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Travail le dimanche, le Bas-Rhin pourrait devancer la loi Macron

Le lundi de Pentecôte est un jour férié, bien que certaines enseignes ouvrent au titre de la « journée de solidarité ». Pour les commerces alimentaires, les syndicats estiment que le repos des jours fériés et dimanches est remis en cause par l’enseigne Carrefour, des décisions de justice et des textes statiques.

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Le dimanche, les horaires sont seulement « à partir de » et sans heure de fin (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

La justice l’a réaffirmé par deux fois en février 2015 : le travail le dimanche en Alsace-Moselle dépend des départements. Dans le Bas-Rhin, c’est un texte de 1938 qui fait foi. Si la règle est la  fermeture, il autorise des exceptions pour « les boucheries-charcuteries, les marchands de lait, les marchands de glace naturelle et artificielle, les épiciers » ou même les anachroniques commerces « de denrées coloniales ». Il ne fixe aucune limite de surface et une durée maximale de trois heures.

Carrefour ouvre là où Coop fermait

Jusqu’ici les supermarchés ne se considéraient pas comme des épiceries et restaient fermés. Mais depuis que Carrefour a racheté des magasins de l’enseigne Coop Alsace, le groupe de grande distribution s’estime légitime à accueillir des clients puisque la majorité du chiffre d’affaires vient de l’alimentation générale (plus de 90%). Et le tribunal de grande instance de Strasbourg lui a donné raison puisqu’aucune limite de surface n’est mentionnée dans le texte du Département. Fait rare, les syndicats du personnel, mais aussi celui des commerçants du Bas-Rhin, attaquaient ces ouvertures et ont fait appel de la décision. Les syndicats ont été déboutés de leur intérêt à agir, « faute de démontrer l’existence de salariés » le jour d’un constat d’huissier.

Pour les trois syndicats CGT, CFTC et FO du Bas-Rhin, l’ouverture le dimanche des commerces d’alimentation n’est pas un tabou et « correspond à un besoin », mais le texte de 1938 visait les bouchers, boulangers ou épiciers et non les grandes et moyennes surfaces. C’est pour cela qu’avec l’Institut du droit local, elles proposent un « toilettage » de ces dispositions.

« Limiter à 120 m² »

Laurent Walter secrétaire général de la CFTC du Bas-Rhin explique les changements souhaités :

« Nous proposons de limiter les ouvertures aux commerces d’alimentation aux surfaces 120 m² ou moins. Pourquoi cette taille ? Elle correspond à un “commerce d’alimentation générale” pour l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Après avoir entendu les élus de tout bord affirmer défendre l’Alsace et le droit local ces derniers mois, nous aimerions des actes pour accompagner ces paroles. »

Les organisations demandent à ce que les accords de 2014 sur le travail du dimanche soient vraiment appliqués dans le département. Ils prévoient d’importantes compensations (le volontariat, un repos équivalent au nombre d’heures travaillées et une rémunération de 150% par rapport au salaire normal et 200% pendant l’Avent, frais de déplacement intégralement pris en charge) et une ouverture étendue à cinq heures, là où le texte de 1938 n’en prévoit que trois, mais pas de surface maximale.

Vision différentes entre syndicats

Tout salarié qui travaille sous d’autres conditions que celles prévues par son contrat de travail, ou par le Code du travail à défaut, peut se retourner contre son employeur devant le tribunal des prud’hommes. Mais dans les faits, ces accords ne seraient pas toujours appliqués. Le dimanche, les magasins Carrefour indiquent « à partir de 9h » sans indiquer d’heure de fermeture contrairement aux autres jours. Une mesure pour jouer avec les horaires d’ouvertures et celles effectuées par les salariés d’après les syndicats.

Sabine Gies, secrétaire générale en Alsace de la CFDT est opposée à ces modifications :

« Nous sommes attachés au principe du jour de repos dans la semaine. Le dimanche c’est le jour de la famille, des associations, des devoirs, du sport, etc. Nos enquêtes nationales ont montré que très peu de salariés sont volontaires pour travailler le dimanche (68% contre) et ceux qui le sont (32%) souhaitent des contreparties financières ou salariales. Beaucoup sont obligés, car leur contrat est un temps partiel donc c’est à prendre ou à laisser. Et une fois le volontariat accepté, il est compliqué de revenir en arrière. L’union CGT – CFTC – FO souhaite une limitation de surface, mais une définition de l’Insee n’est pas la loi. Si on autorise les Carrefour de 115 m² à ouvrir, ceux de 125 m² ne voudront pas fermer et pourront attaquer pour concurrence déloyale. Cette disposition serait la porte ouverte à une ouverture généralisée. »

Le Bas-Rhin, appelé à se positionner, l’Urssaf à regarder les cotisations

Les syndicats CGT – CFTC – FO sont en revanche incapables de chiffrer le nombre d’établissements ouverts le dimanche dans le Bas-Rhin. La CFDT indique de son côté que des procédures contre 9 magasins sont en cours. Et les syndicats sont un peu gênés de demander à des inspecteurs et huissiers de travailler le dimanche pour… défendre le repos du dimanche. Chaque agent peut faire un contrôle de son côté, mais il n’y a plus d’actions coordonnées comme en 2012.

