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« The Turn of The Screw », l’opéra fantastique et juvénile

La rentrée à Strasbourg se fait sous le signe du fantastique. L’Opéra du Rhin n’est pas en reste, et livre une pièce énergique, juvénile et réjouissante, dans le plus pur style maison hantée. La mise en scène de Robert Carsen sert avec justesse l’œuvre de Benjamin Britten, que l’on découvre pour la première fois à l’Opéra du Rhin.

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The Turn of The Screw, dont la création date de 1954, est un opéra fantastique et singulier à bien des égards. Il reprend une nouvelle d’épouvante de Henry James, au titre éponyme, qui évoque des enfants possédés, des fantômes et une gouvernante en proie à la folie. Cela lui donne l’occasion de mettre le chant des enfants au cœur de la pièce, ce qui est en soit un fait plutôt rare. Cette pièce permet aussi à Benjamin Britten d’accéder, par la partition musicale comme par le thème, à un public qu’il souhaite plus large et plus démocratisé. Gageons que cela soit le cas à l’Opéra du Rhin.

(Photo Klara Beck)

Un opéra de l’ambiguïté

Robert Carsen, le metteur en scène, et Patrick Davin, qui assure la direction musicale, s’accordent à dire que cet opéra est un chef d’œuvre d’ambiguïté. En effet, que ce soit dans la nouvelle de Henry James ou dans l’adaptation pour livret demandée à Myfanwy Piper par Benjamin Britten. On ne sait pas si les fantômes existent, ou si la gouvernante perd la raison, tout en tombant amoureuse du tuteur des enfants – qui lui interdit de le contacter. Il y avait donc un vrai défi dans la mise en scène, puisque les fantômes sont incarnés par des chanteurs : des corps, des voix. Dans un entretien avec Karine Bohnert, Robert Carsen dit à ce propos :

« Il y a dans cet opéra ce passage brillant où [la gouvernante] décrit, pleine d’admiration, la beauté du domaine : « Si seulement il était là », dit-elle, « et s’il voyait quel magnifique travail j’accomplis ici pour lui ». A cet instant, elle aperçoit quelqu’un qu’elle prend d’abord pour le tuteur avant de constater que ce n’est pas lui. C’est l’apparition de Quint. Les projections sont innombrables – « Je vois ce que je veux voir. »J’aimerais arriver à ce que les spectateurs tirent leurs propres conclusions. »

Un pari gagné, puisque malgré la présence des fantômes en chair et en sons, le doute reste présent tout au long du spectacle.

Les paysages fantomatiques de « The Turn of The Screw » (Photo Wilfried Hoesl)

Une partition éclectique

Pour qui ne connaît pas Benjamin Britten, la partition musicale est d’un exotisme étonnant. Puisant tantôt dans des rythmes jazzy, tantôt dans des mélodies enfantines, elle est d’une efficacité remarquable. Écrite pour un orchestre réduit, afin de pouvoir jouer partout – en particulier dans des espaces plus intimes que les grandes scènes d’opéra -, la musique puise néanmoins dans toutes les ressources que les instruments peuvent lui offrir, cloches et flûtes comprises. On y retrouve parfois les sonorités d’une boîte à musique à l’ancienne, usée et envoûtante, ou d’une berceuse un peu cassée.

(Photo Klara Beck)

La présence des deux enfants est à elle seule un événement. Il est apparemment rare de trouver des rôles de solistes pour des enfants dans le chant lyrique. Les enfants, joués en alternance selon les soirs par Philippe Tsouli et Lucien Meyer pour le rôle de Miles, et Odile Hinderer et Silvia Paysais, sont issus de la Maîtrise de l’Opéra du Rhin et du Aurelius Sängerknaben de Calw. Dans un entretien avec Marie-Odile Molina, Patrick Davin explique la complexité d’un tel projet :

« Beaucoup d’aspects entrent en jeu : la qualité de la voix, les capacités théâtrales, la manière de bouger, la capacité à se détacher de la musique et à être crédible. Une voix d’ange n’est pas suffisante. Il est important pour le chanteur d’avoir une certaine maturité car le sujet est extrêmement complexe. »

Ainsi les enfants sont mis à l’honneur, souvent seuls au moment de chanter quand les adultes expérimentent des superpositions subtiles et complexes de voix et de messages. Une certaine dissonance accompagne ces superpositions, en renforçant le côté « effroyable » de la pièce.

Comme au cinéma

The Turn of The Screw est fait d’une série incalculable de scènes différentes. Le décor évolue, vite, dans un enchaînement de scènes courtes. On dirait un storyboard, fait d’images simples et somptueuses, à la lumière léchée et très contrastée. Dès la première scène, l’opéra est placé sous l’égide du cinéma, tout en s’inscrivant dans une sorte de nostalgie des films des années 30, en noir et blanc avec femmes fatales. L’usage de la vidéo vient accompagner l’esprit fantomatique, au même titre que les mélodies lointaines mais récurrentes que l’on retrouve d’une scène à l’autre.

Même si chaque scène suggère un ailleurs, une porte de sortie, les personnages semblent enfermés dans un espace qui finit toujours par les encercler d’une façon oppressante. Ce sont des trouvailles scéniques simples, sobres et efficaces qui permettent au spectateur d’entrer dans la maison hantée et d’accompagner ses habitants.

Il faut rendre un hommage appuyé aux techniciens du plateau dont l’énergie est illimitée. Si les applaudissement durent assez longtemps, vous pourriez même apercevoir l’envers du décor…

Un opéra à découvrir

Si l’on parle des enfants, il faut aussi citer les chanteurs adultes, qui donnent de cette partition une interprétation remarquable : Heather Newhouse, Nikolai Schukoff, Anne Mason et Cheryl Barker. Tous ont été chaleureusement applaudis lors de cette première soirée à l’Opéra du Rhin, enchaînant des saluts à n’en plus finir. Il ne reste plus maintenant, pour respecter l’intention de Benjamin Britten, de le faire découvrir à un maximum de monde. Il y a peut-être un lien à faire avec le Festival européen du Film fantastique de Strasbourg (FEFFS) qui se tient en ce moment ?


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