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« Face au réchauffement climatique, il faut des forêts plus naturelles »

Écologue, Jean-Claude Génot se désole que les questions de gestion des forêts ne soient pas abordées lorsqu’il est question de leur résistance au changement climatique.

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Durant cet été, les médias ont beaucoup relayé l’inquiétude des forestiers face aux effets de la sécheresse actuelle. Mais on entend peu ou pas les défenseurs de la nature s’exprimer sur le sujet. Toujours le même refrain : le réchauffement climatique menace nos forêts, adaptons-les à ce nouveau climat.

On souligne la sécheresse, on pointe le fait que les herbivores contrarient la régénération naturelle de la forêt (ce qui n’est pas faux dans de nombreux endroits du massif Vosgien) mais pas un mot sur l’exploitation du bois, comme si la sylviculture était neutre dans cette histoire.

Car enfin, si les épicéas meurent massivement c’est bien parce que la nature sanctionne de façon magistrale les erreurs des sylviculteurs qui les ont planté en dehors de leur aire naturelle en peuplements mono-spécifiques, pourtant plus fragiles face aux aléas climatiques et biologiques.

Produire plus de bois…

Depuis le Grenelle de l’environnement en 2007, les forestiers doivent produire plus de bois, ce qui les conduit à pratiquer des fortes éclaircies dans des peuplements qui sont restés longtemps assez denses.

Ces nouvelles zones coupées menacent les essences qui ont besoin d’ombre comme le sapin et le hêtre et qui ne supportent pas une mise en lumière trop forte. L’idéal pour ces arbres est d’avoir la tête au soleil et les pieds à l’ombre, or ces éclaircies menacent l’ambiance forestière humide, surtout face à des fortes sécheresses.

Les prélèvements importants dans les parcelles éclaircissent trop les peuplements forestiers et les rend encore plus sensibles à la sécheresse (Photo Jean-Claude Génot / doc remis)

De plus, elles réduisent la décomposition de la litière et le recyclage des nutriments en diminuant la diversité des organismes dans le sol. Le réchauffement climatique fait peser un risque sur la forêt qui intéresse les industriels. Ce risque sera d’autant plus important que les forêts seront plus artificielles, avec des essences exotiques, des forêts moins denses plus sensibles aux sécheresses, moins de bois mort donc moins d’humidité au sol et des sols tassés par des engins de travaux forestiers plus lourds.

Qui plus est, le rajeunissement des forêts est lié aux coupes actuels. Il réduit les capacités de la forêt à être un puits de carbone efficace. En effet, quand une forêt fabrique plus de bois qu’elle n’en perd, elle absorbe alors plus de gaz carbonique (CO2) qu’elle n’en émet. Il vaut donc mieux laisser vieillir les forêts.

Comment planter pour mieux se planter

La forêt écosystème, elle, en a vu d’autres. Elle est capable de s’adapter car la diversité génétique des arbres est élevée. Cela est dû à la recolonisation post-glaciaire des différentes espèces européennes à partir de leurs refuges dont l’isolement a créé des différences génétiques importantes. Mais alors pourquoi certains forestiers veulent absolument introduire de nouvelles espèces ?

D’abord la filière bois a poussé l’État à inscrire les plantations comme indispensables dans le Programme national forêt bois adopté en 2016 qui prévoit « d’adapter les sylvicultures pour mieux répondre aux besoins des marchés« . Pourtant la forêt sait se régénérer naturellement depuis des millénaires. Ensuite les forestiers ont peur d’être accusés de laxisme, il faut agir et pour cela rien de mieux que des plantations, cela se voit et fait tourner la machine économique.

Epicéas attaqués par les scolytes et affaiblis par la sécheresse. (Photo Jean-Claude Génot / doc remis)

Mais comment peut-on être assez naïf pour croire qu’il suffirait d’introduire des essences exotiques résistantes aux sécheresses pour régler tous les problèmes de la forêt face au réchauffement climatique ? Alors que l’introduction d’espèces exotiques est considérée comme une menace pour la biodiversité par de nombreux spécialistes de la conservation de la nature, les forestiers favorables à l’introduction de nouvelles espèces n’émettent aucune réserve sur ce risque.

Une volonté de maîtriser la nature, un mauvais choix

Comment croire que des espèces exotiques qui n’ont jamais coévolué avec la faune, la flore et les champignons locaux vont mieux s’adapter aux modifications climatiques en cours que celles qui sont là depuis des millénaires ?

