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Au TNS, « l’hospitalité, l’accueil et la diversité » au centre du projet de Caroline Guiela Nguyen

Caroline Giuela Nguyen veut « de la diversité » sur ses plateaux et dans ses salles. Guidée par son amour du récit, la directrice du TNS compte faire de l’institution un lieu de rencontres et d’échanges.

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Troupes amateurs dans les quartiers, discussions philosophiques nocturnes, comédiens de toutes origines et création d’un espace convivial dans le hall du Théâtre national de Strasbourg (TNS). Telles sont les propositions de sa nouvelle directrice Caroline Guiela Nguyen, pour la saison 2023 / 2024 et pour les cinq années, au moins, à venir. Entre une composition de la programmation à quatre mains et le désir d’en bouleverser ses codes, rencontre avec celle qui veut mettre en scène la diversité à tous les niveaux.

Rue89 Strasbourg : Comment se passe cette arrivée à Strasbourg ?

Caroline Guiela Nguyen : Je suis très honorée, et en même temps c’est très concret. Je viens à mon bureau – c’est la première fois que j’en ai un ! – j’écris, je rencontre des gens, j’élabore mon projet avec les équipes… Le TNS est une très belle maison, avec des gens amoureux du théâtre et de son histoire. L’énergie y est donc très forte. Pareil pour l’école. J’ai déjà pu recruter la nouvelle promotion. Ça a été un moment particulièrement émouvant.

Caroline Guiela Nguyen a une longue histoire avec le TNS, puisqu’elle y a fait ses études de mise en scène, dont elle est sortie diplômée en 2008. Photo : Jean-Louis Fernandez / doc remis

De l’école à la direction

Vous avez travaillé en collaboration avec beaucoup de théâtres mais n’en avez jamais dirigé. Qu’est-ce qui vous a amené à ce poste, au TNS, au sein duquel vous avez fait vos études de mise en scène ? 

Pendant longtemps, je n’ai pas envisagé de diriger une maison. On me l’a souvent proposé, mais j’étais très bien avec ma compagnie. Pour le TNS, c’est différent. L’histoire que j’ai avec ce lieu et la ville m’a donné envie d’y revenir et d’y développer un projet. J’aime énormément Strasbourg, parce que c’est une ville frontalière dans laquelle j’entends parler plein de langues… Une diversité qu’on retrouve au cœur de mon travail. J’ai adoré le TNS en tant qu’élève, mais j’ai aussi dû me battre contre lui.

Pour que tous les publics se retrouvent dans ce qui se passe sur le plateau, la metteuse en scène tient à « montrer des récits, des visages, des langues et des corps auxquels on n’a souvent pas laissé de place ». Photo : Manuel Braun / doc remis

Vous avez souvent déploré le manque de diversité au TNS. Fille d’une Vietnamienne et d’un pied-noir, vous étiez l’une des seules élèves non-blanche de l’école. Qu’est-ce qui a changé ? 

C’était un théâtre extrêmement blanc. Je ne voyais ni dans le public, ni sur scène, ni dans l’école des personnes qui me ressemblaient, qui appartenaient à mon histoire, à mon enfance. Et le pire, c’était que je trouvais ça complètement normal… J’essayais de coller à ce schéma.

De la diversité sur scène et en salles

Le fait de revenir ici et de voir tout ce qui a bougé en si peu de temps, de rencontrer toute une nouvelle génération de jeunes personnes qui ont décidé que les choses devaient absolument changer me réjouit. Aujourd’hui, j’espère que si on voyait toute une promotion sans diversité, cela choquerait. 

En travaillant avec des comédiens professionnels et amateurs, en allant les chercher parfois à l’autre bout du monde, comme au Vietnam avec votre spectacle Saigon, vous participez à renforcer cette diversité. Quelle incidence cela a-t-il sur le public ?  

Ce qui est génial aujourd’hui, c’est que beaucoup d’artistes se posent la question de l’adresse, ils se demandent à qui ils parlent. Il y a encore dix ans, c’était parfois vu comme de mauvaises questions, qui pouvaient détourner l’artiste de son art. Personnellement, j’ai toujours eu un souci du public. Une de mes principales préoccupations est ce qui se passe dans la salle, pas tant qui il y a sur le plateau.

Je me suis dit qu’en étant au TNS, je ferai en sorte que tout le monde sente qu’il y a des propositions qui lui sont adressées. Cet espace doit être le plus accueillant possible. C’est pour cela que je tiens à montrer des récits, des visages, des langues et des corps auxquels on n’a souvent pas laissé de place. 

En janvier, Caroline Guiela Nguyen a sorti un livre manifeste à travers lequel elle revient, avec finesse et poésie, sur sa vision du théâtre contemporain et sa manière de travailler. Photo : Couverture de l’ouvrage Un théâtre cardiaque

Plus précisément, quelles sont les nouveautés que l’on pourra découvrir au TNS ?

Nous allons penser notre communication en fonction de zones géographiques de Strasbourg. J’aimerais que dans chacune de ces zones, de ces territoires, une troupe amateure bénéficie de l’accompagnement de metteurs en scène invités par le TNS, toute l’année. Ces créations seront présentées lors de « Galas du TNS », en fin de saison. Ce sera également l’occasion d’inviter des projets différents, comme un spectacle porté par un centre socio-culturel qui nous a marqués.

