Elevage en captivité pour relâchés en plein désert biologique
Un chargé de mission de la Direction régionale de l’environnement d’Alsace (DREAL) nous guide au sud de Strasbourg. Nous traversons un village à consonance germanique. Au sud du village, un chemin rural en macadam nous mène dans les cultures de cette plaine désolée. Ici aucun arbre ou arbuste, aucune haie, même pas un talus d’herbes folles. Nous sommes devant un large champ de blé en pousse, entouré de champs de maïs. Une route fréquentée (c’est un pléonasme en Alsace) passe à moins de 100 mètres, au loin des lotissements grignotent les terres agricoles et une zone commerciale est en cours de construction au nord.
Là, très sérieux, le représentant de l’Etat nous dit qu’il ne reste plus que quelques centaines de hamsters (en 2008 moins de 700 individus en plusieurs noyaux disjoints alors que la survie génétique est estimée à 1 500 animaux sur une aire d’un seul tenant) dans toute l’Alsace répartis en plusieurs sites dont ce champ isolé et que la situation est suffisamment grave pour qu’un programme d’élevage en captivité ait été mis en place pour réintroduire ce rongeur.
Je me frotte les yeux. Non je n’ai pas fait un mauvais rêve ! Ce paysage agricole, véritable désert biologique gagné par le béton et le macadam, est un « milieu naturel ». Il ne manque plus que des lampadaires aux quatre coins du champ pour observer le rongeur solitaire qui ne sort qu’au crépuscule ! Si on m’avait dit qu’un jour des protecteurs viendraient demander le maintien et le développement des champs de blé et de luzerne pour sauver la nature, j’aurais dit qu’il s’agit d’une provocation de François Terrasson dans un texte de nature fiction.
Oui vous entendez bien ! Il faut sauver les cultures agricoles dans un paysage sans haies ni friches pour le hamster. Même pas en agriculture biologique, ces champs de blé ! Mais comment en est-on arrivé là ? Comment veut-on faire croire que cette steppe agricole est un modèle pour la protection de la nature ?
Incompréhension chez les agriculteurs
J’ose demander à notre guide comment réagissent les agriculteurs locaux. Sa réponse se perd dans le vent qui souffle, les bruits de la route et ceux des avions en train d’atterrir sur l’aéroport de Strasbourg, situé à quelques kilomètres de là. Mais j’entends quelques bribes où il est question de « mesures agri-environnementales, de difficultés et de pérennité du système ». Les agriculteurs ne comprennent pas pourquoi on leur demande de protéger une bestiole que leurs grands-parents cherchaient à éliminer par tous les moyens (piégeage, inondation des terriers) il y a une cinquantaine d’années. Et puis pourquoi garder des céréales ou de la luzerne sur des terres où le maïs rapporte plus, se demandent-ils ?
L’Etat n’a même pas les moyens de sa politique, si l’application de sa réglementation lui impose de protéger le hamster, alors qu’il paie le blé ou la luzerne plus que le maïs. On relâche des hamsters nés en captivité mais ces pauvres bestioles ne survivent pas bien longtemps. Les cobayes de ces expériences de la dernière chance (et quelle chance pour les hamsters relâchés !) sont obligés de passer sous les routes à l’aide de tuyaux baptisés pour l’occasion « hamsteroduc », de consommer des végétaux gorgés de pesticides et d’échapper aux multiples prédateurs qui cherchent une nourriture facile, pour eux c’est mission impossible !
Renard, prédateur et « brave bouc-émissaire »
Ah oui les prédateurs, on allait les oublier ceux-là. Comme on ne peut rien faire contre l’agriculture chimique et le développement insoutenable des routes et des zones commerciales, il est plus facile de s’en prendre… au renard, brave bouc-émissaire toujours là quand on a besoin de lui pour faire un carton. On nous assure que le renard est le principal prédateur du hamster parce que les autres sont intouchables, les rapaces sont fort justement protégés et il y aurait même parfois la cigogne blanche, espèce quasi sacrée pour les Alsaciens.
Heureusement qu’il y a également encore quelques mammifères « puants » comme la belette, l’hermine et le putois que de valeureux piégeurs mettront un point d’honneur à détruire puisque c’est pour la bonne cause de la biodiversité ! Combien de temps va durer ce déversement de centaines de hamsters stressés dans ce tonneau des Danaïdes avant qu’on se rende compte qu’il n’y a pas de futur pour le hamster dans une nature artificielle ?