Le choix des plantations relève d’une volonté de maîtrise de la nature et sur le plan économique, c’est un pari risqué. De plus parmi les essences exotiques préconisées, gageons qu’il y aura des conifères à croissance rapide. C’est un mauvais choix sur le plan du bilan carbone car les résineux stockent moins de carbone que les feuillus pour un même volume de bois.

En outre, les résineux sont moins efficaces que les feuillus sur le plan de la lutte contre le changement climatique. En effet des chercheurs ont montré que les plantations de résineux effectuées massivement en Europe à la place des forêts feuillues naturelles depuis le XVIIIème siècle n’ont pas permis de faire de la forêt européenne un puits de carbone, malgré le gain de surface couverte par des forêts mais au contraire d’accumuler une dette de carbone.

Pourquoi ce paradoxe ? D’abord parce que l’exploitation de ces plantations de résineux sur des cycles relativement courts relâche le carbone accumulé dans la biomasse, le sol, le bois mort et l’humus. De plus, la conversion des feuillus en résineux modifie le pouvoir réfléchissant des arbres (pourtant plus bas chez les résineux que les feuillus), la rugosité de la canopée (la capacité à plus ou moins laisser passer la lumière) et l’évapotranspiration du sol, plus soumis à la lumière dans les plantations de résineux que dans les forêts de feuillus.

La coupe rase des épicéas dépérissant met les sols à nu ce qui les fragilise (Photo Jean-Claude Génot / doc remis)

Tous ces paramètres sont plus négatifs en terme d’atténuation de chaleur pour les plantations de résineux que pour les forêts naturelles de feuillus d’où une contribution au réchauffement plutôt qu’une atténuation !

On voit donc que remplacer des forêts feuillues âgées par des résineux exploités sur des cycles beaucoup plus courts renforce le réchauffement climatique. Les plantations sont subventionnées et si l’épicéa n’a plus la côte, le sapin de Douglas, originaire d’Amérique, vient le remplacer.

Pourtant, cette espèce ne supporte pas, elle non plus, les fortes sécheresses. Cela le rend sensible aux attaques de champignons ainsi qu’à celles d’une mouche qui pond dans les aiguilles.

Que les arbres soient autochtones ou allochtones, stressés par une sécheresse, ils deviennent beaucoup plus sensibles aux champignons ou aux insectes pathogènes, voire aux deux à la fois. Mais plus la forêt est artificielle en composition et en structure (on parle de futaie régulière où tous les arbres ont le même âge avec souvent une seule espèce), plus elle sera sensible et moins résiliente.

Le retour des coupes rases

L’exploitation des épicéas atteints par les scolytes donne lieu à des coupes rases qui offrent souvent un spectacle de désolation. Le sol est mis à nu et subit les fortes températures. Pourtant en forêt publique alsacienne, les forestiers ne pratiquaient plus de coupe rase depuis une vingtaine d’années.

Coupe rase d’épicéas atteints par les scolytes dans les Vosges du Nord (Photo JC Génot / doc remis)

On peut légitimement se demander si les plantations, soumises aux futures canicules, vont se développer normalement sans subir de dégâts ? En forêt publique en-dessous d’un hectare, les coupes rases ne devraient pas être reboisées mais laissées à la dynamique naturelle avec du bois mort abandonné au sol et sur pied. Ces zones sont des refuges pour la faune.

Ailleurs, il faut éviter la coupe rase en laissant les autres essences présentes et des bouquets d’épicéas dépérissant car la forêt a besoin de bois mort et de l’ombre que peuvent encore fournir les arbres secs. Si le reboisement artificiel est inévitable, mieux vaut privilégier les essences locales en laissant venir également la régénération naturelle.

Misons sur les essences autochtones

Vouloir adapter la forêt au climat relève de l’arrogance humaine et du refus d’accompagner ce changement dont nous sommes responsables. Il faut plus que jamais travailler avec la nature et non contre elle. Plus on veut s’éloigner du mode de fonctionnement naturel d’une forêt et plus cela coûte cher en énergie manuelle, mécanique et chimique, donc en argent.

Il faut réduire les facteurs de vulnérabilité qui rendent les forêts encore plus sensibles au réchauffement climatique. Pour cela, il faut miser sur les essences autochtones, des forêts à structure irrégulière avec un mélange d’espèces et des âges différents, des rotations de coupes plus longues, des peuplements matures plus denses et du bois mort au sol. Il faut également développer des forêts en libre en évolution où l’adaptation se fera naturellement et dont nous aurons des leçons à tirer pour les forêts exploitées.


#écologie

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