Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Théâtre : « Tout ce que tu ne sais pas donner te possède »

En mars, Brecht est à l’affiche du TNS avec deux pièces que la postérité n’a pas encore usées. Avant Maître Puntila et son valet Matti, du 19 au 27 mars, c’est Jean la Chance, pièce de jeunesse, que l’on peut découvrir jusqu’au 24 mars.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.


Avec une fraîcheur presque juvénile, Jean et les autres sont entraînés dans la ronde du monde. (Photo Vincent Arbelet)

Le décor ? Un simple plateau tournant. Les costumes ? Des vêtements de tous les jours. Voilà une fanfare qui ouvre la drôle de danse de Jean la Chance, dans laquelle les onze comédiens sont tour à tour personnages ou chœur, sous l’égide d’un chef de troupe qui ne nous fera pas prendre des vessies pour des lanternes : il nous le dit, ils sont là pour nous raconter une histoire. D’ailleurs, tous regardent le public, même durant les dialogues. Pas de doute, nous sommes bien chez Brecht : on raconte plus qu’on ne joue.

Il suffit de lire la manière dont Jean-Louis Hourdin, le metteur en scène – formé au TNS dans les années soixante – présente lui-même sa vision de la pièce pour comprendre qu’on renoue ici avec le théâtre dans ce qu’il a de plus primordial : jouer à raconter.

« C’est une farce dramatique (ou l’inverse) avec musique. Une troupe foraine. Le tréteau nu, avec seulement l’indispensable poétique. Un homme au centre, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui. »

Fanfare et pas de quatrième mur: Brecht renoue avec le jeu de tréteaux. (Photo Vincent Arbelet)

Un Candide des frères Grimm

Cet homme qui les vaut tous, c’est Jean, un paysan « simplet mais serviable » ainsi que le présente Jeanne, sa femme. Son histoire est une fable que Brecht emprunte aux frères Grimm en 1918. Il a tout juste vingt ans et son système n’est pas encore théorisé. Il est pourtant déjà là, au détour de chaque scène: un seul destin pour dénoncer un monde mercantile et cynique, un théâtre dénudé qui nie l’illusion (la fameuse distanciation). Comment d’ailleurs s’identifier à un personnage qui se laisse berner aussi facilement?

Car l’histoire de Jean, fragmentée en une dizaine de courts récits, se résume en un mot : dépouillement. De sa femme à sa ferme, de sa ferme à sa charrette, de sa charrette à son manège, de son manège à son oie… Croisant sur son chemin de vils profiteurs, il échange chacun de ses biens contre moins, jusqu’au dénuement complet. Il accepte cependant son destin, sans révolte ni pathos, sans haine ni déception.

Malgré les profiteurs sans scrupules, Jean la Chance s'émerveille de la vie et aime les hommes avec une régualrité exemplaire. (Photo Vincent Arbelet)

« Beati pauperes spiritu »

Bien au contraire, Jean le pragmatique, Jean l’émerveillé, semble incarner le mot célèbre de l’Écriture, dont la réelle traduction serait peut-être « bienheureux les pauvres en esprit ». Jean se dépouille mais ne s’appauvrit pas, et danse au milieu de tout ce qui lui appartenait, comme plus léger d’avoir moins. « Tout ce que tu ne sais pas donner te possède » écrivait Gide… S’il n’a plus de biens, il n’a pas vendu son âme et possède en puissance l’essentiel : le vent, les étoiles, la vie.

Comment ne pas être sensible à la fable par les temps qui courent? Elle est d’autant plus efficace qu’elle se donne avec une sobriété sans polissage, dans une mise en scène où tout signifie avec bien peu de choses, à l’instar de la vie de Jean. La chance tourne comme le décor. La scène peu à peu se dépouille elle aussi, jusqu’à ne garder que Jean, toujours heureux d’être et ne poursuivant qu’un seul but: « Moi, j’ai envie d’être humain ». A méditer sans modération.

Y aller

Jean la Chance, de Bertold Brecht, mise en scène de Jean-Louis Hourdin, du mardi 5 au dimanche 24 mars. Du mardi au samedi à 20h, les dimanches à 16h. Relâche les lundis et le dimanche 10. Attention: le spectacle a lieu à l’espace Klaus Michael Grüber, 18 rue Jacques Kablé à Strasbourg. Tarifs: de5,50 à 27€.

Autour du spectacle

Atelier critique le lundi 18 mars à 19h, librairie Quai des Brumes. Renseignement et insciption au 03 88 24 88 47.
Théâtre en pensées le lundi 25 mars à 20h au TNS, sur le thème « Présences de Brecht », en présence des metteurs en scène Jean-Louis Hourdin et Guy-Pierre Couleau. Entrée libre, réservation au 03 88 24 88 00.
Boeuf Bertold Brecht le samedi 16 mars vers 22h30, hall Grüber, avec Jean-Louis Hourdin et les comédiens de Jean la Chance. Entrée libre sur inscription au 03 88 24 88 00.


#Brecht

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Autres mots-clés :

Partager
Plus d'options
Quitter la version mobile