Mais au fond le vrai problème est qu’aucun protecteur de la nature n’ose crier : « Halte à l’acharnement thérapeutique » ! Disons niet aux conventions et directives qui inscrivent des espèces n’ayant plus aucun milieu naturel dans un pays censé les protéger ! C’est se donner des verges pour se faire fouetter. Vouloir protéger une espèce qui chez nous dépend de pratiques agricoles dans un contexte productiviste est un non sens.
Car enfin, ce foutu hamster pas si jovial que ça vient des steppes, des vraies steppes, qui résonnent encore du sabot des chevaux des Huns. Ces milieux herbeux secs n’ont pas besoin de l’homme pour exister. Ce hamster s’est répandu vers l’ouest depuis quelques milliers d’années en profitant du déboisement, des cultures intensives, du drainage des sols et de l’exploitation des nappes phréatiques.
Le hamster, ce « profiteur de la destruction de la nature »
Bref, cette marmotte alsacienne est un profiteur de la destruction de la nature, la vraie, sauvage et spontanée, faite de forêts, de marais et de friches. Comme symbole de la protection au titre de la convention de Berne, on fait mieux !
Et puis est-ce que quelqu’un s’est demandé comment avait fait ce rongeur souterrain qui n’aime pas l’eau pour franchir le Rhin et venir en Alsace depuis l’est ? Certainement pas à la nage ou en empruntant les ponts mais plus probablement introduit de façon involontaire par l’homme. Oui vous êtes en train de deviner où je veux en venir… En son temps, ce hamster a été une espèce exotique, que l’on veut faire passer aujourd’hui pour la super espèce rare typique à protéger à tout prix. Quand on pense aux autres espèces exotiques à qui on mène la vie dure actuellement, on se dit que tout cela n’est pas très sérieux. Terrasson, tu exagères !
On ne peut pas dire que tous ces efforts pour sauver une espèce soient inutiles. Certes, sauver vainement le dernier des Mohicans sert de pain quotidien à toute une batterie de personnes pour étudier, comptabiliser et expérimenter. Il paraît même qu’il faut appeler cela la « biologie de la conservation ». Mais à quoi sert cette science qui fait d’emblée l’économie d’un vrai débat stratégique et éthique sur la nature que l’on souhaite avoir ?
Trop effondré devant ce qu’il faut bien appeler de la protection contre nature, je n’ai même pas pensé à demander à notre guide à combien s’élève la facture de toutes ces opérations de sauvegarde par tête de hamster. Nul doute que la même somme investie dans l’acquisition de friches ou de forêts pour leur foutre la paix aurait un autre impact pour la défense de la nature sauvage.
Protéger la biodiversité n’est pas sauvegarder le hamster
Nous ne sauverons pas le hamster sauvage parce qu’il est une espèce sans milieu viable et qu’il n’a plus d’autonomie chez nous. Faut-il sauver ce hamster en Alsace alors qu’il a encore de l’avenir dans les steppes de Russie et d’Asie ? Protéger la biodiversité n’implique ni de sauver toutes les espèces partout ni de faire n’importe quoi pour cela.
Mais par principe, les protecteurs continuent aveuglément, sans se poser la question de la viabilité de son biotope. Veut-on des hamsters sauvages ou des rongeurs semi-domestiques dépendant entièrement de nos bons soins ? Pour des hamsters sauvages, ce n’est pas en Alsace qu’il faut chercher ! Pour des animaux domestiques, on peut proposer aux protecteurs d’adopter des familles de hamsters dans des grandes cages.
Ou bien on peut créer un « hamsterland » sur des terrains acquis par le conservatoire des sites du coin que l’on pourrait visiter en parcourant des tranchées profondes, vitrées, à travers lesquelles les rongeurs seraient parfois visibles, au détour d’une galerie. Oui assurément, il ne faut pas sauver le hamster Ryan en Alsace mais tout faire pour qu’il continue de vivre longtemps dans ses steppes d’origine.
Jean-Claude Génot
Ecologue, membre des Journalistes-écrivains pour la Nature et l’Ecologie
* »François Terrasson, penseur radical de la nature », Jean-Claude Génot, aux Editions Hesse, sortie le 10 septembre 2013, 18€.
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