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Un an après le meurtre de sa mère, la lutte infinie de Stella Guitton

Le 10 novembre 2019, Sylvia Auchter mourrait poignardée par son mari devant les yeux de sa fille, Stella. Un an après, elle nous raconte ces maux, son combat pour se reconstruire et lutter contre l’oubli.

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10 novembre 2019, la nuit est tombée à Oberhoffen-sur-Moder, près de Bischwiller. Une femme est poignardée par son conjoint avec lequel elle est en instance de divorce. Elle s’appelle Sylvia Auchter. Elle a 40 ans et elle mourra devant les yeux de sa fille, Stella, âgée de 20 ans. Sylvia est la 131ème femme à perdre la vie parmi les 151 victimes de féminicide recensées cette année-là. Quelques heures après le décès, la fille de Sylvia Auchter, Stella Guitton, dénonçait ce féminicide devant la caméra de France Bleu Alsace. La force de ce témoignage avait suscité des articles et des reportages dans tous les médias français, ainsi qu’une marche blanche dans le village d’Oberhoffen-sur-Moder.

« Dieu ne ferait pas des choses comme ça »

Mais après l’emballement médiatique des premières semaines, les multiples sollicitations des journalistes qu’elle juge parfois « antipathiques », Stella se sent de nouveau abandonnée. Des mois d’errance, un long combat pour se reconstruire, une lutte obsessionnelle contre l’oubli des faits et surtout pour continuer de faire vivre la mémoire de sa mère.

À la fenêtre de sa maison bleue à Mommenheim, une cigarette à la main, le regard lointain, elle semble pensive. Les dernières lueurs du soleil automnal illuminent ses cheveux roses vifs. Lorsqu’elle nous aperçoit, elle décroche un sourire. Au-dessus du perron, une effigie du Christ loge dans une petite niche vitrée. Stella était croyante. Mais depuis la mort de sa mère, la foi l’a quittée : « Dieu ne ferait pas des choses comme ça » confie-t-elle, résignée. 

Souvenirs et terreurs nocturnes

Avant d’organiser cette rencontre, nous avons échangé des centaines de messages : « Désolée mais depuis la mort de ma mère j’ai la phobie des appels téléphoniques, il est plus simple pour moi de communiquer par écrit ». 

Le soir du meurtre, Sylvia l’appelle pour qu’elle lui vienne en aide. Lorsque Stella arrive sur place, elle voit le dernier coup de couteau asséné à sa mère. Ces images viennent hanter ses nuits. Des terreurs nocturnes qu’elle fait « au moins une fois par semaine » précise pudiquement Clément, son compagnon avec qui elle s’est installée récemment. Il y a aussi le souvenir du corps à la morgue. Vanessa, la meilleure amie de Sylvia que Stella appelle « Tata », était avec elle ce jour-là. Elle décrit un corps méconnaissable : « On voyait la douleur sur son visage, elle paraissait 20 ans de plus ».  

Ses cauchemars se sont intensifiés ces derniers jours mais Stella tient à témoigner : « Je ne veux pas que l’on oublie ». Elle nous parle de l’importance de la prévention, des campagnes contre les violences conjugales et de son envie d’écrire un livre pour raconter son histoire. 

Tout semble durer une éternité

Parallèlement, il y a sa défiance envers les autorités judiciaires et le sentiment que rien ne pourra panser sa douleur. Le rapport de l’enquête de l’IGGN sur le délai d’intervention ce soir-là devrait être rendu d’ici la fin du mois et l’affaire classée selon son avocat, Me Maxime Bordron. Dans l’affaire d’homicide, le parquet n’a pas retenu la préméditation. Des incompréhensions de plus pour Stella qui estime que « la justice française n’applique pas des peines d’emprisonnements assez lourdes pour ces crimes ». Elle a demandé à la justice qu’une reconstitution des faits soit réalisée, « pour qu’aucun détail ne soit oublié ». Mais celle-ci est suspendue en raison de la crise sanitaire. « Le procès devant la cour d’assises du Bas-Rhin est attendu à l’automne 2021 », espère son avocat.

