Renaud Herbin, qui dirige le TJP depuis le 2012, persiste et signe : « Je suis déterminé à créer les conditions d’un déplacement vers quelque chose qu’on ne connaît pas. Faire l’expérience de l’art est éminemment politique, et nous avons une responsabilité. » Il publie d’ailleurs sur le « site ressource » du TJP, Corps-Objet-Image, une tribune signée par les directeurs de centres dramatiques nationaux, -des artistes donc-, après les événements de Charlie Hebdo intitulée « Le théâtre est une idée neuve en France ».
Dans ce texte, les directeurs de théâtres revendiquent un rôle essentiel dans la construction de la société et plaident pour une reconquête des espaces publics, tous les espaces publics. Pour le directeur du TJP, l’engagement n’est pas synonyme d’ennui, bien au contraire. Il apprécie ce qu’il considère comme « la chance d’avoir un public familial, qui est composé d’un très large spectre d’âges qui se croisent ».
Cette variété, il compte la soigner par des spectacles « contemporains et exigeants mais avec une vraie ouverture et une facilité d’accès ». Il coupe également la chique aux mauvaises langues en signalant que le taux de fréquentation des salles est en nette augmentation en comparaison à ses débuts, et que cela vient aussi du fait qu’en ce début de deuxième mandat, les Strasbourgeois commencent à intégrer plus facilement ses propositions dans le paysage culturel.
Corps – Objet – Image… et marionnettes
On pourrait reprocher à Renaud Herbin d’avoir choisi une définition quelque peu conceptuelle et alambiquée pour décrire les propositions artistiques qu’il distille au TJP. Ce serait cependant comme lui reprocher d’appeler un chat « un chat ». En effet, si il affirme avec force que le TJP reste un lieu très impliqué dans le développement de la marionnette, il estime aussi qu’il faut aujourd’hui considérer la marionnette de façon beaucoup plus large et transversale, en en ayant une définition plus large et plus ouverte. Moins figurative aussi, peut-être.
Il s’agit bien, dans la saison 2015-2016 du TJP, d’explorer à nouveau toutes les facettes que revêtent les corps, les objets et les images, – marionnettes y comprises.
Le premier spectacle de l’année, Press, Renaud Herbin le considère une peu comme un « manifeste » du projet du TJP, dans sa radicalité. Pierre Rigal, danseur qui fût auparavant sportif de haut niveau, y explore la perspective d’un corps en lutte contre un univers qui se réduit au fur et à mesure du spectacle. C’est encore un corps mouvant que le TJP accueillera ensuite avec De Mains, spectacle accueillant les tous petits à partir de 2 ans, tout en sensibilité.
Le corps multiple
Le corps humain, et sa torsion violente ou virtuose, reste au le fil rouge d’une saison qui explore, cheminant, des univers très différents. Suites curieuses de la compagnie québequoise Cas public donne un sérieux coup de swing au Petit chaperon rouge (dès deux ans) tandis que Whispers (moins de 16 ans s’abstenir) convoque avec virtuosité la multitude de personnages qui peuplent un seul et même corps.
Gisèle Vienne fait apparaître des nuées de ventriloques quand Phia Ménard, autre fidèle des lieux, questionne le genre avec « des interprètes féminins enragés », dixit Renaud Herbin. Hakanaï, présenté avec Pôle Sud dans le cadre du festival Extradanse, embarque les spectateurs dans une relation aussi innovante que magique : celle du corps à l’objet virtuel et à la matière numérique.
Enfin, le corps n’est rien s’il ne va pas se confronter à la chair, à la matière d’un texte qui semble aussi « triturable » que résistant : celui que Pierre Meunier malaxe avec humour dans Forbidden Di Sporgersi, coproduction du TJP. Pierre Meunier sera d’ailleurs accueilli à nouveau en fin de saison avec sa création Badavlan.
S’il y a un spectacle à ne pas manquer, grande figure du nouveau cirque, c’est à dire surtout du nouveau clown, c’est Ludor Citrik et son Je ne suis pas un numéro hilarant. Attention cependant : ce clown est aussi « borderline, sale et malpoli » (dixit Renaud Herbin) qu’on puisse l’être, et ne se fréquente donc qu’à partir de l’âge raisonnable de 8 ans.
