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Tribune : Quel avenir pour la musique actuelle à Strasbourg ?

Quelle est la place accordée aux groupes professionnels strasbourgeois à La Laiterie, principale salle de concert de Strasbourg ? Une place bien trop étroite, si l’on en croit Éric Kaija Guerrier, le guitariste du groupe Weepers Circus.

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Eric Kaija Guerrier (Photo Yann Geslin)

« En septembre 2009, Pernelle Richardot, adjointe PS du Sénateur-Maire de Strasbourg Roland Ries, m’a interpellé sur la raison pour laquelle nos concerts n’étaient quasiment jamais programmés à Strasbourg, alors que nous effectuons une moyenne de 80 concerts par an dans le reste du pays et en Europe, et que presque toutes les créations de nos spectacles ont lieu à Schiltigheim (à la Salle des Fêtes) ou Oberhausbergen (au PréO). La réponse que j’avais faite à l’époque est malheureusement toujours d’actualité.

Je ne me lance pas ici dans un macro-débat sur la situation de la musique actuelle à Strasbourg : je n’ai pas d’avis tranché sur cette question complexe. Plus particulièrement, je ne critique pas non plus la programmation générale ni les actions à l’initiative d’Artefact PRL, c’est-à-dire l’équipe qui occupe et gère la salle de La Laiterie, unique salle (digne de ce nom) consacrée à la musique actuelle, à Strasbourg : je n’ai qu’une connaissance partielle de la pertinence ou non de leur travail global – notamment au sujet de leurs démarches d’accompagnement et de développement d’artistes amateurs – et je ne porterai ici, par conséquent, aucun jugement sur ce point.

En revanche, le seul élément qu’il m’est possible de constater directement est le suivant : à ma connaissance, Artefact PRL n’achète pas – ou très peu – de spectacles de groupes strasbourgeois professionnels ou semi-professionnels de façon acceptable. Si des artistes strasbourgeois se sont vus acheter convenablement leur spectacle par Artefact PRL, qu’ils me fassent signe : j’en serais ravi (sans ironie).

De fait, lorsque les artistes de l’Assoce Pikante (Grand Ensemble de la Méditerranée, Electric GEM, Hijaz’Car, Boya, etc.), mais aussi la Fanfare en Pétard, LéOparleur, Weepers Circus ou d’autres – c’est-à-dire quelques uns des groupes strasbourgeois qui effectuent un bon nombre – et avec régularité – de concerts achetés en France et/ou en Europe – ont le souhait de proposer un concert ou une création à Strasbourg, c’est-à-dire leur ville d’origine qu’ils aiment avec force et vigueur, il n’y a, encore une fois, qu’un seul lieu programmatique possible du centre ville qui réponde à des conditions techniques convenables : la Laiterie.

Or, il me semble qu’il n’y a que trois solutions pour pouvoir accéder à cette salle :

  •  Artefact PRL propose aux artistes un accès à l’une ou l’autre des deux salles de La Laiterie avec un maigre cachet – la somme de 100€ a déjà été proposée – pour jouer en première partie d’un autre artiste non strasbourgeois (et qui d’ailleurs bien souvent emplit beaucoup moins le lieu que ne le fait l’artiste strasbourgeois),
  •  Artefact PRL propose une co-production aux artistes : globalement, un nombre considérable des premières entrées revient à Artefact PRL, les entrées suivantes reviennent aux artistes,
  •  Artefact PRL propose de faire payer la location des lieux par les artistes (ou par la boîte de production des artistes) : c’est-à-dire que ces derniers produisent la soirée. De plus, outre cette location, les recettes du bar reviennent intégralement à Artefact PRL et non aux producteurs de la soirée. Autre détail : la factualité de cette location n’empêche en rien Artefact PRL d’afficher dans son programme la mention « Avec le soutien d’Artefact PRL ». Cette mention est justifiée officiellement par Artefact PRL sous prétexte que le prix de location aux artistes strasbourgeois serait moins cher qu’une location à des artistes non strasbourgeois. Je veux bien croire que cela soit exact, mais, de mon point de vue, il s’agit-là d’une bien maigre contribution d’Artefact PRL au soutien de la musique actuelle.

