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Théâtre au conservatoire : tchao les trentenaires !

Depuis cette rentrée, il n’est plus possible de débuter après 30 ans des études de théâtre au conservatoire de Strasbourg. La mesure vise à mettre la structure en conformité avec les usages nationaux. Mais des étudiants ont été pris dans l’étau, et engagent un recours.

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L’école de musique et de la danse abrite le conservatoire de Strasbourg (Photo Francis / FlickR / cc)

La formation d’acteur amateur au conservatoire de Strasbourg, c’est fini ! Désormais, la structure s’oriente vers la délivrance d’un diplôme d’études théâtrales (DET) en deux ans, qui ouvre la voie à une carrière d’acteur professionnel. Jusqu’alors considéré comme une bonne formation accessible aux actifs désirant opérer un virage professionnel, le conservatoire réserve désormais ses cours aux jeunes en formation initiale. Depuis septembre 2013, le conservatoire a ajouté une limite d’âge, 30 ans, pour l’inscription à ses cursus de comédiens (voir ci-dessous).

(Capture d’écran des règles d’admission en théâtre du conservatoire de Strasbourg)

Cette nouvelle orientation agite l’univers du théâtre strasbourgeois, mais elle a été dictée par le ministère de la Culture, à la suite d’une inspection menée en 2010 au conservatoire. Directeur de la structure depuis mars 2012, Vincent Dubois explique :

« Le rapport publié à la suite de l’inspection du ministère a été accablant pour le département théâtre. Il a été décidé qu’il fallait remettre aux normes nationales la filière, ce qui a pris un peu de temps, car il y a eu un changement de direction entre-temps. Et ces normes imposent de proposer des formations professionnalisantes, ce qui demande un meilleur processus de sanction des études, et des limites d’âge pour y accéder, 21 ans pour le second cycle, 30 ans pour le troisième. C’est ainsi pour tous les conservatoires à rayonnement régional, dont celui de Strasbourg. »

Des changements de règles mal vécus

Mais plusieurs élèves ont eu l’impression d’avoir étudié sous un régime et d’avoir été sanctionnés sous un autre. Ainsi, la manière de composer les jurys de fin de deuxième et troisième cycle a été modifié en juin 2013. Alors que les étudiants avaient l’habitude de se présenter devant un jury composé de personnalités choisies par leurs professeurs, ils ont été jugés par un jury composé par Vincent Dubois, regroupant des enseignants d’autres conservatoires et des professionnels régionaux du théâtre. Résultats : 8 étudiants sur 25 en second cycle et deux élèves sur trois en troisième cycle ont été « arrêtés », c’est à dire virés. Une décision exceptionnelle car les élèves aux niveaux insuffisants sont d’ordinaire invités à redoubler.

Plusieurs élèves n’acceptent pas ces décisions, qu’ils estiment injustes, et ont décidé de se constituer dans un collectif appelé « Les Déconservés ». Ils ont écrit au maire de Strasbourg, Roland Ries, et font circuler une pétition en ligne dans laquelle ils demandent leur réintégration pour pouvoir repasser leur examen. A l’initiative de cette pétition, l’un des élève « arrêté » en 3e cycle, Gilles Gatoux, 40 ans :

« J’ai suivi tous les cycles du conservatoire avec d’excellentes notes et sans redoublement. En juin 2013, ma note pédagogique était A+, soit la note maximale. Et à l’issue de ma prestation d’examen, j’ai été vivement applaudi par le public présent, ce qui n’a semble-t-il pas plu au jury. Puis on me dit que je ne suis pas reçu, qu’il « s’agit de ma situation dans cet établissement ». En clair, je suis trop vieux. Bien que la direction du conservatoire le nie, j’estime avoir été victime d’une discrimination sur l’âge. »

(Capture d’écran du site du conservatoire en août 2013)

Devant le refus d’un recours gracieux, Gilles Gâtoux a initié une procédure devant le tribunal administratif de Strasbourg pour obtenir au moins le droit de se représenter, avec deux autres étudiants. Plusieurs professeurs ont été aussi perturbés par les décisions du jury 2013. Parmi eux, Christine Bayle, enseignante en théâtre baroque à Strasbourg depuis 1987. Elle a signé la pétition des Déconservés :

« On a accepté des élèves dont on connaissait l’âge au moment de leur inscription. Si les règles devaient changer, il ne fallait pas les accepter… C’est très dur de renvoyer ainsi des élèves sans rien, ni même la possibilité de recours. Ça pose aussi la question de notre rôle à nous professeurs… S’ils n’ont pas le niveau, ne sommes-nous pas en partie responsables ou bien devons-nous simplement accompagner des élèves qui sont déjà brillants ? Et puis la question de l’âge du comédien doit être posée, il y a une maturation de l’individu au cours de sa formation… Au lieu d’un brusque changement des règles, j’aurais apprécié qu’on en débatte. Et j’ai signé la pétition pour que ces étudiants puissent retenter leur chance. »

800 demandes par an, 170 admis

Mais pour Vincent Dubois, il n’est pas question de revenir en arrière :

« Je sais bien que les décisions des jurys ont créé du remous. Mais je suis garant du cursus. On ne pouvait continuer à fonctionner avec des jurys qui pouvaient être accusés de partialité. Sur l’ensemble des formations, le conservatoire ne peut accueillir que 160 à 170 nouveaux élèves par an, pour 750 à 800 demandes et à budget constant (environ 8,7 millions d’euros). Il faut donc bien faire une sélection et des choix, que j’assume. »

Outre les changements aux admissions et aux jurys, le département théâtre voit son nombre d’enseignants augmenter, pour passer de deux à trois (à temps plein). Les élèves ne seront plus suivis par un seul professeur, mais recevront les enseignements de tous les intervenants. Jacques Bachelier, metteur en scène et professeur au conservatoire depuis 35 ans, détaille sa position :

« Ça fait belle lurette que j’enseigne à des élèves qui sont dans une démarche de professionnalisation. Ce qui m’intéresse, c’est de former en art dramatique des futurs comédiens. Dans ce sens, je trouve mon compte dans les évolutions prises par le conservatoire. J’ai un peu résisté au début parce que je suis contre les règles en général, surtout en art. Il vaut mieux garder un peu de souplesse… Il n’est pas exclu que les limites d’âge évoluent dans le temps, mais il faut aussi savoir se séparer des élèves qui ont fait leur temps. Et puis bon… Ce n’est pas un certificat de conservatoire qui va déterminer la carrière d’un comédien. »

Les limites d’âge existent aussi pour l’accès aux études en danse et en musique, elles sont même variables par instrument (PDF).


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