Il faut faire un dernier crochet par la route avant de s’enfoncer dans les jardins familiaux. Puis le chemin jusqu’au Cyclo-Camp se mue en un labyrinthe végétal foisonnant d’odeurs florales. À l’entrée de Koenigshoffen, écarté de toute sonorité urbaine, l’itinéraire sinueux laisse finalement entrevoir le parc Saint-Gall dans lequel un amas d’amoureux du vélo, venus du monde entier (Sud-Américains à l’appui), ont posé pied à terre.
Depuis vendredi 21 juillet (date à laquelle le festival Cyclo-Camp a ouvert ses portes) et pendant dix jours consécutifs, le site – loué à la ville – est peuplé de cyclistes de diverses horizons, allant et venant, de passage ou séjournant. Le principe : un grand rassemblement, gratuit, pour réparer, créer ou juste échanger autour du vélo. Que les plus férus du deux-roues se dépêchent : tout ça prend fin ce dimanche 30 juillet.
Les habitués du cambouis à l’œuvre
Ce mercredi 26 juillet, l’auto-réparation et la construction sont de vigueur. Sous la tente qui met à disposition une myriade d’outils, chacun s’adonne à sa propre besogne et assemble à partir de pièces récupérées sur le site. Tout autour de la tonnelle jonchent des carcasses de vélo qu’il faut enjamber presque sur la pointe des pieds pour se rapprocher de l’atelier. « D’habitude, j’accorde très peu de temps à la soudure, c’est agréable de pouvoir en consacrer ici », se réjouit Charlotte, 26 ans, fer à souder à la main et masque de protection relevé au-dessus de son front.
Membre d’un « bike-kitchen » en Allemagne – un atelier d’entre-aide et de réparation de vélos – Charlotte (ou Lotte) est habituée au cambouis et à la mécanique du deux-roues. Elle explique n’avoir jamais jusqu’alors participé à un Cyclo-Camp :
« C’est mon amie qui a insisté pour m’entraîner ici. Je pensais que le lieu serait surtout dominé par des hommes mais finalement, c’est plutôt équilibré. Et puis à l’atelier, les mecs sont souvent surpris de me voir en action. Ici, ça semble normal et ça fait du bien. »
Des passionnés venus des quatre coins du monde
Depuis son arrivée, Lotte a rencontré des personnes avec qui elle a pu échanger sur les pratiques de soudure et en apprendre davantage. Mais aussi avec qui elle a pu réfléchir à comment s’ouvrir davantage, dans un monde « où l’on a perdu l’habitude de réparer des choses. Un concept que l’on a besoin de se réapproprier », esquisse-t-elle, sourire aux lèvres.
Venus des quatre coins d’Europe, ils sont nombreux à être déjà associés à un atelier d’auto-réparation. D’Allemagne, d’Autriche ou de Slovaquie, l’idée est de partager leurs savoirs ainsi que de dialoguer sur les différentes problématiques auxquelles ils peuvent être confrontés. De manière informelle tout au long de la semaine, ou rassemblés autour d’un cercle dédié à cet échange au cours de l’après-midi. Une discussion conclue par la venue d’une fillette qui, sans un mot, désigne d’un doigt la cuisine partagée et arbore de l’autre main un panneau où l’on peut lire « crêpes véganes à prix libre ».
Inventions déjantées au rendez-vous
« On aime bien faire des choses rigolotes », décrit Lotte en révélant l’œuvre à laquelle elle s’applique avec son ami débarquant de Bratislava : une roue dentée sur laquelle deux pièces de vélo ont été soudées. Alberto, qui est arrivé dès le vendredi soir, s’adonne quant à lui à la construction d’un « tall-bike ». Un assemblage de pièces tout droit venues de son atelier allemand à Fribourg-en-Brisgau qu’il compose avec ce que les collectifs ont mis à disposition. « Par contre regarde celui-là, ils ont trouvé tous les matériaux ici », indique-t-il en désignant un vélo muni d’une roue supplémentaire qui orne la bécane.
