h, dans le cadre du cycle « Tous connectés et après ? » Les intervenants, qui répondront aux questions posées sur le tchat, sont Florence G’Sell, professeure de droit comparé à Sciences-Po et à l’Université de Lorraine, et Nikos Smyrnaios, maître de conférence en sciences de l’information à l’université de Toulouse et auteur du livre « Les GAFAM contre l’Internet » (Ed. INA).

Rue89 Strasbourg : La décision de Twitter de bannir Donald Trump a-t-elle été une surprise pour vous ?

Florence G’Sell : Oui quand même. Elle survient dans le contexte très particulier de l’invasion du Capitole, un vrai traumatisme aux États-Unis dont on peine à percevoir l’ampleur depuis l’Europe, et alors que Donald Trump est en fin de mandat. Mais ce bannissement survient surtout après des années de laisser-faire, même s’il y a eu une montée en puissance des mesures régulatoires depuis la crise sanitaire.

Nikos Smyrnaios : Twitter est sous la pression continue de ses employés notamment, qui ne supportent plus d’être les accessoires ou les complices des discours fascisants sur Internet. Il y a eu des débrayages, des grèves, etc. chez Twitter, Facebook et Google. Ça s’est graduellement accentué après Black Lives Matter et jusqu’à l’attaque du Capitole.

Est-ce qu’il s’agit d’un tournant pour ces plateformes, qui ne cessent d’invoquer qu’elles dépendent du très neutre et très pratique statut d’hébergeur ?

NS : Jusqu’en 2015, on était optimiste sur les effets des réseaux sociaux, pour la liberté d’expression et le débat public. Cet optimisme dans les plateformes a commencé à se dégrader quand on s’est rendu compte à quel point elles étaient utilisées par l’État islamique, et très efficaces pour toucher et recrutement des nouveaux membres. Puis il y a eu le scandale de Cambridge Analytica en 2016, avec des manipulations de masses à partir des données de Facebook pour l’élection présidentielle américaine et le référendum sur le Brexit. Quand l’idée que ces plateformes avaient un pouvoir arbitraire a émergé, le paradigme du débat public via les réseaux sociaux est devenu négatif. À partir de là, la question d’une nouvelle forme de régulation s’est posée.

FG : Il n’est plus possible d’osciller entre les statuts d’hébergeur et d’éditeur. Aucun ne convient puisque les réseaux sociaux ne sont ni l’un ni l’autre. Donc il faut créer une nouvelle catégorie d’acteur du numérique, qui corresponde à ce que sont ces plateformes. Rappelons qu’en Europe, elles sont toujours régies par la directive e-commerce, qui date de 2000 ! Et d’ailleurs, l’Europe est en train de légiférer et les États-Unis ont déclaré leur intention de le faire.

Est-ce que les plateformes ont le droit de supprimer des messages qui relèvent de l’expression publique, voire d’État ?

FG : Du point de vue du droit, strictement techniquement, oui les plateformes ont le droit de bannir et de supprimer des messages de n’importe quel utilisateur. On pourrait ergoter sur l’intérêt public, etc. mais elles se sont prévues de larges capacités d’intervention sur les contenus.

NS : Tout le design de ces applications découle de leur modèle économique. Leur objectif, c’est de capter l’attention pour ensuite la monétiser. Une fois ceci posé, elles se sont données les moyens d’agir sur ces capacités, y compris sur ce qui a été publié par les utilisateurs. Ce qu’on peut déplorer, c’est que la modération des contenus ne soit sujette à aucune transparence, les utilisateurs n’ont qu’un retour très succinct. En outre, le fait que cette modération soit externalisée génère une quantité d’autres problèmes, sociaux notamment.

Ces plateformes sont globales. Quelle prise les citoyens ou les États peuvent-ils avoir sur elles ?

NS : Les plateformes ne bougeront pas tant qu’elles n’y seront pas contraintes. On l’a bien vu par le passé, Facebook n’a fait évoluer ses pratiques qu’au compte-gouttes et à condition d’y être forcé par la puissance publique. Ce n’est pas tant la question de la régulation, qui interviendra tôt ou tard, que la notion d’équilibre. Il ne faudrait pas croire qu’une régulation étatique serait forcément souhaitable… On a bien vu les tentatives du gouvernement français, avec la loi Avia et la loi contre les fake news… qui ont été unanimement dénoncées par tous les acteurs du secteur. L’État n’est pas nécessairement bienveillant. C’est plutôt aux citoyens de s’emparer de ce sujet et de trouver leur place dans ce débat.

FG : Les plateformes sentent bien que l’étau se resserre et essaient de produire des initiatives d’auto-régulation, comme le « oversight board » chez Facebook, mais sans convaincre car elles en gardent le contrôle. Jack Dorsey de Twitter évoque une régulation décentralisée dans la blockchain… Ça ressemble surtout à une manœuvre dilatoire. Mais il serait tout à fait possible d’imaginer des instances de régulation citoyenne. On pourrait très bien imaginer que les utilisateurs de Twitter soient amenés à voter pour leurs représentants au conseil de pilotage du réseau social…


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