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Le souffle, le nez, la mémoire : 9 mois après la covid, ils n’ont toujours pas récupéré

Infectés par le coronavirus, ils doivent réapprendre à vivre avec des maux persistants, auxquels même le corps médical n’a pas de remède. Trois Strasbourgeois racontent leurs galères post-covid.

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Théotime : papa sportif cherche toujours son second souffle

Pour la photo, Théotime remonte son vélo de la cave jusqu’à son appartement du quartier Gare. Même s’il habite au rez-de-chaussée, c’est déjà une victoire. Une semaine plus tôt, il ne sait pas s’il en aurait été capable. Depuis qu’il a été infecté par le coronavirus en mars, les phases de rétablissement et de rechute se succèdent. Ces dernières sont de plus en plus espacées note-t-il, optimiste.

En servant le café, le jeune papa raconte son sentiment d’avoir raté un épisode. Ce confinement automnal, c’est le premier qu’il vit en étant éveillé. Il a passé celui de mars et d’avril dans les vapes, avec dans ses instants de lucidité la peur permanente de contaminer sa compagne et sa fille qui venait tout juste de naître. « En somme, je découvre seulement maintenant le sentiment de frustration lié à l’attestation de déplacement. »

Entre le confinement et le souffle court, Théotime n’est pas prêt de refaire du vélo. Photo : PP / Rue89 Strasbourg / cc

Pour lui, la première vague a débuté par une grosse grippe sans fièvre. Non, ce n’est pas la covid-19 lui assure au bout du fil un médecin du Samu débordé qu’il a mis une bonne heure à avoir. Finalement, la fièvre et les douleurs dans la poitrine s’installent :

« J’étais obligé de rester allongé, mais légèrement incliné pour que ce soit supportable. J’avais l’impression d’avoir des bulles liquides dans la poitrine, c’était assez étrange. »

« J’ai pu aller jusqu’au parc de la Citadelle à vélo »

Sans consigne médicale, Théotime reste alité deux semaines. Il met en pause son activité d’illustrateur. Puis sa première tentative de sortie se solde par une rechute : « La maladie sape vraiment toutes tes défenses, tu ne peux plus rien faire contre les agressions extérieures. »

Pendant trois mois, il enchaîne des périodes de deux semaines de bonne forme, puis de rechute. Les douleurs à la poitrine ne le lâchent pas. La reprise du travail est compliquée : quand il reste assis trop longtemps, son diaphragme se comprime.

Sans être un grand athlète, Théotime avait jusque-là une bonne condition physique. Mais l’adepte d’escalade devra patienter un peu avant de pouvoir regrimper sur un mur. À vélo, le Rhin est son nouvel horizon : « Au début de l’été, j’ai pu aller jusqu’au bout du parc de la Citadelle puis il m’a fallu 15 minutes pour récupérer avant de rentrer. »

« Je veux pouvoir assurer mes charges parentales »

Il lui faut aussi assumer son nouveau rôle de père, et soulager sa compagne qui a elle aussi frôlé l’épuisement. Il a donné le change comme il pouvait cet été, quand le couple s’est rendu dans leurs familles respectives. Mais son corps lui a très vite rappelé ses nouvelle limites :

« Je me suis fait un peu violence en Bretagne avec ma belle-famille, pour montrer que j’étais présent. Mais chez mes parents, je me suis écroulé. J’aurais pu dormir à même le sol. »

Théotime se sait diminué mais il sait aussi que ce qu’il ne fait plus est une charge supplémentaire pour sa compagne. Celle-ci a tout géré de front durant la première vague, il rattrape ses absences comme il peut. Aujourd’hui, il arrive à gérer la crèche parentale où est inscrite la fille du couple :

« Je ne me plains pas auprès de ma compagne à chaque fois. D’un côté j’ai toujours des coups de fatigue, et d’un autre, je veux pouvoir assurer un minimum la répartition des tâches. De toute façon tu ne peux jamais trop lâcher quand tu as un bébé. »

