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Travail en prison : une main d’oeuvre docile, rentable et peu avouable

En prison, le travail n’est plus obligatoire mais fortement conseillé… Que ce soit pour le fonctionnement de l’établissement pénitentiaire ou pour des entreprises privées, le travail d’un détenu n’est pas encadré par un contrat de travail. Une situation précaire qui l’empêche de défendre ses droits et qui ne semble pas favoriser une réinsertion par le travail.

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Le travail en prison a évolué, mais il reste très favorable aux entreprises (-)

Des travailleurs sans le droit du travail. L’expression peut paraître provocante, mais elle décrit la situation des détenus. Depuis la loi pénitentiaire de novembre 2009 qui aurait pu instaurer le contrat de travail, le détenu volontaire signe seulement un « acte d’engagement » auprès de l’administration pénitentiaire. Une fois cet acte signé, il peut travailler dans des ateliers rattachés à la prison, les « concessions », pour le compte d’entreprises privées. Il n’est donc pas lié contractuellement à son employeur.

Philippe Bertrand, responsable du développement, du travail et de l’emploi à la Direction interrégionale des services pénitentiaires Est-Strasbourg, décrit la procédure d’engagement :

« Lorsqu’un détenu arrive, il passe entre 8 et 15 jours dans le quartier des arrivants. Le chef de détention, des surveillants, et des membres du personnel le rencontrent pour connaître son parcours et l’orienter dans son projet de réinsertion. La commission pluridisciplinaire unique le classe pour une éventuelle demande. S’il en fait la demande, la commission de classement lui propose un poste dans un atelier ou au service général, ou encore une formation. »

« Il y a toujours plus de détenus que de travail »

À la maison d’arrêt de Strasbourg, ils sont environ 170 à travailler : 80 dans le service général (les services de l’établissement), 90 en concessions et 40 en formation professionnelle. Mais beaucoup plus à vouloir le faire. Vivre en prison a un coût et les listes d’attente pour l’emploi sont souvent longues. Ce n’est donc pas vraiment dans l’intérêt du détenu de se plaindre ou de refuser un travail :

« Si le détenu refuse un poste, il sort de la liste d’attente et doit refaire une demande de classement. Mais c’est rare car les détenus savent que le fait de travailler permet d’obtenir des remises de peine. Le nombre de postes est nettement inférieur à la demande et l’offre varie beaucoup dans l’année. En moyenne, ils attendent deux à trois mois avant de pouvoir travailler. »

Coralie Maignan, étudiante en master 2 en droit pénal et sciences criminelles rédige un mémoire sur le statut juridique du travailleur détenu. Pour elle, le système de la prison contraint les détenus à travailler sans se préoccuper de leurs droits :

« Les détenus ont besoin d’argent pour “cantiner”, c’est à dire consommer les produits vendus dans la supérette. La cantine est souvent mauvaise, alors ils s’achètent de quoi manger mais certains produits y sont bien plus chers qu’à l’extérieur. À cela s’ajoute l’abonnement TV et le prix exorbitant du téléphone à cause du monopole d’un opérateur. Tout ce système pousse à travailler mais personne ne se plaint car il y a toujours plus de détenus que de travail. »

Un salaire minimum de référence pas toujours appliqué

Sur son acte d’engagement, le détenu peut y lire ses conditions de travail ainsi que sa rémunération. Celle-ci se fait à la pièce ou à la journée, et ne doit pas être inférieure à 45% du SMIC dans le cas du travail en atelier. Elle est entre 20 et 33% du SMIC pour le travail en service général. Cependant, ce salaire minimum de référence n’est pas toujours appliqué, comme le constate dans ses rapports le Contrôleur général des lieux de privation des libertés. À la maison d’arrêt de Strasbourg, les détenus travaillant en atelier sont payés à la pièce. Donc le salaire dépend de la productivité comme l’explique Philippe Bertrand :

« Le salaire moyen d’un détenu est inférieur à cette base de 45%. C’est l’employeur qui fixe le nombre de pièces à réaliser. Il ne peut pas se permettre de payer les détenus de la même façon s’ils n’ont pas tous le même rendement. C’est à nous, en interne, de valoriser le détenu en lui proposant des missions qui lui correspondent. Pour cantiner, les détenus nous disent qu’ils n’ont besoin que d’une somme entre 100 et 150 euros par mois. À raison de 30 heures par semaine, ils les gagnent… »

Sur ce salaire, 10% sont prélevés automatiquement pour l’indemnisation des parties civiles et 10% pour le pécule de sortie si le détenu gagne plus d’une centaine d’euros. Mais plus que la faiblesse des salaires, c’est aussi la nature des tâches proposées qui pose question. Dans la loi de 2009, une obligation d’activité a été instaurée pour favoriser la réinsertion sociale par des activités culturelles ou sportives, la formation mais surtout par le travail. Difficile de voir dans des activités aussi répétitives que du conditionnement ou du cartonnage une préparation à la réinsertion. Philippe Bertrand concède que le travail en prison sert surtout à maintenir un rythme de vie :

« Oui dans l’idéal l’insertion passerait par un travail à la sortie. Mais malheureusement, ici, c’est déjà une victoire si en sortant, ils arrivent à se lever le matin et respectent les ordres d’un contremaître. »

Une alternative à la délocalisation

Cette main d’oeuvre bon marché, qui ne fait pas grève, n’est pas syndiquée, ne peut difficilement refuser un travail, et qui est coupée d’une relation directe avec son employeur, profite à des entreprises privées. Dans le cas d’un grand établissement comme la maison d’arrêt de Strasbourg, les entreprises n’ont même pas directement affaire à la prison. C’est un concessionnaire qui les démarche et centralise le travail dans les ateliers. Tout comme les entreprises, cet intermédiaire préfère garder l’anonymat. Contactées par Rue89 Strasbourg, les entreprises Wurth et Heineken qui fournissent du travail à la maison d’arrêt de Strasbourg n’ont pas souhaité répondre à nos questions.

Pour l’étudiante en droit pénal, ce sont les entreprises privées qui ont bloqué l’instauration d’un contrat de travail en 2009 :

« Les arguments sont nombreux. Dans les maisons d’arrêt, les détenus sont là pour des courtes peines, alors les entreprises expliquent qu’elles n’ont pas temps de les former. Comme la population est perçue comme dangereuse, elles disent qu’elles ne peuvent pas apporter tout le matériel. Résultat, le travail en prison a plus vocation à maintenir le calme que favoriser l’insertion. Car au fond, c’est juste une question de budget. En Suisse par exemple, les prisons ouvertes permettent réellement de former par le travail. Ça demande plus d’espace, mais un détenu en prison ouverte coûte moins cher qu’en prison fermée. Et le taux de récidive est beaucoup plus faible ! »

Depuis quelques années, le nombre d’entreprises faisant appel aux prisons diminue. Cette année, la maison d’arrêt de Strasbourg dit avoir perdu trois clients, réduisant davantage l’offre faite aux détenus.

Aller plus loin

Sur Libération : Le travail en prison, un boulot comme un autre ?


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