Car l’incendie part, aux États-Unis, d’une fraude gigantesque au crédit hypothécaire. Des prêts sont accordés dans des conditions irrégulières. Des intermédiaires, rémunérés en fonction des prêts accordés, trompent leurs clients sur le coût du remboursement des créances. Le marché est alimenté par des titres regroupant ces créances, dont le caractère toxique est dissimulé. Des agences de notation peu exigeantes certifient la qualité de ces titres…
La propagation de l’incendie en Europe révèle d’autres malversations. En Islande, 100 milliards d’euros se sont volatilisés. Les enquêtes mettent en lumière la fraude des banques au contrôle prudentiel, le prêt de sommes anormalement élevées et l’effacement de dettes au profit de certains privilégiés. En Irlande, 70 milliards d’euros sont perdus. Les investigations révèlent l’existence de prêts cachés au profit du « cercle d’or » de l’Anglo-Irish Bank et la confusion d’intérêts entre milieux bancaires et autorités publiques en charge de la régulation. En Espagne, la crise de Bankia, qui pourrait coûter plus de 20 milliards d’euros à l’État, met en évidence des pratiques de corruption généralisée. En Grèce, la crise de la dette souveraine grecque résulte en partie d’emprunts d’État occultés frauduleusement. L’opération a rapporté 600 millions d’euros à la banque Goldman Sachs.
8% des avoirs mondiaux dans les paradis fiscaux
Tous les États européens souffrent d’une fraude fiscale endémique. Selon l’ONG Réseau pour une justice fiscale (Tax justice network), 8 000 milliards d’euros sont placés dans les paradis fiscaux. Un chercheur français, Gabriel Zucman, évalue à 8% le montant des avoirs mondiaux qui y sont localisés. La fraude fiscale en France est évaluée par le gouvernement dans une fourchette entre 28 et 40 milliards d’euros par an. Antoine Peillon parle des 600 milliards d’euros qui manquent à la France du fait de la fraude, au terme d’un travail très documenté (Ed. du Seuil). Il faut rapprocher ce chiffre de la charge nette de la dette publique française (46,82 milliards d’euros pour 2011) et du montant total de la dette (1717 milliards d’euros).
La Commission européenne évalue à 120 milliards d’euros par an le montant des sommes perdues par les États du fait de la corruption. C’est l’équivalent du budget de l’Union européenne, ou du plan de relance de la zone euro difficilement obtenu par François Hollande. Les peuples ont conscience de cette situation. Selon l’Eurobaromètre 2012 sur la corruption, 74% des Européens pensent que la corruption est un problème majeur dans leur pays. 47% pensent qu’elle a augmenté durant les trois dernières années. 73% considèrent que les institutions européennes sont corrompues.
Endiguer l’appauvrissement des États
Pourtant les propositions ne manquent pas, dont la mise en œuvre permettrait d’endiguer l’appauvrissement des États et de récupérer un peu de la richesse manquante des nations. L’idée de créer un parquet européen pour lutter contre le crime économique transnational a été avancée il y a plus de dix ans. Le traité de Lisbonne permet de le mettre en place par une « coopération renforcée » de neuf États. Ce nombre n’a pas encore été réuni…
Finance Watch fait des propositions techniques et concrètes, rappelant que les marchés financiers ne peuvent remplir leur mission de base sans une réglementation et des institutions à la hauteur des enjeux. Transparence international a publié en juin dernier un rapport comparant les « systèmes d’intégrité » de 25 États européens : « Argent, pouvoir et politique« . Il met en avant la situation dégradée des États et formule des recommandations pertinentes.
De nombreuses associations se mobilisent, comme Sherpa, pour appeler à la régulation des entreprises transnationales. D’autres, comme Anticor, regroupent des citoyens engagés contre la corruption sur le plan local. La plate forme contre les paradis fiscaux et judiciaires se focalise sur les dérives de la sphère financière. La justice est loin d’être à la hauteur et des réformes urgentes sont nécessaires, comme l’on rappelé récemment 82 magistrats spécialisés. En raison des entraves à l’enquête sur les commissions et rétro commissions dans l’affaire des Frégates de Taïwan, les contribuables français ont payé 460 millions d’euros…
Mais tous ces travaux ne seront utiles que si les élus et les gouvernements s’en emparent. C’est aussi l’angle mort du débat sur le Traité budgétaire (TSCG) : peut-on imposer l’austérité au plus grand nombre, sans s’attaquer à ce qui permet à quelques-uns d’accaparer frauduleusement la richesse ?
Eric Alt, magistrat
Y aller
Conversation avec Chantal Augé, conseillère municipale et membre d’Anticor, autour du livre Esprit de corruption (Editions Le Bord de l’eau), samedi 6 octobre à 11h30 à la librairie Kléber, 1 rue des Francs-Bourgeois à Strasbourg.
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