Depuis 20 ans, l’informatique de santé a été pensée pour la gestion mais pas pour le soin. À qui la faute ? À la tarification à l’activité (T2A) et au programme de médicalisation des systèmes d’informations (PMSI), puisque l’État s’est mis à demander des comptes détaillés aux établissements. S’en sont suivis alors des cahiers des charges de centaines de pages pour acheter des “Dossiers Patient Informatisé” (DPI) qui font tout même le café. Évidemment, aucun cahier des charges n’a été respecté complètement et les solutions mettent des années à se déployer. Normal : c’est impossible, personne n’est capable de produire une solution complète satisfaisant tous les besoins, qui eux même changent au fur et à mesure pour des services de soins avec chacun leur spécificités. Les échecs sont nombreux et ont coûté cher au contribuables. Le ras le bol des praticiens a eu des échos jusque dans les médias.
Le dossier médical partagé, trop verrouillé pour être utilisé
Quant au DMP (dossier médical partagé), qui devait permettre de faire le lien entre patient, médecin de ville, hôpital et laboratoires, il n’atteint pas son objectif. Pourtant la technologie est là, le système fonctionne et il est standardisé. Mais cet espace de stockage de documents est une telle forteresse que personne n’y rentre, même ceux qui ont la clé. Quasiment aucun logiciels de gestion de cabinet des médecins n’intègre le DMP de manière simple. Du coup les médecins ne le proposent pas, car au lieu d’être un gain, c’est une perte de temps.
Et le patient dans tout ça n’est toujours pas mis au centre du système. Alors il se débrouille seul avec internet et son smartphone, utilisant des applications de bien-être, de suivi thérapeutique, de diagnostic et s’informe par lui-même, souvent sur des forums.
Au DigitalHealthCamp, rencontre organisée par Alsace Digitale et qui a rassemblé près de 200 personnes dont 45 professionnels de santé à la fac de médecine le week-end du 28 et 30 mars, j’ai invité tout le monde. L’ASIP (en charge du DMP et du cadre d’intéropérabilité), l’Agence régionale de santé (ARS), le ministère de la santé et quelques éditeurs innovants ont répondu présent. Le DMP était accessible en test et chacun a pu y voir les avantages et les inconvénients. Et tout le monde était d’accord : le partage de données de santé est indispensable.
En 54h, les équipes ont montré qu’il était possible de concevoir des solutions simples et efficaces répondant à des problématiques de terrain. Citons par exemple iConsult, une solution de gestion de cabinet médical qui, surprise, fait le lien entre les patients et leur médecin traitant ! iConsult a reçu le coup de cœur du jury, la solution est portée par une équipe de quatre jeunes Alsaciens, dont un médecin généraliste, et il s’apprête à créer leur société. En un week-end, 35 projets présentés, 19 innovations ont vu le jour, et qui toutes pourraient perturber le marché des applications de santé.
Sortir des logiques corporatistes
Je ne jette pas la pierre à ceux qui ne sont pas venus, que ce soit les gros éditeurs de santé qui vivent sur leurs rentes de maintenance ou les établissements hospitaliers qui doivent composer avec des moyens limités. Mais la loi du monde de la technologie est fatale : la “disruptive innovation” comme disent les Américains peut renverser un marché en quelques années. Regardez Nokia qui, il y a 7 ans, représentait 50% du marché des mobiles et qui ne représente aujourd’hui plus que 5%…
Avec le DigitalHealthCamp, médecins et développeurs ont prouvé qu’en sortant des logiques corporatistes, il était possible de créer des solutions qui conviennent à tous, incluant les besoins des patients et des professionnels de santé. Suite à ce week-end, plusieurs startups innovantes vont se créer, c’est le début d’une révolution dans la santé. Il ne faut pas en avoir peur, c’est une opportunité pour que s’alignent les intérêts des praticiens, des industriels, des services informatiques et des patients. Ce mouvement est appelé à s’étendre avec « Hacking Health », un accélérateur international dédié à la santé.
Uwe Diegel, présenté comme « le Steve Jobs de la santé connectée », nous a rappelé lors de son intervention pendant le hackathon une citation de Pablo Picasso : « Tout ce qui peut être imaginé est réel ». Lorsque j’imagine un système de santé révolutionné par des solutions efficientes, basées sur des technologies innovantes, ce week-end m’a permis de dire que c’est réel.
Sébastien Letélié
Organisateur du DigitalHealthCamp
Chargement des commentaires…