Sans réponse, un « lâcher prise médical » s’impose

Papa avant d’être patient. Cette nouvelle responsabilité fait passer la quête de la guérison au second plan. Pendant un temps, Théotime se documente lui-même. La réponse à ses problèmes se trouve peut-être dans une revue médicale très pointue. Il y découvre surtout de nouvelles formes de complications qui ne font qu’attiser ses angoisses :

« Quand j’ai découvert qu’il y avait aussi des séquelles sur le plan cardio-vasculaire, je sentais mon cœur s’emballer pour rien. Je n’avais pas envie que ces angoisses se concrétisent avec un nouveau problème. Du coup, j’ai arrêté de me documenter, j’ai fait une coupure médiatique. »

Mieux vaut alors se faire une raison. Admettre que son corps de trentenaire sportif n’est plus infaillible, pas plus que la médecine moderne. Après le premier médecin joint par téléphone, Théotime a consulté plusieurs médecins et spécialistes. Les examens du cardiologue et du pneumologue n’ont rien détecté.

Seule la kinésithérapie le soulage un peu. Après chaque séance, Théotime dispose de deux heures pendant lesquelles la douleur s’en va. Deux heures de répit qui tendent à s’allonger un peu plus ces dernières semaines. C’est toujours ça de pris.

« Il n’y a rien d’autre à faire pour le moment, les médecins n’en savent pas plus que nous. C’est assez perturbant de voir la médecine être dans l’incapacité d’apporter une réponse immédiate. La seule chose qu’a pu me certifier le pneumologue, c’est que mon état n’empirerait pas. »

Sacha : « On ne se rend pas compte à quel point l’odorat et le goût sont essentiels pour survivre »

Sacha a une nouvelle question rituelle quand il reçoit chez lui : « Ça sent quoi dans mon appart ? Ça pue pas ? » L’homme à la casquette est devenu direct : mettre des mots, même crus, sur ce qui lui arrive, fait partie de la thérapie qu’il s’est appliquée.

Contaminé à Strasbourg dès mars, Sacha s’est fendu cet été d’un long témoignage aux allures de catharsis dans la rubrique blogs de Médiapart. Le coronavirus l’a abattu mais surtout, en quittant son organisme, il est parti avec son palais et son nez. Avec ce texte, il a pu expliquer ces troubles une bonne fois pour toutes ce qu’il vivait :

« Ça m’a fait du bien à moi, et aussi à d’autres personnes qui traversent la même chose et qui sont venues me remercier. Pas mal de proches sont venus me trouver et me dire “vieux, je me rendais pas compte que c’était à ce point-là”. »

Sacha attablé devant un ceviche de loup. Le premier plat dont il a pu reconnaître le goût cet été. Photo : PP / Rue89 Strasbourg / cc

« La pire odeur qu’on puisse sentir le matin me guettait toute la journée »

Les premières semaines après être sorti du lit, Sacha ne s’inquiète pas outre mesure. Cette histoire d’anosmie et d’agueusie, c’est sûrement un petit désagrément passager qui le priverait juste du plaisir de manger pendant un temps. Sauf que ce « petit désagrément » ne passe pas. Beaucoup de patients relèvent que les goûts et les odeurs sont altérés. Pour Théotime, c’était les couches de sa fille qui sentaient la cerise. Sacha de son côté a fait une mauvaise pioche : son nerf endommagé par le virus lui indique que tout ce qui est cuit ou torréfié a le goût de ses selles :

« Je parle pas d’un goût de merde en général hein, quand je mangeais quelque chose de cuit, ça me renvoyait vraiment à MES selles. Ça veut dire que la première odeur désagréable du matin, pouvait resurgir n’importe quand dans la journée. »

