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Tribune : « Mettons fin aux rumeurs en enseignant le genre »

Céline Petrovic, docteure en sciences de l’Éducation, est chargée d’enseignement « Genre et Éducation » à l’Université de Strasbourg. Elle fait partie des signataires de l’appel de Strasbourg « pour en finir avec les idées reçues ». Ses recherches portent notamment sur les résistances à l’enseignement du genre. Pour elle, l’apparition de fantasmes sur la théorie du genre à l’école a été rendue possible à cause d’un manque de formation des enseignants.

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Enseignante à Strasbourg, Céline Petrovic est spécialiste du genre dans l’éducation (Photo J.L. / doc remis)

Le genre, on a entendu à son propos tout et son contraire ces derniers temps ! Il est important de le définir simplement : le genre, c’est un système social, dans lequel ce qui féminin et masculin est appris tout au long de la vie. La réalité, c’est que le genre est un système dans lequel les femmes et les hommes ne sont pas traités équitablement, mais produit des inégalités sociales (les écarts de salaires ou les inégalités dans le partage de tâches domestiques et éducatives par exemple). C’est un concept récent, et non une théorie : les recherches montrent que les inégalités ne sont pas le résultat des différences biologiques des deux sexes, mais bien d’un apprentissage, d’une construction sociale.

Si le genre était enseigné à tous les enseignants et à toutes les professions sociales et éducatives, les parents auraient pu entendre que l’ABCD de l’égalité ne concerne pas l’Alsace (cet outil pédagogique est actuellement testé dans dix régions), et qu’il a l’objectif de faire prendre conscience des stéréotypes de genre aux enseignants et aux élèves. Oui, les recherches montrent que les stéréotypes de genre restreignent les libertés des filles comme des garçons, créent des tensions entre les élèves, et peuvent être à l’origine des violences et de l’échec scolaire.

Les manuels truffés de stéréotypes

Avec l’ABCD de l’égalité, consultable par tous, les enseignants peuvent trouver des outils pour aborder les inégalités sociales entre les femmes et les hommes avec leurs élèves, ainsi que l’homophobie, tout comme il en existe par ailleurs pour aborder la racisme, le handicap… Mais ça n’est pas tout : ces inégalités sont aussi au cœur des programmes et des enseignements. Avec des textes et des conférences, l’ABCD de l’égalité offre des ressources pour aider les enseignants à prendre conscience qu’ils ont des attentes différentes vis-à-vis des filles et des garçons, que les manuels sont truffés de représentations sexistes des femmes et des hommes, ce qui en revient à faire croire aux enfants que les inégalités sont inéluctables.

Et c’est cela qui est important de comprendre et d’expliquer aux enseignants comme aux parents : c’est par l’éducation que les petites filles et les petits garçons apprennent que certaines activités ou comportements sont plus appropriés aux femmes, et d’autres aux hommes, et que l’hétérosexualité est la seule façon de vivre sa sexualité, alors que la réalité prouve le contraire. Beaucoup de personnes, enfants ou adultes, ne se comportent pas tout le temps et toujours comme des caricatures de fille ou de garçon, leur liberté est plus grande. Les personnes homosexuelles, et celles qui ne respectent pas les rôles traditionnels des femmes et des hommes ont toujours existé, et il s’agit aujourd’hui de le reconnaître pour que tout le monde ait droit au respect, à la liberté et à la justice, à l’école comme ailleurs.

Les profs n’ont jamais entendu parler du genre

Si ces rumeurs folles d’atelier d’éducation sexuelle en maternelle ont pu se répandre, c’est parce qu’il y a trop peu de formation sur le genre pour les enseignants∙es, les professionnels du social et de l’éducation. Renseignés, les parents auraient pu être rassurés rapidement et simplement. Au lieu de cela, ils se sont trouvés face à des professionnels désemparés qui n’ont jamais entendu parler du genre. Pris au dépourvus, la confusion des enseignants s’est rajoutée à l’inquiétude des parents, et cela n’a fait qu’empirer la situation avec une grave conséquence : la rupture de la confiance de certains parents vis-à-vis de l’école, à qui sont confiés leurs enfants une grande partie de la journée, et pendant plusieurs années. Et tout cela pourquoi ? À cause de l’instrumentalisation du concept de genre, parce qu’il est encore trop mal connu du grand public. S’il n’y a jamais eu autant de discours politique en faveur de l’égalité, il manque aujourd’hui les moyens de réaliser cette égalité, notamment en formant les enseignants.

Croire est plus fort que voir

Cet emballement proche de l’hystérie qui a amené certains parents à retirer leurs enfants de l’école, c’est aussi le résultat de la méconnaissance des résistances profondes qui sont activées quand la question de l’égalité entre les femmes et les hommes survient. Le genre est un système social qui génère des inégalités, il est partagé depuis des temps anciens, intériorisé au plus profond de nos inconscients collectifs, par les femmes comme par les hommes. En le remettant en question, ce sont des croyances qui sont bousculées : l’illusion de l’égalité et de la complémentarité entre les sexes, celle du libre choix. Les croyances essentialistes et religieuses ont été et sont encore au fondement de nos systèmes de pensée. Nous, enseignants sur le genre et l’éducation, sommes témoins à chacune des formations de ces refus de voir la réalité des inégalités, malgré leur criante vérité. Croire est plus fort que voir, cela n’est pas nouveau. Et c’est cela qu’il faut aussi prendre en compte.

C’est pourquoi les lois et outils pédagogiques, s’ils sont nécessaires, ne sont pas suffisants pour changer les mentalités, ils doivent s’accompagner de pédagogie, de débats de société, sinon des résistances importantes surviennent. Il s’agit de nous convaincre que l’égalité est synonyme de liberté, d’épanouissement, et permet de gagner en humanité pour chacun et chacune. Et pour cela, il n’y a que l’éducation qui le permette, comme elle a permis le recul du racisme. Il est urgent que les autorités compétentes nous donnent les moyens, créent des postes spécifiques pour nous permettre de sensibiliser et former les enseignants au genre et à l’éducation. La France est en retard en comparaison des pays nordiques et européens, ne tardons pas davantage.

Céline Pétrovic
Docteure en sciences de l’Éducation

Aller plus loin

Sur Libération.fr : L’appel des enseignants-chercheurs de l’Université de Strasbourg « pour en finir avec les idées reçues »

Sur Libération.fr : Qui a peur de l’égalité entre les sexes ? Tribune de l’Association de recherche sur le genre en éducation et formation (Argef)


#Céline Petrovic

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