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Tout le droit local d’Alsace-Moselle d’origine allemande est contestable

La décision du Conseil constitutionnel de la semaine dernière, censurant une disposition du code local du commerce, a une conséquence fâcheuse : elle rend contestable tout le droit local d’origine allemande, soit environ 40% du droit local d’Alsace-Moselle, car il n’a pas fait l’objet d’une traduction officielle. Du coup, on s’active dans les services de l’Etat car de nombreux litiges pourraient être renvoyés via des questions prioritaires de constitutionnalité.

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La couverture d'un exemplaire de la Revue du droit local, édité par l'Institut du droit local (-)

Dans une décision rendue le 30 novembre, le Conseil constitutionnel a censuré l’adhésion obligatoire à une corporation pour les artisans. L’annonce a fait grand bruit et la Chambre des métiers d’Alsace est en train de chercher la parade afin d’éviter de voir ses revenus fondre comme neige au soleil. Cette disposition figurait dans le droit du commerce local d’Alsace-Moselle, introduite par les Allemands pendant l’annexion du territoire entre 1871 et 1918.

Mais dans le 12e considérant de sa décision, le Conseil constitutionnel va plus loin, et laisse planer une ombre d’inconstitutionnalité sur l’ensemble du droit local issu de l’Empire allemand :

« Considérant que les dispositions contestées, rédigées en allemand, n’ont pas donné lieu à une publication de la traduction officielle prévue par les lois du 1er juin 1924 susvisées ; qu’aux termes du premier alinéa de l’article 2 de la Constitution (…) : « La langue de la République est le français » ; que si la méconnaissance de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, ne peut, en elle-même, être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution, l’atteinte à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité de la loi qui résulte de l’absence de version officielle en langue française d’une disposition législative peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité ; que, toutefois, compte tenu de la déclaration d’inconstitutionnalité prononcée au considérant 11, il n’y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel d’examiner le grief tiré de la violation de ces exigences constitutionnelles ; »

L’absence de traduction rend les textes inaccessibles

En clair, le Conseil constitutionnel prévient que l’absence de publication au journal officiel des traductions de cet ensemble de lois pourraient les rendre inconstitutionnelles. Mais il ne se prononce pas là-dessus, car sur cette saisie, la censure de l’adhésion obligatoire suffisait. Il l’explique dans son commentaire (PDF) :

« Dans sa décision du 30 novembre 2012, le Conseil constitutionnel, bien qu’ayant censuré les dispositions contestées sur le fondement de l’atteinte à la liberté d’entreprendre, a apporté une réponse de principe à cette question. L’atteinte au principe d’accessibilité de la loi qui résulte de l’absence de version française d’une disposition législative peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité. À la lumière de la réponse de principe apportée par le Conseil constitutionnel, il revient au pouvoir réglementaire d’examiner sans tarder la publication officielle des traductions françaises de ceux des textes en vigueur en Alsace-Moselle dont seule la version en langue allemande fait foi à ce jour. »

Message reçu à l’Institut du droit local. Son secrétaire général Eric Sander explique :

« Les traductions de tous ces textes, ou presque, existent déjà et ce sont ces traductions qu’utilisent les professionnels depuis longtemps. C’est à l’Etat de s’en saisir et de les publier au Journal officiel de la République. On a pris attache avec les services de l’Etat et normalement, toutes les traductions du droit local issu de l’Empire allemand devraient être publiées d’ici deux à trois mois. »

Couverture d'un livre sur le droit local du travail applicable en Alsace (-)

Des textes jamais traduits

Eric Sander est bien optimiste, car d’autres acteurs du monde judiciaire pensent que la publication de ces lois pourrait être plus longue. Certains textes n’ont tout simplement pas encore été traduits, comme l’explique Me Jean-Yves Simon, avocat spécialisé dans le droit du travail à Mulhouse :

« Certaines dispositions du droit local du travail ont été intégrées en 2008 dans le droit français, comme le repos dominical. Mais il reste des dispositions qui n’ont jamais été traduites, comme la clause de non-concurrence qui n’existe pas en France de l’intérieur. »

Le droit local d’origine allemande est très vaste, il concerne par exemple le droit d’association, les débits de boissons, l’apprentissage, le commerce, la police du bâtiment, la navigation sur le Rhin, ainsi que certaines dispositions pénales comme le délit de blasphème

Le droit local pourrait être entièrement censuré

Et en attendant une publication au Journal officiel, tous les litiges où intervient un article du droit local allemand pourraient se retrouver sur les piles de dossiers du Conseil constitutionnel. Pour Me Nicolas Fady, à l’origine de la procédure sur les corporations, il serait temps que le droit local se rénove :

« Les textes concernés, et qui font foi, sont écrits en allemand et en caractères gothiques ! Pour les consulter, il faut se rendre à l’Institut du droit local, sur rendez-vous uniquement… Alors pour l’accessibilité, on a vu mieux. Nous sommes redevenus français depuis près d’un siècle, ces traductions auraient dû être officielles depuis 1924, alors qu’est-ce qu’on attend ? A force de s’arque-bouter sur une vision fermée du droit local, en s’assurant que Paris ne regarde pas, voilà où on en est ! »

Deux lois de 1924, maintenant en vigueur le droit local en Alsace-Moselle, rendaient pourtant obligatoire des traductions officielles… Il faut croire que la République a eu d’autres priorités. Néanmoins, si les recours se multiplient, le Conseil constitutionnel pourrait être tenté de censurer l’ensemble du droit local comme le craignent certains, dont la sénatrice UMP du Bas-Rhin Fabienne Keller qui parle de « brèche » dans le droit local :

« Qu’en sera t-il demain ? L’ensemble du Droit local sera t-il revu en profondeur par le Conseil constitutionnel ? »

André Reichardt, sénateur UMP et président de la commission d’harmonisation du droit local au conseil régional, se veut rassurant :

« Le droit régional différent du droit national a déjà été reconnu comme conforme à la Constitution française lors d’une décision d’août 2011 portant sur le travail le dimanche. Donc le danger ne pèse que sur le droit d’origine allemande. L’ennui est que les traductions disponibles datent des années 30, ont été réalisées à l’époque par le ministère de la Guerre et qu’elles sont très littérales. »

Si vous êtes en procédure pour une question de blasphème, vous savez désormais quoi faire.


#André Reichardt

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