Est-ce un one-man show ou une pièce seule en scène ? La question méritait d’être posée durant cette heure et demie chargée d’histoire littéraire, de digressions éphémères et d’inspiration sincère. On aurait pu voir en Bernard Azimuth un interprète mal à l’aise, engoncé dans un effort d’actualisation d’une pièce séculaire. Nous retenions notre souffle, l’éternité s’était arrêtée car elle savait que quelqu’un, quelque part, allait jouer Shakespeare (!) d’une manière totalement inconnue, étant entendu que c’était une « Première mondiale », selon les mots de l’intéressé.
Shakespeare in LOL
On sent, après quelques minutes de rodage nécessaire, que Bernard Azimuth s’est totalement drapé dans des manteaux dramatiques, interprétant avec force inspiration des tirades longues, très longues d’Hamlet (les fameux «monologues shakespeariens » pouvant être harassants), ménageant ses effets avec une petite grâce. Et, lorsque le public était plongé dans une torpeur telle qu’un lourd sommeil commença à caresser ses paupières, l’auteur claquait des doigts pour les réveiller d’une obscure hypnose, avec quoi ? Simple : avec une blague, un calembour, un jeu de mots ou un anachronisme efficace (le téléphone de Laërte qui sonne en plein sermon d’Hamlet) et des rimes riches qui, frisant l’absurde, parviennent à replacer le public sur le terrain coloré de l’humour.
Cette pièce, en effet, est une aquarelle, passant avec brio du noir dramatique au vert guilleret en passant par le blanc éternel. Comment être ennuyé avec Shakespeare ? Tout dépend des goûts. Mais qu’à cela ne tienne, Bernard Azimuth sait, avec sa connaissance parfaite de la pièce du dramaturge anglais, jouer et rejouer avec le contenu de celle-ci, sa trame, ses lignes. Génial interprète de didascalies ironiques parce qu’émouvantes, Bernard Azimuth n’est pas un amuseur, non, ce n’est vraiment pas un humoriste. C’est un auteur contemporain qui évite à son public de se perdre dans des oripeaux modernistes, leur redonnant le sourire, provoquant en eux un rire empreint de mélancolie.
Sous le rire, le drame
Il suffit de voir les yeux clairs et inspirés de l’interprète pour voir qu’il n’est pas comique, ou alors il le serait autant qu’Arlequin durant le carnaval de Venise. Bernard Azimuth passe sans sourciller, sans transition comme disait Patrick Poivre d’Arvor, d’un lyrisme profond et passionné à un balbutiement scénique qui frise le comique. Il n’y a qu’à l’observer longuement pour déceler une allure d’enfant inspiré. Il arrive que l’on ait un peu peur, restant même perplexe face à une légère désorganisation dont on ignore si elle est contrôlée.
Mais nous ne restons point sur ce sentiment d’inachevé, car Bernard Azimuth a su prendre son temps (« On ne peut de toute façon pas le tuer, le temps », remarque fort justement l’auteur). Au final, on se dit que Bernard Azimuth est à Shakespeare ce que Fabrice Luchini est à Louis-Ferdinand Céline : un comédien qui joue avec des classiques en les ridiculisant finement et avec brio, afin de mieux saisir l’âme et la passion de ces héros éternels qui conçurent des chefs d’œuvre dont ils ont dû trop longtemps, par la suite, supporter le poids.
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