Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Après trois ans d’existence, le Stück engagé pour sa survie

Trois ans après son existence, la monnaie locale de Strasbourg, le Stück, est en difficulté. L’association gestionnaire n’a plus de salarié pour développer le réseau des commerçants et artisans. Et les collectivités ne montrent aucun empressement à accepter des paiements en Stück pour leurs services. Un séminaire le 23 mai à destination des élus décidera en partie de l’avenir.

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La scène se passe un 1er mai, au Mandala lors de « la fête du repos ». Des produits locaux sur la table, des personnes prêtes à consommer local, mais… aucun des produits n’est payable en Stück. Quand bien même ce serait le cas, aucun participant n’a sur lui les billets multicolores. Quelque chose fait dire à ce petit monde que la monnaie locale complémentaire (MLC) strasbourgeoise lancée en octobre 2015 n’est pas rentrée les habitudes et les porte-monnaies des Strasbourgeois autant qu’elle aurait pu.

Après trois ans d’existence, le Stück vit un tournant de son existence. « Le contexte national est de plus en plus favorable. Au niveau local, c’est l’inverse », remarque Antoine Lévy, ancien salarié de l’association gestionnaire et toujours bénévole très actif.

Le cap des 3 ans

Comme dans beaucoup d’associations, le cap des trois ans d’existence est un marqueur. Il faut tirer un premier bilan, à laquelle s’ajoute la nécessité de renouveler l’engagement bénévole (jusqu’à 50 revendiqués pour le Stück), qui parfois s’essouffle au gré des évolutions personnelles et professionnelles des uns et des autres.

En plus de cette contrainte, le Stück a été touché par la fin des contrats-aidés à l’été 2017. Deux salariés qui avaient vécu l’aventure avant même le lancement grand public sont partis, sans qu’aucune forme de remplacement n’ait pu être mis en place. Un autre poste, financé via des fonds européens, est arrivé à échéance.

Enfin, un CDD de 7 mois établi en octobre pour compenser les deux départs et financé via les subventions de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg n’a pas été renouvelé en raison du manque de visibilité. Les services civiques ? L’association en a déjà eu et n’est pas contre, mais comment les encadrer sans salarié ? À terme, la question du local route du Polygone, au milieu de banques classiques, peut se poser.

Une campagne de ré-adhésion cruciale pour le Stück (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Fin de subventions

La ville de Strasbourg a financé l’expérimentation du Stück à hauteur de 25 000 euros en 2015, puis 24 000 et 20 000 les deux années suivantes. L’Eurométropole, quant à elle, l’a soutenu à hauteur de 5 000 € pour 2016 comme en 2017.

Adjoint au maire en charge de l’économie sociale et solidaire, Paul Meyer (La Coopérative) rappelle que « le soutien dégressif étalé sur trois ans au lancement », est la règle et aussi « un souhait de l’association ». Côté Eurométropole, la conseillère déléguée Jeanne Barseghian (EELV) dit avoir plaidé pour porter la subvention à 10 000 euros mais n’a pas été suivie, notamment par les maires des communes voisines où le Stück ne serait pas assez implanté. Elle pointe aussi la difficulté de l’association au-delà d’un « entre-soi », malgré « un bon démarrage ».

L’association a pourtant l’impression de s’être propagée au-delà de Strasbourg par rapport à ses débuts, avec plusieurs dizaines de commerçants adhérents et désormais huit bureaux de change. Les deux élus affirment pourtant vouloir continuer à soutenir la monnaie bas-rhinoise.

Des commerces en dehors de Strasbourg acceptent des Stück

Des idées mais peu de moyens

L’association a été plutôt discrète sur ses difficultés dans ses infos aux adhérents fin 2017, quand les efforts étaient concentrés sur le deuxième Marché de Noël « Off », où elle tenait un stand. Elle a davantage insisté dessus auprès dans ses newsletter de février et mars. Ses 7 chantiers prioritaires pour le début 2018 comprennent un « paquet survie », qui insiste sur l’importance des ré-adhésions, et peut-être d’augmenter leur soutien aux usagers. Mi-2017, les adhésions ne représentaient que 27% du financement de la monnaie.

L’association ne manque pourtant pas d’idées pour les dix prochaines années. Parmi les évolutions, le paiement numérique. Pour cela, l’association est membre du mouvement Sol des monnaies locales qui vise à prendre en commun certains développements. Un nouveau coordinateur bénévole, Étienne Bachelart doit lui redynamiser les liens, que ce soit entre professionnels ou usagers.

Les objectifs à court et moyen terme du Stück

Manque de volonté à la Ville et l’Eurométropole

Au-delà d’argent, c’est surtout la possibilité de payer des services publics (entrées piscine, abonnement médiathèque, périscolaire, cantines, tickets CTS, stationnement, musées) en Stück qui permettrait de toucher plus d’adhérents. La comptabilité de l’Eurométropole se retrouverait avec des Stücks qu’elle pourrait intégrer en partie au salaire de ses 7 500 agents environ (sur la base du volontariat) ou tout simplement échanger contre des euros (2% de frais, comme un service pour carte bancaire classique), ce qui permettrait au passage de financer indirectement l’association.