Discussions philosophiques au petit matin

De manière générale, j’imagine un théâtre plus ouvert. Je veux que le hall Koltès devienne un lieu de vie en dehors des représentations, qu’on ait envie de s’y installer, d’échanger autour d’un verre, qu’il puisse accueillir des événements, comme l’enregistrement d’émissions de radio dans la journée. Je réfléchis aussi à un format qui s’intitulerait « envisager la nuit » et qui serait un espace de débat pour aborder des questions de société complexes vers 4 heures du matin. 

Et du côté de l’école ?

Je souhaite renforcer les liens entre théâtre et cinéma. Les élèves compléteront leur formation avec la Cinéfabrique de Lyon, pour qu’ils puissent échanger avec des décorateurs, des réalisateurs de bande-son… De quoi penser ces deux arts ensemble, et non côte à côte. Je vais poursuivre les efforts de mon prédécesseur (Stanislas Nordey, NDLR), pour travailler la diversité dans l’école, pas uniquement chez les comédiens, mais aussi dans les chargés de projets comme les metteurs en scène ou les scénographes. 

À cause du délai de votre nomination, la programmation de la saison 2023/2024 s’est faite à quatre mains, avec six premiers spectacles proposés par Stanislas Nordey d’ici décembre. Comment avez-vous vécu cet exercice ? 

C’était un exercice intéressant, notamment avec Stanislas Nordey. Il y a une cohérence et une complémentarité dans nos choix. Il a programmé Radio Live – la relève, que j’avais également repéré. Et j’ouvre ma programmation avec Le Iench, d’Eva Doumbia, qui a remporté le prix Bernard-Marie Koltès du TNS l’année dernière. (L’oeuvre suit le quotidien d’un jeune garçon originaire du Mali, qui rêve d’avoir la vie que lui vend la télévision, mais qui se heurte au racisme et aux assignations sociales, NDLR) C’est une autrice qui m’est chère, car elle parle réellement d’aujourd’hui.

« Décoloniser les arts »

Quand j’étais jeune metteuse en scène, Eva avait déjà cette préoccupation importante de décoloniser les arts… Moi, je n’étais pas encore arrivée à ces questions-là. Elle fait partie des artistes qui m’ont donné de la force et qui m’ont offert la possibilité de dire, 14 ans plus tard : « Il faut que les choses changent. » 

Il y a-t-il un fil rouge qui lie ces premiers choix ?

Non, je déteste qu’on dise que j’ai une thématique, que je choisis les artistes parce qu’ils parlent de l’exil par exemple. Ce n’est pas ça du tout. Je choisis des artistes parce qu’ils sont importants à mes yeux. Parce que j’aime leur travail. Ils racontent le monde à travers un regard que j’ai envie de voir dans le théâtre aujourd’hui. Ils se soucient de la question des récits, de l’adresse… 

Stanislas Nordey et Caroline Guiela Nguyen ont présenté conjointement la saison 2023-2024 avant les vacances d’été. La billetterie est dorénavant ouverte. Photo : Jean Louis Fernandez / doc remis

Une préoccupation qui se retrouve dans vos propres œuvres, comme Saigon qui sera rejoué au TNS du 19 au 26 mars ou Lacrima, du 14 au 18 mai ? 

J’ai toujours voulu que mes spectacles soient le plus ouverts possibles. J’adore travailler avec des acteurs qui n’en sont pas et des acteurs qui en sont. Cela fait venir des gens qui ne seraient jamais allés au théâtre et qui se retrouvent soudainement sur un plateau.

Poursuivre une démarche de diversification

En devenant directrice, je peux aller encore plus loin dans ma démarche. Par une architecture, un lieu, un dialogue avec le public, l’écriture de programme de salle, en invitant d’autres artistes… Il se passe des choses qui sont importantes, des personnes se battent pour accorder une place à tous, et cela me stimule. Pour moi, le théâtre se porte de mieux en mieux. 

Vous défendez un théâtre actuel, qui part du réel et a un effet concret. Pour vous, à quoi doit servir le théâtre en 2023 ?

Je ne répondrai jamais que le théâtre peut changer le monde. On voit bien comment il peut être désarmé parfois… Mais j’ai toujours en tête qu’avant de vouloir changer le monde, il faut qu’on regarde autour de nous, avec les gens qui sont là, ce que ça change pour eux. Par exemple, avec qui on décide de passer trois mois en répétition, qui on fait venir sur un plateau.

Si on réussit à changer les possibilités de rencontre, de partage et d’accueil, si on amène d’autres récits, d’autres langues et d’autres accents… il se passe déjà quelque chose d’important. Moi, je fais du théâtre parce que j’ai besoin de raconter des histoires, de me réapproprier le récit. Et j’ai hâte de pouvoir partager cette passion et ce projet avec les Strasbourgeois.

Pour les spectateurs qui n’avaient pas encore pu voir les créations de Caroline Guiela Nguyen, deux de ses pièces seront jouées cette année. Saigon, en reprise, et la toute nouvelle création Lacrima. Photo : Jean Louis Fernandez / doc remis

#TNS

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