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« Testament » de She She Pop au Maillon, réflexions sur l’amour filial

Le Maillon accueille les 15 et 16 mai prochain le collectif de performeurs berlinois She She Pop avec leur pièce « Testament ». Ils ont choisi comme point de départ pour cette dernière Le Roi Lear de Shakespeare, l’occasion de revisiter ce classique du théâtre et d’en approfondir la thématique : l’amour filial, l’héritage, le chantage, etc.

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She She Pop, « Testament », © Doro Tuch

L’un après l’autre, au début de la pièce, les « enfants », trois femmes et un homme d’une quarantaine d’années, entrent en scène et parlent de leur relation à leur père. Une fois cela fait, le son d’une trompette retentit annonçant l’entrée des pères qui s’asseyent l’un après l’autre dans un fauteuil. Chacun allume la caméra se trouvant devant lui, l’image est alors projetée dans un cadre accroché derrière les « enfants » en une présence sacralisée et omnipotente. Tous entonnent ensuite une chanson : Somethin’ Stupid dont la version la plus connue a été chantée par Frank Sinatra et sa fille Nancy, hymne à cette chose stupide que peut être l’amour. Le décor est posé, la pièce peut débuter.

Shakespeare comme point de départ

Dans « Testament » de She She Pop, chaque « enfant » porte une collerette, clin d’œil discret à l’époque à laquelle a été écrite Le Roi Lear par William Shaekespeare, au 17è siècle anglais. Pour rappel, Le Roi Lear est une tragédie dont l’action se situe 800 ans avant l’ère chrétienne en Angleterre. L’âge se faisant sentir, le roi Lear décide de partager son royaume entre ses filles mais exerce pour ce faire un chantage à l’amour : la plus belle part du royaume reviendra à celle de ses filles qui lui montrera le qu’elle l’aime. L’une d’elles, Cordélia, refuse cela, elle se voit alors déshéritée et chassée. S’ensuit nombre d’intrigues et jeux de pouvoirs où les uns et les autres vont peu à peu montrer leur vrai visage : le roi finit par se rendre compte qu’aucune de ses deux filles n’était sincère, elles l’abandonnent et le laissent errer, la seule qui l’aimait réellement était celle qu’il a chassé mais la guerre éclate, les trahisons s’accumulent tout comme les morts.

Comme ils le disent :

« L’un d’entre nous a eu quarante ans et, à partir de cet instant, la question s’est posée de savoir si, à un certain âge, quand on a un certain accomplissement, on ne devient pas soi-même la classe dominante, qu’on le veuille ou non. Alors, nous avons eu l’idée de créer une série de pièces sur le pouvoir, la classe dominante, donc, le canon littéraire et l’hégémonie  culturelle. »

She She Pop, « Testament », © Doro Tuch

Distance avec le père

Bien qu’utilisant Le Roi Lear de William Shakespeare comme point de départ à cette création, « Testament » est avant tout une variation libre sur les questions d’héritage qui se distancie de la pièce originelle :

« Nous avons décidé de nous confronter, pour la première fois, à des textes théâtraux. Le Roi Lear de Shakespeare fut un parfait point de départ pour cette réflexion. C’est un texte très classique, patriarcal, et (dans sa lecture traditionnelle) misogyne. Cela traite du problème de la transmission du pouvoir et de la responsabilité entre les générations et les personnes de sexes opposés. »

Les protagonistes de ce collectif, principalement féminin, ne sont ni acteurs ni metteurs en scène. Cela fait 15 ans qu’ils travaillent ensemble : dans « Testament », ils sollicitent la participation de leurs pères qu’ils invitent sur scène : il va y être question de transmission, d’amour, de soutien, de legs et d’équité entre générations. Les intervenants ne sont pas professionnels, les sujets évoqués personnels ce qui donne un accent de sincérité à cette pièce qui fait écho à ce que l’on pourra peut-être être amené à vivre un jour ou l’autre. Le Roi Lear est un prétexte à créer et à un essai d’aller au-delà des codes sociaux : le père s’occupe de son enfant, le protège jusqu’au moment où les rôles vont s’inverser mais, par ce transfert, les règles changent et impliquent une redéfinition des responsabilités qui n’est pas forcément évidente :

« Comment tenir tête à une personne qui a le pouvoir sur nous ? En quoi notre rôle est-il modifié lorsque nos parents vieillissent ? Les problèmes de famille sont à la fois des thèmes très personnels et les derniers thèmes véritablement universels que l’on puisse trouver dans un monde absolument diversifié. »

Le texte de Shakespeare n’est pas utilisé par She She Pop qui, au début de la performance, demande au public d’imaginer qu’elles sont les filles de Lear et que leurs pères sont ce roi qui a besoin de recourir au chantage pour se sentir aimé. Le public est alors la suite royale qui observe et compte les coups. She She Pop cherche à explorer les limites de la communication. Avec « Testament », ils  proposent un moment de réflexion à l’humour corrosif qui va chercher à nous confronter aux problématiques de la transmission et de l’héritage. L’amour filial est au cœur de cette pièce qui met à mal nos certitudes quant aux règles régissant les rapports intra-familiaux.

Testament a reçu en Allemagne le prix Friedrich-Luft et le prix de l’institut Goethe en 2011.

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