Quand Sacha envoie bouler le test à l’aveugle d’huiles essentielles de l’ORL qui ne fonctionne pas, et qu’il n’a plus de motivation pour rien, sa compagne de l’époque met le mot sur ce qui ne va pas. Sacha traverse une dépression. « Rien que le comprendre, ça a déjà été une délivrance. »

Le risque permanent de l’intoxication alimentaire

Mais le calvaire ne s’arrête pas au goût exécrable de la cuisson. Sacha découvre rapidement à quel point l’odorat et le goût sont des sens aussi nécessaires que sous-estimés :

« Spontanément, tu te dis que le sens le plus important pour survivre, c’est l’ouïe qui te prévient du danger. Puis tu penses à la vue. Mais jamais tu penses à l’odorat ou au goût. L’autre jour, j’ai mangé un truc pas frais. J’ai été malade pendant 4 jours. Depuis, je jette la nourriture au moindre doute. »

À cela s’ajoutent les contraintes sociales. Depuis qu’il a perdu l’odorat, Sacha pose des questions qui ne lui seraient jamais venues à l’esprit sans cette perte d’autonomie. À chaque sortie, une question l’obsède : « est-ce que je pue ? »

« C’est quelque chose de très social l’odeur. Tu ne vas pas dire à quelqu’un qu’il pue, ça ne se fait pas. Tu vas juste t’éloigner poliment. Donc j’ai demandé à mes amis d’être très francs là-dessus. Pareil pour l’odeur de mon appart ou de la poubelle. »

« Je dois réapprendre à manger »

Depuis, Sacha guette toute amélioration que lui transmettrait son palais. Bonne nouvelle, il peut toujours sentir l’anis et le jus de tomate. Mauvaise nouvelle : les pots d’échappement ont une odeur aussi infecte que décuplée. Pour reconstruire son nerf abîmé, il s’est concocté une cure d’oméga 3. « Je m’envoie des litres d’huile de colza. Normalement c’est infect quand c’est pur, mais je ne le sens pas. »

Il a renoncé à son régime végétarien en y incluant du poisson. La vraie bonne surprise est venue cet été : son palais s’est réveillé à Marseille, alors qu’il dégustait un ceviche de loup avec du gingembre, du citron, du balsamique. Il s’en est justement préparé la veille, il engloutit l’assiette qui l’attend dans le frigo :

« Il y a eu une étincelle parce que c’est un plat très goûteux qui mélange beaucoup de saveurs. La prochaine étape, ça sera d’être capable d’isoler des ingrédients dans des plats plus simples. Je dois vraiment me concentrer, visualiser mon nerf en train de se reconstruire. Je ne mange plus devant une série ou un bouquin. Je me pose et je me concentre sur ce que je reçois comme information. Est-ce que c’est amer, acide, quelle texture ça a. En gros, je dois réapprendre à manger autrement. »

Lucille : « Je dois parfois demander à mes proches ce que j’ai fait la veille »

Lucille passe le confinement seule, dans la résidence étudiante du quartier Danube où elle a atterri à la rentrée. La solitude ne la dérange pas spécialement. Plutôt ça que les soirées étudiantes à risques :

« Avant le reconfinement, j’étais assez choquée par la désinvolture générale. Je pensais à mes grands-parents qui sont des personnes à risque. Et puis je n’ai pas non plus spécialement envie d’être recontaminée. »

Pour garder un souvenir de ses journées, Lucille doit tout noter sur post-it. (Photo PP)

Question covid, Lucille et sa famille ont déjà donné. Ses grands-parents l’ont eu en premier, quelques jours avant le premier confinement. Elle suppose que c’est en allant les ravitailler que le virus s’est invité dans sa famille belfortaine pour l’infecter elle, sa sœur et ses deux parents. Son frère est resté mystérieusement hermétique, même en ayant vécu sous le même toit qu’eux pendant le confinement :

