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Tribune : « Parcoursup, c’est l’idéologie des premiers de cordée appliquée aux étudiants »

En réponse aux premiers chiffres d’admissions des futurs bacheliers à l’Université de Strasbourg, les élus d’opposition de la liste « Alternative » regrettent l’application des algorithmes de Parcoursup. Ils estiment que certains choix politiques locaux détournent l’argent de l’enseignement, qui permettrait d’éviter la sélection.

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Grâce à la plateforme Parcoursup, l’affectation des bacheliers à l’Université de Strasbourg suit son cours. Les annonces chiffrées ne manqueront pas : tout va bien. Il y aura de la place pour tout le monde. Une solution sera trouvée pour chacun. En somme, Parcoursup n’est qu’un « outil ».

« Un outil pour sélectionner certains étudiants »

Mais un outil pour quoi faire ? En termes d’orientation, on le sait maintenant, APB était plus efficace, plus rapide, plus lisible et moins anxiogène pour les bacheliers. Le tirage au sort n’a jamais été employé à Strasbourg : de bonne foi, on ne pourra donc pas se féliciter d’y mettre fin. En termes de réussite, il faudra désormais attendre « quelques années ». Nous attendrons donc…

Mais en attendant, cet outil permet des changements immédiats. Et ce premier bilan, à tout le moins en demi-teinte, contraste avec l’engouement de la présidence de l’université pour Parcoursup et la loi Orientation et réussite des étudiants (ORE).

Suivant ce qu’affirme le vice-président Formation de notre université, la sélection n’est pas « le droit de dire non ». La sélection, c’est le droit d’orienter les candidats de telle façon à ce que « certains étudiants n’aient pas l’affectation qu’ils souhaitent au terme du processus ». C’est ce nouveau droit qui est en réalité au cœur de la loi ORE, et Parcoursup est un outil formidable pour sélectionner « certains étudiants ».

« On les casera sur les chaises que personne n’a voulues »

Au 29 mai à 8h, les 3 975 candidats les mieux classés ont confirmé leur choix dans notre université. Les places qu’ils n’ont pas voulues sont maintenant proposées aux autres, mais en priorité, toujours, aux mieux classés. Et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il ne reste que les bacheliers dont l’université n’a pas besoin. On les casera sur les chaises que personne n’a voulues, pas même eux. Et s’ils ne viennent pas ou ne restent pas, personne ne se plaindra. Parcoursup est un outil pour les premiers de cordée, malheur aux autres.

Pour éviter que des étudiants s’assoient sur des marches ou des chaises en amphi, ici en novembre 2016 à Strasbourg, il faut surtout plus d’enseignants que sélectionner les étudiants selon les élus d’opposition. (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

« L’université n’a plus les moyens d’accueillir tout le monde, certains n’ont rien à y faire », a déclaré le président de l’Université de Strasbourg, Michel Deneken, lors du conseil d’administration du 19 décembre 2017.

Notre université n’aurait donc plus les moyens d’accueillir tout le monde… En conseil d’administration, c’est pourtant de l’affectation de millions d’euros que nous décidons à toutes les séances ou presque. Les moyens ne manquent pas… pour des chantiers prestigieux que l’on peut observer en se baladant sur le campus, ou encore pour créer de nouvelles primes.

Moyens limités pour l’enseignement

En revanche, ces moyens se font soudain limités lorsqu’on en vient à l’enseignement… En particulier l’enseignement de base, sans gloire pour ceux qui s’y consacrent et pourtant la raison d’être de nos universités d’État : l’accueil de tous les bacheliers, y compris ceux qui risquent d’échouer, y compris ceux ayant le besoin ou l’envie de se réorienter. Depuis 2010, tandis que le nombre d’étudiants augmentait de 13%, les effectifs enseignants titulaires baissaient de 6% (voir p. 88 du bilan social). La plus forte baisse de France. Sans miracle, l’Université de Strasbourg est maintenant avant-dernière en termes de réussite en Licence.

C’est une question élémentaire et hautement politique, discutée comme telle par son conseil d’administration : Quelle Université de Strasbourg voulons-nous ? À budget contraint, tout n’est pas possible. Pour chaque euro dont on dispose, il faut décider de le mettre dans une mission ou dans l’autre, dans la recherche de notoriété et la valorisation, ou dans les missions fondamentales, ordinaires pour nous, de recherche et enseignement.

Du « tout pour tous » au « tout pour certains »

Le magazine Savoir(s) de l’Université de Strasbourg apporte un éclairage indispensable au choix qui est fait : il faut sortir de « l’hypocrisie du  ”tout pour tous” ». Le “tout pour tous”, en matière de savoir(s) est pourtant un idéal, partagé par bon nombre d’universitaires comme de concitoyens. Pour nous, c’est la définition même de l’Université. C’est une nécessité pour que vivent la démocratie et que garde son sens notre devise nationale : liberté, égalité, fraternité.

Parcoursup est l’outil pour mettre fin à l’idéal du “tout pour tous”, et épouser l’idéologie du “tout pour certains”. Pour les uns, de petites filières ultra-sélectives adossées à des diplômes d’université payants. Pour les autres, les amphis qui débordent. Le vice-président formation de l’université a clairement confirmé et assumé ce projet lors du débat consacré au sujet.

Mais cette concurrence généralisée, entre étudiants d’abord, donc entre filières et ensuite entre enseignants au sein même de notre université, favorise-t-elle réellement un enseignement de qualité ? La question est, à l’évidence, fondamentale : l’Université modèle les futurs acteurs de la société, définir l’Université est donc dessiner le monde de demain.

Les membres du Conseil d’administration de l’Université de Strasbourg, élus sur la liste Alternative


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