Les artistes que je cite ici ne sont pas des débutants : outre leur solide carrière nationale et/ou européenne que j’ai souligné plus haut, ils parviennent à faire venir entre 400 et 1000 personnes par concert à Strasbourg. Résultat : certains artistes de cette envergure ne jouent plus à Strasbourg – je le répète, il n’y a pas d’autre lieu techniquement équivalent – ou alors s’exécutent à la Laiterie en produisant la soirée. Ou encore… effectuent des concerts autour de Strasbourg ! A Schiltigheim, Oberhausbergen, Ostwald ou Illkirch-Graffenstaden en particulier.

Je m’autorise à préciser ceci : nous ne prêchons surtout pas pour notre paroisse weepersienne. Pour nous autres artistes cités plus haut, tout ceci n’est plus un souci. Nous nous sommes tous développés en toute indépendance, à la seule force de notre volonté et de notre travail, et ce presque sans appui notifiable d’Artefact PRL : ainsi, notre carrière est lancée et tout fonctionne plutôt bien malgré la crise du disque. Je peux même préciser ici qu’il y a quelques années, Artefact PRL a eu la gentillesse de nous prêter la petite salle de La Laiterie pour répéter sur une période donnée. La structure a également acheté – magnifique et unique contre-exemple ! – notre concert pour s’exécuter sur la grande scène du Festival des Artefacts, le 24 avril 2004.

Je ne crache pas dans la soupe, contrairement à ce qui m’a été reproché. Ce qui me pousse à écrire ces mots, c’est, d’une part, pour répondre à une question légitime de Pernelle Richardot, élue de notre ville, et d’autre part, parce que je pense avant tout aux artistes naissants qui n’ont pas de lieu(x) véritablement satisfaisant(s) pour s’exprimer sur scène. S’ils parviennent malgré tout à un statut professionnel : ils iront jouer ailleurs.

Si Artefact PRL n’achète pas de création et/ou de concerts d’artistes strasbourgeois, quelles que soit leurs raisons, il convient de réfléchir ensemble – élus et musiciens – à de nouvelles dispositions pour la musique à Strasbourg. Voici quelques pistes prises au hasard et qui seraient – bien entendu – à développer et à affiner :

  • La création de locaux de répétitions et de bureaux pour les structures légales – en général associatives – des artistes musiciens.
  • Une participation financière de la Ville de Strasbourg pour l’achat annuel d’un certain nombre de spectacles amateurs et/ou professionnels de la scène strasbourgeoise et/ou plus largement alsacienne.
  • La création d’une nouvelle salle municipale, pour la musique actuelle, techniquement bien équipée.
  • Des actions spécifiques d’ateliers et de création entre la scène strasbourgeoise, le réseau des écoles de musique et le Conservatoire de Strasbourg : la Laiterie et la nouvelle salle seraient le lieu d’expression de leurs travaux.
  • En plus d’un légitime lieu de diffusion, que la Laiterie et la nouvelle salle puissent être également un lieu de création, de rencontre et de transmission artistique.

Je ne doute pas qu’une réflexion similaire soit déjà en cours à la Ville de Strasbourg. J’espère ici apporter une toute petite contribution au titre subjectif d’acteur et de témoin de la scène musicale issue de Strasbourg. Je souhaite alors simplement que la présente tribune puisse contribuer à un travail commun entre élus et artistes – les artistes eux-mêmes et non ceux qui depuis trop longtemps prétendent parler en leur nom – pour améliorer les conditions de travail des musiciens du territoire dans une démarche de qualité renforcée. »

Éric Kaija Guerrier


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