C’est un cimetière juif au milieu des champs, entre les communes de Trimbach et de Buhl, dans le Nord de l’Alsace. « C’est sûrement parce qu’il est caché qu’il est resté intact », commente Reine Biri. Elle fait désormais partie du dispositif du Conseil départemental des « Veilleurs de mémoire ».
Objectif : tenter d’enrayer la série de tags xénophobes et antisémites ayant cours dans le Bas-Rhin depuis plus d’un an… « C’est triste de devoir veiller sur un cimetière », lâche-t-elle en regardant les plus de 600 stèles devant elle.
Un cimetière hors de la commune
Reine Biri a découvert ce lieu en 2008. L’ancienne professeure de religion en école primaire menait alors des recherches sur l’histoire de la communauté juive locale. Au bout de six mois, elle tombe enfin sur ce lieu invisible de la route départementale, alors caché par une petite forêt.
L’entrée se situe entre deux poteaux de bois et un mirador. Elle donne sur de vastes champs vallonnés. « Déjà au XIXe siècle, les Juifs étaient rejetés. Ils n’avaient pas le droit d’avoir un cimetière dans la commune… », raconte Reine Biri.
« Il reste un esprit de haine »
En parcourant le cimetière, Reine raconte les histoires des personnes qui y sont enterrées. Ici, un ancien rabbin de Colmar. Là, une femme assassinée par un boucher dans les années 30 : « Il a été condamné à 6 mois de prison… », souffle la gardienne du lieu.
Pour ses recherches, des visites ou pour apprécier le calme de l’endroit, la chauffeure de taxi passe chaque semaine par ici : « Mais je n’ai pas d’heure ou de jours particulier, sinon ils savent que vous êtes là. » Reine fait référence à ceux qui profanent les cimetières juifs. Et l’Alsacienne de naissance n’hésite pas à parler « d’une région où il reste un esprit de haine depuis la dernière guerre… »
La sérénité perdue du cimetière ?
Reine s’interrompt en voyant une silhouette au loin. Claude Sichel, responsable de la synagogue de Woerth, vient d’arriver. En alsacien, la femme s’exclame : « Je ne t’ai pas reconnu ! » La vague d’actes antisémites dans le Bas-Rhin et ce dispositif de veilleurs ont fait perdre un peu de la sérénité que l’ancienne professeure aime ressentir au cimetière. Elle décrit son inquiétude : « Je n’aimerais pas tomber sur quelqu’un en flagrant délit. Et si je tombais sur des tags de croix gammées, ça me rendrait malade… »
Claude Sichel ne voit pas de regain de l’antisémitisme en Alsace. Pour le président de la communauté israélite de Woerth, le phénomène existe « depuis 20 ans ». En 2013, la synagogue dont il est responsable était recouverte de références nazies… S’il approuve le dispositif des « Veilleurs de mémoire », l’homme préférerait de la vidéosurveillance aux abords du cimetière…
Des projets pour un cimetière à l’abandon
Pour ce cimetière, Reine a plusieurs projets. D’abord, elle voudrait le faire fermer, avec un portail. Sa seconde idée est à la hauteur de sa passion : l’Alsacienne souhaiterait voir une stèle être érigée dans ce cimetière pour les 14 Juifs de Trimbach qui ont été déportés dans les camps de concentration. Ses recherches l’ont mené jusqu’au musée de la Shoah à Jérusalem.
En quittant les lieux pour fuir le froid, Claude Sichel exprime une autre crainte pour l’avenir du cimetière de Trimbach et son histoire :
« Heureusement que Reine est là… Sans elle, ici, personne ne serait là pour passer la mémoire des Juifs de l’Alsace rurale. Pour faire revivre ces cimetières, il faudrait continuer d’enterrer ici. »
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