Dans cet atelier, les lumières vivifiantes des appareils à souder jaillissent et fusent aux côtés de créations loufoques. En une poignée de jours, Nils a conçu une machine à laver à pédales. Au-delà d’une certaine praticité, le site du Cyclo-Camp héberge toutes sortes de vélos, tous plus déjantés les uns que les autres. Certains sont prêtés par le collectif Cambouis – organisateur du festival – mais beaucoup émanent de l’imagination de ses participants.
Une fois achevés, ces deux-roues biscornus, malicieux ou amusants sont inaugurés dans la plus grande joie de quelques déambulateurs, donnant à la tranquillité du festival un côté circassien. « Wahou, il est trop drôle celui-ci ! », peut-on entendre de la bouche d’un jeune adolescent, après avoir testé la création de Mimi, 35 ans, concepteur d’un vélo qui ne se dirige pas uniquement par son guidon mais aussi par tout l’avant du cadre.
Tout proche, Zou se dévoue à la fabrication de sa machine à bulles. Une idée qui mijote depuis quelques temps dans l’esprit de Zou, Mathilde et Filou. À eux trois, ils ont créé un premier prototype. « Comme on est tous un pneu déjanté, avec les gentes, on fait plus de trucs ! », s’amuse à commenter Filou, tout content de son jeu de mots. « C’est en testant qu’on pourra voir ensuite », lâche Zou avec une once de fierté, avant de réfléchir avec Mathilde comment faire tourner la roue :
« Je pensais à une petite jardinière remplie d’eau, qui actionnerait sa rotation lorsque le reste du vélo sera en mouvement. Ou bien on pourrait peut-être reprendre le principe de la machine à cassettes ? Ou l’actionner par un système de dynamo ? En tout cas, je la vois tellement bien sur ma Brigitte (son vélo NDLR) cette machine ! »
Naissance d’une collectivité surprenante
Les festivaliers – qui pour certains dorment sur site pendant le Cyclo-Camp – ne reprennent pas les choses en main uniquement par la mécanique, mais aussi par l’organisation du vivre ensemble. Mimi, le concepteur du vélo à rotation multiple, confie apprécier la facilité du « roulement dans les tâches à effectuer ». Parce qu’au Cyclo-Camp, tout se déroule en auto-gestion. Fabien, membre du collectif Cambouis, justifie ce choix :
« On voulait que chacun puisse s’approprier ce lieu afin de faire émerger un véritable collectif qui s’auto-organise. Puisqu’on leur laisse cet espace et qu’on n’oblige rien à quiconque, ça fonctionne à merveille. On ne s’attendait d’ailleurs pas à ce que ce soit aussi simple. »
Au cours de la semaine, des profils se sont dessinés. Fabien explique que « chacun a son domaine de spécialité », et y met « le temps et l’énergie » qu’il peut y apporter. Certains gèrent la cuisine, d’autres partent en récup’ pour le dîner ou œuvrent à la maintenance des toilettes sèches. Fabien pointe que le bar est, quant à lui, désormais complètement auto-géré :
« Ça peut sembler étonnant, mais personne n’en abuse. On voit les gens se servir derrière le bar, mettre dans la caisse, ou alors revenir plus tard quand ils n’ont pas leur argent sur eux. Beaucoup mettent d’ailleurs plus que le prix indiqué. Pareil pour la nourriture. Je n’ai jamais vu un prix libre aussi bien marcher. J’imagine que c’est parce que le public met de l’argent dans ce qu’il affectionne. »
« Ici, les gens ne sont pas là pour consommer le festival, il y a une certaine responsabilisation qui s’opère », analyse Thomas, en plein télétravail derrière le bar, également membre de Cambouis. Un festival où ses participants repartent avec la folle idée que, finalement, un autre monde est possible.
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