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Comment Thomas, étudiant, s’est exposé sur le marché des profs particuliers

Avec les « uberisés » de l’économie. – Thomas est un étudiant à plein temps à Strasbourg. Pour ses menus frais, il propose ses services de professeur particulier sur une plateforme dédiée, Superprof. Mis sur le marché des profs particuliers, Thomas a découvert un monde qu’il n’a aucune envie de rejoindre…

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Sachez-le, il existe un Airbnb des cours particuliers. La plateforme s’appelle Superprof et Thomas est l’un de ces centaines de jeunes (et moins jeunes) à disposition en Alsace, prêts à donner des cours particuliers en quelques clics. À 20 ans, il va entrer en master 1 de physique, et, depuis un an et demi, il donne des cours de soutien à des lycéens, la plupart du temps en terminale.

Car Thomas ne se transforme en « superprof » qu’en période de vacances scolaires. Tout le reste de l’année, il est étudiant à temps plein à l’université de Strasbourg :

« J’ai plus de 35 heures de cours par semaine et au fil des années, les cours sont devenus de plus en plus ardus. Du coup, je ne rends mon annonce visible que pendant les vacances scolaires et en général au mois de mai, quand j’ai fini les cours et que les lycéens préparent le bac. »

Une matière, un lieu, un prix… hop un prof

Son annonce, on la trouve en faisant défiler les différentes têtes qui s’affichent sur l’écran de l’application. Le principe est très simple : sur le site rose et blanc directement inspiré d’AirBnb, il suffit de taper la matière recherchée et le lieu. Le site propose même de se géolocaliser. Ensuite, il est possible de trier selon la distance, selon si on se déplace ou si on veut un cours à domicile et bien sûr selon le tarif… Une fois tous les critères remplis, il n’y a plus qu’à faire ses courses.

Il suffit de cliquer sur « Réservez un cours », et là, il faut s’inscrire, et rien que pour cela, payer 29€. C’est la seule « commission » que la plateforme prélève. Thomas explique que malgré les apparences, Superprof ressemble plus au « Bon Coin » dans son fonctionnement, car ensuite tout est réglé à l’amiable entre l’élève et le professeur :

« C’est vrai qu’on est un peu dans une période de « délire ubérisé », mais en fait là, c’est plus du Bon Coin ou du Bla Bla Car en version prof, que du Uber. Moi je me suis inscrit facilement, il faut juste une photo, une description, et puis je mets mes propres tarifs. Ensuite on me paye en cash, et je ne déclare rien. Bon de toute façon, je ne gagne pas assez pour déclarer quoique ce soit. »

Il explique que son revenu pour payer son loyer en colocation de 335€ lui vient principalement de ses parents et de l’allocation logement, qui se limite à 95€ par mois. L’an dernier, il n’a eu qu’une élève régulière, qu’il voyait deux fois 2h par mois.

Jusqu’à 1 000€ d’argent de poche en un mois

Au début, il avait fixé son tarif à 12€ de l’heure, mais s’est vite ravisé :

« Même les parents des élèves trouvaient que c’était trop peu, du coup ils me donnaient 15. Mais pour mon élève régulière, je faisais 25€ les deux heures. Donc j’avais un peu d’argent de poche, de l’ordre de 50€ par mois. »

C’est au mois de mai 2016 que son costume de Superprof lui a rapporté plus :

« D’un coup j’ai eu beaucoup d’élèves « de la dernière chance », en galère pour le bac de maths, qui m’ont pris des fois 20h d’un coup. Résultat, sur le mois de mai et la moitié du mois de juin, je me suis fait un peu plus de 1 000€, à 15€ de l’heure. »

Soit environ 67h de travail, en plus des quarts d’heures de préparation qu’il tient à effectuer pour chaque cours :

« On ne peut pas venir comme ça les mains dans les poches, cela se sent vraiment si on est à l’arrache ».

Une plateforme qui lui permet de faire ce qu’il aime facilement

Pour Thomas, Superprof permet d’améliorer ses vacances, mais il assure le faire aussi par pur plaisir. Il se dit passionné par la physique et les maths, et, s’il se destine à la recherche, le master qu’il entreprend permet aussi de préparer le CAPES, et cela l’enthousiasme :

« Professeur particulier, cela reste un peu la seule activité intellectuelle qu’on peut faire en « job d’été » et c’est une activité enrichissante, c’est plaisant à faire. En plus, je me destine un peu vers l’enseignement donc c’est parfait. Pour moi, cela reste un job qu’on faisait un peu dans le cercle privé, on était le cousin qui venait aider un peu. J’aime bien cette mentalité. Je suis jeune en plus, avec les lycéens on est dans une relation de potes, presque. L’an dernier je n’avais qu’un an de différence avec la plupart. »

Il est satisfait de ces sites qui permettent de garder un côté beaucoup plus artisanal et plus simple :

« Cette plateforme, je trouve ça pas mal, ça te met juste en relation avec plus de monde. J’avais réfléchi à entrer à Acadomia, mais c’est spécial, c’est plus stressant, on a moins l’impression d’être prof particulier, mais plus « vrai prof ». Et les tarifs pour les parents reviennent chers : ils payent 35€ de l’heure, et toi, tu ne touches que 17 ou 20. Je préfère être sur Superprof, j’ai l’impression de garder ce côté privé. »

Avec le côté marchandise en plus. Thomas le concède, ces nouvelles techniques « d’ubérisation » poussent à devoir se vendre.