Si les deux élus en responsabilité, Jeanne Barseghian et Paul Meyer, parlent « d’efforts » et de multiples réunions comptables avec les agents où plusieurs pistes pour le paiement en Stück ont été explorées, difficile de constater autre chose qu’un manque de volonté politique et administratif sur la question. « L’idée d’une régie comptable supplémentaire n’a pas soulevé l’enthousiasme », convient Jeanne Barseghian. Pourtant, des plus petites communes y parviennent.

Etienne Bachelart, le nouveau « Monsieur Stuck » à Strasbourg (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Ailleurs, on y arrive

La Ville de Chambéry a réussi à verser la prime de fin d’année en Élef, en déléguant sa gestion à une association. Quelques services publics seront payables en Cairns à Grenoble à partir du 1er juin. Le conseil municipal de Venansault (4 500 habitants) en Vendée, a pris une décision similaire dès 2017. S’appuyant sur la loi Hamon de 2014, la Région Normandie lance un moyen de paiement commun à ses cinq départements.

La commune de Bayonne souhaite allier attribuer des subventions à des associations en Eusko, la MLC basque la plus développée en France, payer une part des indemnités d’élus et accepter des paiements. Le tribunal administratif de Pau a donné raison, avant que la cour d’appel administrative de Bordeaux a suspendu cette convention en référé. C’est l’État, via la Préfecture qui avait attaqué la municipalité, ce qu’il ne fait pas ailleurs. Un jugement sur le fond est très attendu par toutes les monnaies locales françaises.

Dans une tribune au Monde publiée fin avril, 34 élus locaux demandent de pouvoir accepter les monnaies locales. Pas d’élu strasbourgeois, bien que l’adjoint au maire Jean-Baptiste Gernet (La Coop.), également en charge de l’économie sociale et solidaire, nous a indiqué qu’il avait bien signé ce texte quand le Stück lui a transmis.

Dans ce contexte, les 4ème rencontres nationales des monnaies locales qui se tiennent le 23 mai à Strasbourg (voir le programme, sur inscription) sonnent comme l’occasion de réveiller le personnel politique strasbourgeois. Deux autres événements publics sont prévus la veille au soir à la Librairie Kléber (18h) et au Mandala (20h).

Réunion de commerçants

Lors d’une réunion en février à destination des professionnels, les difficultés sont évoquées dans l’assemblée d’une trentaine de personnes. Un fermier explique se trouver en bout de chaîne et se retrouver avec trop de Stück sur les bras, car il n’a pas de fournisseurs à payer avec. D’autres utilisateurs regrettent de ne pouvoir l’utiliser dans les marchés. Plusieurs participants ont constaté un « essoufflement » fin 2017 et s’interrogent.

Malgré les coups durs, les membres du Stück restent convaincus des retombées positives de ce système d’échange qui garantit que la richesse circule dans l’économie locale, plutôt que vers des multinationales et parfois leurs paradis fiscaux.

Edith Maurer, co-fondatrice de la boulangerie bio Bäckerstub est adhérente depuis le début, car elle « se retrouvait dans les valeurs locales » de la monnaie :

« Tous les jours des gens paient en Stück, même le samedi, mais nous n’avons pas senti une grosse augmentation avec le temps. C’est un outil pédagogique pour engager la discussion. Mais certains clients qui ont déjà payé en Stück reviennent avec des euros. Les bureaux de change restent une contrainte et il faudrait que les échanges soient plus fluides ».

Réunion de lancement du cercle « animation et développement du cercle des professionnels » en février à la Maison des associations. (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Au local de l’association, Michel Boitard bénévole et « 1er lien » du cercle financements, insiste sur « l’effet double » du Stück :

« 80 000 Stück en circulation [entretien réalisé en février ndlr], c’est autant injecté dans l’économie locale, mais aussi autant d’euros placés sur un compte de la Nef, une banque éthique lors de leur achat. On a aussi su surprendre avec une gouvernance collective en cercles. »

Michèle Boitard estime qu’une des réussites est aussi d’avoir « fait réfléchir » sur la consommation et la manière de consommer, au-delà du nombre d’adhérents somme toute limitée (2 000 personnes ont adhéré au moins une des trois années d’existence).

Mais pour persévérer, il assure que l’association va « reprendre son bâton de pèlerin » et solliciter à nouveau les collectivités, à l’enthousiasme modéré, en dehors de campagnes de communication. Le Département du Bas-Rhin n’a jamais soutenu la monnaie et la Région Grand Est (quand elle s’appelait encore Alsace) n’avait financé qu’une étude de faisabilité pour 2 000 euros. Un nouveau dossier vient d’être déposé à la Ville de Strasbourg. Les bénévoles attendent un rendez-vous pour pouvoir le défendre


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