« Ça a été très dur pour tout le monde. De mon côté j’ai eu les pires migraines de ma vie, j’étais incapable de lever les yeux, je pouvais à peine les ouvrir. Et c’était littéralement impossible de me mettre debout. »

Trois jours sans souvenirs

Lucille n’a pas été hospitalisée mais aujourd’hui encore, Lucille a du mal à identifier certaines odeurs. Le parfum de son compagnon a complètement changé pour son nez. Mais ce qui l’handicape le plus, c’est sa mémoire et sa capacité de concentration devenues très aléatoires :

« Au début j’ai eu de simples trous, un peu comme quand on a un mot ou le nom d’une personne célèbre sur le bout de la langue. Il m’est aussi arrivé d’envoyer un message ou d’appeler une personne deux fois d’affilée. »

Mais depuis le reconfinement, ces phases d’absences sont plus fréquentes et plus marquées. Lucille parle de « black-out ». Une semaine après la fermeture des magasins, elle s’est réveillée le jeudi sans avoir le moindre souvenir de ce qu’elle a bien pu faire depuis le début de la semaine :

« J’ai dû recontacter tous mes proches pour qu’ils m’aident à retracer les jours qui me manquaient. J’ai pu voir sur mon emploi du temps que je devais avoir cours en visio, mais je ne me souviens de rien. Je sais juste par mon copain que je suis allée faire des courses et que je l’ai appelé. »

Depuis ce jour où elle a oublié la moitié de sa semaine, Lucille est victime d’à peu près une perte de mémoire par semaine, d’intensité variable. Faute d’obtenir une réponse de la médecine, elle émet une hypothèse : est-ce que ces pertes de mémoires sont liées à l’ambiance générale ? Le confinement a beau être plus souple qu’au printemps, Lucille n’a pas oublié le K.O que lui a infligé le virus, et elle redoute d’y être de nouveau confrontée : 

« J’ai l’impression que c’est lié au fait d’être sous pression à nouveau. Beaucoup prennent ça à la légère, mais quand on a vraiment été malade, c’est un peu comme un stress post traumatique. Ça réveille certaines choses. »


Des Post-it comme béquilles thérapeutiques

L’hypothèse est invérifiable pour le moment. Comme Sacha et Théotime, Lucille s’est accommodée de l’absence de réponse médicale. « Je ne vois pas trop l’intérêt d’en parler à un médecin, ils ne savent pas quoi faire pour l’instant. » Pas plus qu’elle n’espère d’aide du côté de l’Université. « Je leur dis quoi ? Que j’ai des difficultés à mémoriser ? Ils vont faire quoi ? De toutes façons, je ne pourrai pas le justifier sans attestation du médecin. »

Faute de mieux, l’étudiante s’applique à consigner sur des post-it les étapes de ses journées et les cours qu’elle a eu. Une sorte de bullet-journal qu’elle garde à portée de main en cas de nouveaux trous de mémoire. Quand les post-it ne suffisent pas, elle compte sur sa famille et ses proches avec qui elle échange régulièrement pour retracer ses journées.

Mais même très bienveillants, ses proches ne peuvent pas suivre ses cours à sa place. Lucille en veut un peu à son excellente mémoire surentraînée par une classe prépa de l’avoir laissée tomber. Le format des cours à distance n’est pas non plus pour l’aider. Dans le cinéma puisque c’est le domaine qu’a choisi d’étudier Lucille, l’ambiance dépend du son, de l’acteur, du décor. Un cours en ligne, c’est comme un film sans image :

« La visio n’aide pas franchement. Il manque cette présence humaine qui donne quelque chose auquel se raccrocher. Ici il y a du son, mais pas vraiment d’image, ni d’atmosphère qui aide à restituer les choses. »

Lucille a beau rester sûre de ses capacités et de la présence de son entourage, le reconfinement et ses complications ont miné sa première année à l’université. « Je pense que j’aurai mon année, mais j’aurais pu faire tellement plus. »


#Santé

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