Thomas prépare toujours ses cours à l’avance, la plupart du temps des séances pour préparer le bac (Photo DL / Rue 89 Strasbourg / cc)

« C’est moi la marchandise »

Les profs ont plusieurs moyens pour se différencier les uns des autres et attirer l’élève en perdition : sur chaque profil, il est précisé si les diplômes du prof ont été vérifiés, s’il fait des cours en face-à-face et en webcam également, et quel est son temps moyen de réponse. Thomas s’est vite rendu compte qu’il devrait s’adapter aux exigences du site s’il voulait paraître crédible :

« Quand on reçoit un message il faut vite répondre, car Superprof affiche le temps de réponse sur le site, ça met une sacrée pression. Un jour, j’ai traîné et répondu deux jours après, et mon profil disait que je répondais en moyenne en 36h… »

Surtout, comme sur Airbnb, Tripadvisor et Uber, les « clients » donnent un avis sur le prestataire, et le notent avec des étoiles. Thomas est partagé à ce sujet :

« C’est vrai que le site exagère, il faut se vendre, mais moi, je ne mets rien de spécial en avant. Il faut juste bien faire son travail. Au final, tout le monde met cinq étoiles de toutes façons. Par contre, le site m’a encouragé à évaluer mes élèves sur le site, car ils y ont aussi un profil. Je trouve ça bizarre. À la limite, c’est moi la marchandise, pas eux. »

La bataille des prix… jusqu’à l’obligation de gratuité

Et la bataille fait rage, car tous les moyens sont bons pour se distinguer. Certains en imposent avec leur double diplôme de biologie et d’enseignement. Le site permet aussi de publier des recommandations, « un peu comme sur LinkedIn », explique Thomas. Certains sont même professeurs agrégés et semblent se consacrer entièrement aux cours particuliers, en témoignent leurs prix, qui peuvent monter jusqu’à 50 ou même 100€ de l’heure.

Les prix, c’est un peu à double tranchant, selon Thomas :

« Au début je proposais un tarif assez bas, mais je me suis rendu compte que ça donnait l’impression que je me dévalorisais, et ça donnait peu de crédit à mes capacités. Du coup, j’ai regardé sur le site, qui nous indique la moyenne des prix pratiqués, autour de 20€ de l’heure. Maintenant je suis monté à 17. Mon but n’est pas de faire payer trop les élèves. Certains payent de leur poche. »

Mais la pression ne s’arrête pas là. Pour faire comme tout le monde, Thomas a dû proposer son premier cours gratuit :

« Le site te force presque à proposer la gratuité du premier cours. Ils m’ont envoyé un message en disant que 90% des autres profs le font, que ça améliorerait mes chances d’être choisi, etc. Bon au final ça ne me dérange pas tant que ça, car je fais toujours un premier cours juste pour apprendre à connaître la personne. »

Il suffit de jeter un œil sur la plateforme pour constater qu’effectivement, tous les « superprofs » offrent leur premier cours… et répondent en moins d’une heure.

Sur la plateforme, il suffit d’entrer ses critères pour pouvoir ensuite « faire ses courses » (Capture d’écran du site superprof.fr)

La « vraie ubérisation », très peu pour lui

Malgré toutes ces pressions, Thomas relativise et se défend de participer à une plateforme qui le précariserait :

« Superprof reste juste un moyen. Mais les jobs comme Deliveroo, Uber et tout, ça je n’y touche pas. Il faut se mettre en auto-entrepreneur, et on dépend trop des prix de la plateforme. En outre, prof particulier, ça a toujours été un emploi précaire. »

Lui qui « lit le Monde diplomatique » se tient informé de cette tendance, qu’il déplore :

« Il faut voir chez Uber, maintenant les chauffeurs militent pour être reconnus comme salariés, comme subordonnés à la plateforme. Et dans un autre registre, même BlaBlaCar a bien dérivé. Avant ils prenaient une commission dérisoire, on gérait avec le chauffeur, c’était plus artisanal. Maintenant, sur un trajet à 25€, ils rajoutent 5€ de commission, je trouve ça énorme. »

En comparaison, son « job d’été » le satisfait pleinement, et il compte bien continuer. Malgré un emploi du temps de plus en plus chargé, et un semestre à l’étranger l’an prochain :

« En mai 2018, je ne pourrais pas faire comme d’habitude car je serai en Allemagne. Mais j’aurais un gros creux de janvier à mars, alors c’est là que je rendrai à nouveau visible mon annonce. Ça marchera sûrement moins bien, mais on verra. »

Mais à terme, il rendra probablement son costume de superprof :

« Ce genre de job, même Deliveroo ou tous ces nouveaux trucs, je pense que c’est bien quand on est étudiant, et temporairement. Mais au-delà, non, ce n’est pas durable. »

Thomas a encore quelques années devant lui avant de rendre son tablier d’étudiant et de professeur particulier… avant de, peut-être, exercer ce métier à plein temps, sans devoir se vendre ou espérer mériter cinq étoiles.


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