De loin, la mise en scène de la conférence de presse pourrait ressembler à celle d’un one-man show, dans un café branché. Des chaises en bois face à un pupitre improvisé, un comptoir de bistrot, des tables en vrac. Surtout, il y a le ton : léger et drôle. Pour présenter la programmation 2023-2024 du « TJP, Centre dramatique national de Strasbourg », la nouvelle directrice, Kaori Ito, sait détendre l’atmosphère.
Construite autour de la notion de « soin », la programmation ambitionne de toucher à des sujets graves ou sensibles, avec humour et douceur. L’autre objectif affiché, c’est d’ouvrir davantage le théâtre – au sens propre – à un public large, en ouvrant notamment l’accès aux locaux à la pause méridienne.
« J’aime quand les sujets politiques touchent à l’intime »
« Je voulais travailler sur la notion de “soin”, parce qu’il me semble que la fragilité est de plus en plus mise en avant [dans la culture] », commence Kaori Ito. Pour être plus précise dans son propos, elle évoque l’art du « kintsugi », une technique japonaise de réparation utilisant de la poudre d’or pour colmater les brèches. « Je considère que cette poudre d’or, elle naît du dialogue entre les enfants et les artistes. »
La liste des spectacles prévus reprend les ambitions de la directrice : mêler le drame et l’humour, émerveiller avec des spectacles fantastiques. Plusieurs œuvres évoquent également la politique, à travers un prisme personnel, comme le débat de trois amis sur les couleurs, dans la pièce « Ma couleur préférée » de David Bobée et Ronan Chéneau. La politique imprègne également la pièce « Nous, dans le désordre », d’Estelle Savasta, à travers la fable d’un adolescent allongé sur le sol, refusant de se lever. « J’aime bien quand les sujets politiques touchent à l’intime, quand l’artiste parle de l’intime », résume Kaori Ito.
Ouvrir grand les portes du théâtre
Durant la présentation, la directrice insiste sur sa volonté d’ouvrir davantage le théâtre et la création artistique à un public plus large ; elle résume sa vision d’une saillie : « On peut être poète même si on se sent chelou. »
Au sens littéral, la petite scène du théâtre sera ouverte tous les mardis midis pour des pique-niques ; une semaine sur deux, des petites représentations gratuites seront proposées aux curieux. Des apéros ouverts seront également au menu.
Des groupes d’enfants seront également sollicités pour rendre leurs retours sur les spectacles, à travers le « collectif en scène » pour les 8-13 ans (regroupés autour de 2 artistes, ils créeront un spectacle) et le collectif « en images » pour les 13-18 ans (qui documenteront via l’image et l’écriture les coulisses du TJP). Les enfants du foyer Charles Frey viendront également donner leur avis, en tant que « comité expert ».
« Le tournant vers la petite enfance, ça a été nos maternités »
Au fil de la conférence, la posture des jambes et la gestuelle de la nouvelle directrice trahissent ses réflexes de danseuse. Également metteuse en scène et fondatrice de la compagnie Himé (aujourd’hui en sommeil), l’artiste originaire du Japon a été nommée par la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak pour un mandat de quatre ans à la tête du Théâtre TJP. Pour préparer cette saison, elle a pris ses fonctions dès le 1er janvier 2023.
« Notre intérêt pour les spectacles pour enfants est récent. Le tournant, ça a été nos maternités », raconte Amela Alihodzic, directrice adjointe de la compagnie Himé – elle occupe désormais le même poste au sein du TJP.
Une bonne part des spectacles à l’affiche sont des créations de Kaori Ito, comme Waré Mono, Chers, Battle mon cœur ou Robot, l’amour éternel. « Il y a beaucoup de ses spectacles au programme, parce qu’elle veut se présenter au public du TJP », explique Amela Alihodzic. « Ses spectacles seront moins présents dans les saisons qui suivront. »
Waré Mono, première création au TJP
L’une de ses créations, Waré mono, est d’ailleurs toute récente : elle a été conçue directement au TJP. Juste après la présentation de la saison, Kaori Ito enfile une tenue de danse et procède à une démonstration de cette œuvre avec le danseur Issue Park (nom d’artiste).
À deux sur scène, devant l’effigie en bois d’un mannequin désarticulé, les danseurs tournent, sursautent, se touchent et s’écartent. Le rythme des corps et de l’œuvre est lui aussi désarticulé, passant par des phases de tensions fortes. Des moments plus légers aussi, presque drôles, contrebalancent la violence de certains gestes.
« J’enseigne à des élèves jeunes, mais ce sera la première fois que je danserai devant un public d’enfants », explique le danseur Issue, dans un anglais parfait. « Il faudra garder l’attention des enfants… Mais c’est aussi le cas pour un public adulte. Ça ne changera pas ma manière de jouer. » La journée d’ouverture est fixée au 30 septembre, accompagnée d’une série de spectacles de rue, prévue pour se tenir au centre-ville.
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