Après les élections départementales de mars, les trois syndicats ont envoyé un courrier le 7 avril au nouveau président du conseil départemental, Frédéric Bierry pour évoquer le sujet d’un nouveau statut. La lettre est restée sans réponse. Du côté du Département on indique ne pas avoir connaissance de cette lettre, mais que le conseil se prononcera « le temps venu ». On ajoute que cela dépend essentiellement des communes. Un courrier similaire avait été envoyé à la Ville de Strasbourg (le droit local fait la différence entre les villes de Strasbourg, Colmar et Mulhouse avec le reste). En 2013, le maire de Strasbourg avait pris un arrêté municipal similaire au texte de 1938 du Bas-Rhin.

Pour la CFDT, qui ne croit pas trop à la bonne volonté des élus sur ce dossier, c’est l’Urssaf qui peut regarder si des cotisations ont été enregistrées et tiennent bien compte des majorations de salaire. Le syndicat estime par ailleurs qu’il est important de renégocier ces accords territoriaux de 2014 et les rendre plus contraignants, pour empêcher l’augmentation des ouvertures. Car si la justice donne à nouveau raison à Carrefour, il est possible que Leclerc et d’autres enseignes ouvrent à leur tour, le secteur étant très concurrentiel.

La loi Macron ne s’appliquera pas en Alsace-Moselle

Comme le texte est ancien, plusieurs communes ont pris leur propre arrêté municipal sur la question pour autoriser les ouvertures. Ces décisions ne seront pas soumises à la future loi Macron en Alsace-Moselle, à cause du droit local ou grâce à lui (choisissez selon votre position), intégré au droit du travail en 2008.

Les syndicats y voient là une généralisation des ouvertures contrairement à la future loi économique du gouvernement. Jacky Wagner, secrétaire général de la CGT du Bas-Rhin :

« Les nombreux arrêtés municipaux qui autorisent les ouvertures le dimanche sont pires que les dispositions de la loi Macron. c’est un grand n’importe quoi qui est en train de s’installer. Aujourd’hui, chacun fait ce qu’il veut. Pour l’instant, la loi limite l’ouverture à 12 dimanches par an, selon le bon vouloir du maire, et non à toute l’année. »

Pire, car pas d’accord avant l’ouverture

La loi Macron a été votée en première lecture à l’Assemblée nationale, par le biais de l’article 49-3, c’est à dire que le gouvernement devait démissionner si le texte n’était pas voté. Le Sénat, dont la majorité est de droite, a voté une version jugée plus libérale, qui sera de nouveau étudiée à l’Assemblée nationale.

Sabine Gies de la CFDT utilise aussi le terme de « pire », mais pour d’autres raisons  :

« Bien que nous sommes opposés au principe, les ouvertures le dimanche dans la future loi seront au moins conditionnées à un accord collectif entre salariés et employeur préalable, contrairement à ce qui existe en Alsace-Moselle. »

Elle regrette aussi que « seul 1 salarié sur 10 ose vraiment s’exprimer » contre ses horaires dominicaux et leur volontariat présumé. Quid des autres ? N’osent-ils pas ou trouvent-t-il leur compte grâce à un meilleur salaire comme ce salarié dans notre article en juin 2013 ?

Au-delà de l’aspect légal, c’est tout le débat sur les retombées économiques et pour la société de ces ouvertures dominicales qui continue. L’Alsace-Moselle se croyait épargnée par son droit spécifique, mais les décisions de justice vont dans le sens inverse.

Interpeller les conseillers départementaux dans un second temps

Les syndicats y voient de lourdes conséquences pour le petit commerce. Le directeur d’Auchan lui-même estime que cela n’aura pas de retombées sur l’emploi. D’autres économistes estiment en revanche que ces ouvertures peuvent avoir un impact bénéfique, bien que modéré. La loi Macron prévoit que le maire choisit entre 5 et 12 dimanches d’ouvertures pour tenir compte des spécificités des territoires. Encore faut-il que ce dernier privilégie l’intérêt général et pas celui de l’une ou l’autre enseigne.

Si les syndicats de l’union CGT – CFTC -FO n’obtiennent pas de réponse de la part du président du Bas-Rhin, ils comptent dans un deuxième temps sensibiliser les conseillers départementaux fraîchement élus. On imagine que ces derniers attendront les dispositions finales de la loi Macron pour se positionner. L’occasion de voir si la droite alsacienne est plus « libérale » ou non que le ministre de l’Économie du gouvernement.

Aller plus loin

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