Un an après, Stella n’a toujours pas pu récupérer les affaires de sa mère, la maison où s’est déroulé le drame est encore placée sous scellés. Tout lui semble éternité. Les démarches longues et éprouvantes pour son jeune âge. Pour les obsèques par exemple, elle n’a pas pu la vêtir avec ses propres vêtements : « Je lui ai filé mes chaussures, Vanessa des chaussettes, une amie un pull. On l’a habillée avec “nous” ». Elle enchaîne les épreuves, en mai, la tombe de Sylvia a été profanée. Seul son prénom y figurait, quelqu’un y a ajouté le nom du meurtrier présumé, son mari dont elle devait divorcer en décembre 2019. 

« C’était ma maman, ma sœur, ma confidente, mon amie de bêtises et ma plus grande fan. »

Stella Guitton

Stella rit beaucoup, se remémore des anecdotes. Comme leur voyage en Turquie en juillet 2016. Sylvia voulait tellement revenir bronzée qu’elle s’est « tartinée de graisse à traire le premier jour ». Cloquée, elle n’a pas pu s’exposer pendant tout le reste des vacances. Ou encore lorsque Stella lui a annoncé qu’elle fumait, alors que sa mère lui avait fait promettre de ne jamais commencer. Elles ont fini par s’en griller une à deux. « C’était ma maman, ma sœur, ma confidente, mon amie de bêtises et ma plus grande fan. Elle était petite de taille mais avait une grande âme », résume la jeune femme. Son pilier, elles étaient « seules contre le reste du monde ».

Stella enchaîne les petits boulots. À 17 ans, elle fait un passage par l’armée pendant un an, elle travaillera ensuite comme ASH à l’hôpital de Bischwiller puis comme hôtesse de caisse pour un concessionnaire automobile. Deux mois après le décès de Sylvia elle est embauchée dans une écurie. Son contrat s’est terminé lors du premier confinement. Aujourd’hui elle est au chômage et peine à retrouver du boulot.

Si son rire résonne, ces yeux luisent et révèlent une autre façade. Dans ces messages, elle évoque ses sauts d’humeur, son enfermement, sa peur de l’extérieur, sa prise de distance avec ses proches, ses pleurs en cachette, ses mensonges lorsqu’elle dit que ça va bien, sa peur de s’attacher au risque de perdre un être aimé.  Elle nous raconte les abandons qu’elle aurait subi par son père biologique puis son père adoptif, avec qui elle n’aurait quasiment plus de contact. 

Des tatouages, autant de stigmates

Son corps aussi porte les stigmates d’une vie déjà rythmée de souffrances. Sur son bras droit, trois tatouages se suivent. Un électrocardiogramme se terminant par un cœur, qu’elle avait en commun avec sa mère. À côté, des mains liées portant les initiales de Sylvia. Avant sa mort, elles s’étaient lancées un pari : choisir un tatouage l’une pour l’autre. Stella avait choisi pour sa mère le dessin de deux masques, l’un souriant, l’autre pleurant : « Devant les gens elle souriait, et derrière elle pleurait ».  Le 4 décembre 2019, elle se l’est fait tatouer. Comme un héritage, c’est désormais elle qui le portera à vie.

Et puis il y a l’espoir, une envie indéfectible de s’en sortir, pour honorer la mémoire de Sylvia qui « continue de l’engueuler » lorsqu’elle « fait une connerie ». Son courage, sa rage de vaincre. Ses meilleurs amis, Célia et Anthony, qui ne la « lâcheront pas ». Clément, son compagnon, avec qui elle construit des projets de vie. Et Vanessa, qui ne « remplacera jamais Sylvia » mais avec qui elle passera cette journée du 10 novembre, pour partager inlassablement leurs souvenirs et « boire des coups » en sa mémoire.


#féminicide

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