L’objet, accélérateur d’imaginaire
L’objet, c’est l’extension ouverte et nue de le marionnette (comme le corps humain l’est aussi, autrement). C’est par le truchement de l’objet que naît l’expérience et que commence l’imaginaire. C’est lui qui autorise le minuscule à devenir très grand, le solide à devenir tout mou. C’est cette perpétuelle expérimentation destinée à ouvrir les écoutilles des grands et des beaucoup plus petits que Renaud Herbin entend développer à travers des choix de spectacles qui sont autant d’univers différents.
Mamie rôtie permet, à travers le décalage doux et léger de l’objet, d’offrir un regard tendre et irrévérencieux sur la question de la fin de vie. Caban, spectacle accueillant les tous petits à partir de 1 an et plus, est totalement immersif et permet aux enfants, et à leurs accompagnants (ce n’est pas réservé aux parents, chacun peut venir en profiter), de s’inventer des cabanes réelles et rêvées.
L’argentin Ezéquiel Garcia Romieu propose, quant à lui, d’inviter une poignée de spectateurs (réservez vos places à l’avance) à entrer dans son dispositif de poche, tout en intensité, économie et interactions.
La miniaturisation offerte par les objets et les marionnettes permet aussi de circuler dans des mondes insoupçonnés et de se perdre, avec bonheur, dans les représentations des villes et des mondes des artistes. Lampe nous invite à suivre l’errance nocturne d’un petit garçon tandis que Les somnambules évoquent, par un théâtre d’ombres très fin, les enjeux d’une ville en transformation.
Images et représentations
Benoît Faivre nous fait découvrir l’improbable appartement du voisin quand Dal Vivo! nous immerge dans des paysages poétiques, entre peinture et cinéma. Benoît Sicat, fidèle de la maison, revient cette saison avec des pages blanches et des paroles d’enfants sur l’acte créatif. Ressacs illustre, à l’aide d’objets étonnants, le monde décadent d’un vieux couple, tanguant, drôle et sarcastique.
M c’est comme aimer clôt la saison par le spectacle d’une artiste toute jeune tout juste sortie de l’école de Charleville-Mézières, Mila Baleva, qui entraîne grands et petits dans un univers subtil et délicat, faits de papiers découpés minutieusement, de pop-ups et de projections.
Cette année est une année avec !
Cette année est aussi celle du retour de la biennale Corps-Objet-Image, qui ne se défait décidément pas de son titre de Giboulées (même dans le programme du TJP). « Concentré du projet du TJP » selon Renaud Herbin, la biennale, dont la programmation n’est pas encore tout à fait finalisée, se fait fort d’accueillir en 25 à 30 spectacles des artistes très reconnus aussi bien que de tous jeunes arrivants. L’idée est avant tout de « côtoyer l’actualité », d’avoir l’occasion, pour les Strasbourgeois, de voir ce qui est en train de se faire.
Ce sera donc un temps fort, du 11 au 24 mars, qui permettra encore plus d’affirmer les partenariats du TJP avec quelques autres structures culturelles strasbourgeoises, dont le Maillon pour Plan B et les TAPS pour Le cantique des oiseaux. Jarg Pataki y sera accueilli au TNS, avec le Theater Freiburg et la Filature de Mulhouse, tandis que Josef Nadj et Akosh Szelevényi présenteront le spectacle Les corbeaux avec Pôle Sud.
Si la plupart des spectacles présentés tournent plus autour du corps et de son rapport, tortueux, drôle et parfois bouleversant (à tous les sens du terme) à l’espace, la marionnette reste encore présente, par exemple dans le très délicat Anywhere d’Elise Vigneron, qui mêle la traditionnelle marionnette à fils à la matière de la glace qui fond.
Le TJP, ce n’est pas que des spectacles
Le site internet du TJP vous invite à en faire l’expérience, ainsi que le site « ressource » : il y a beaucoup de façons différentes de croiser et de pratiquer des expériences artistiques, en tant que professionnel ou en tant qu’amateur. Le TJP se fait fort d’accueillir des artistes en résidence plus de 200 jours par an, même si, dixit Renaud Herbin, « on ne s’en rend pas toujours compte en tant que spectateur ». Le message est passé, et tout ce que le TJP a à offrir de « week-ends » et de « chantiers » doivent être considérés par toutes et tous comme autant de portes ouvertes.
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