Samedi 14 mars à minuit, il a fallu fermer nos restaurants. Difficile de gérer les stocks, le personnel et les clients, mais encore plus difficile a été de nous rendre compte à ce moment-là que notre activité n’était pas jugée « indispensable. » Oui c’est vrai, il faut l’avouer, c’est un peu le cas et une fois la pilule digérée, il a été nécessaire de s’adapter.
Après avoir « sanctuarisé » nos établissements, c’est-à-dire, avoir mis en place des mesures pour que nos activités qui ne génèrent plus de chiffre, ne créent pas non plus de charges, il a fallu amorcer les aides découlant des annonces successives de notre président ou de nos ministres. Report des charges, report des échéances de prêts, report des loyers, mise en place du chômage partiel et recherches des aides diverses. Tous les entrepreneurs ont connu ça, tout a été fastidieux. L’administration ne nous a pas facilité la vie et certaines aides, notamment régionales, se sont avérées être simplement des « effets d’annonces. »
Ainsi le chômage partiel pour notre personnel, il a d’abord fallu comprendre que le mot de passe pour l’interface des déclarations était inscrit, sans indication, en caractères minuscules, tout au bas d’un document… Puis il nous a fallu comprendre que ce serait à nous d’avancer les salaires pour ensuite seulement se faire rembourser par la Direccte (Direction régionale de l’économie et du commerce).
L’angoisse de ne pas avoir une trésorerie suffisante était alors à son comble. Nous avons choisi de compléter le manque à gagner pour notre équipe en bloquant les prélèvements de certains fournisseurs et de l’administration… Des moments compliqués au téléphone, des e-mails difficiles à rédiger. Que faire des salariés dont la fin de période d’essai est survenue fin mars ? Les remercier ? Après d’âpres débats, nous avons choisi de les garder, malgré les sombres perspectives.
Grand moment de solitude avec la banque
L’autre moment de grande solitude que nous avons vécu est survenu avec la banque, lors de la négociation pour le report de nos échéances de prêts. Nous avions changé d’établissement bancaire quelques mois auparavant et nos prêts étaient encore dans l’ancienne banque. La réponse a été cinglante : « Cette demande est étudiée exclusivement pour nos clients actuels et on ne vous considère plus comme tel. » Il aura fallu l’intervention d’un médiateur bancaire directement auprès du directeur d’agence pour décanter la situation.
Quant au Prêt garanti par l’État (PGE), pourquoi s’endetter encore plus avec comme seule perspective de couvrir les charges ? Dans l’absence de perspectives, est-ce qu’il ne s’agit pas de seulement différer la fermeture d’un an ? Préparer un prévisionnel dans cet environnement où chaque jour apporte son lot de surprise a été un numéro d’équilibriste ou de scénariste de science-fiction, c’est selon… Quoiqu’il en soit, nous l’avons enclenché, n’ayant pas d’autre alternative. Les assurances ont été en dessous de tout pendant cette catastrophe, se cachant sous leurs contrats quand on avait besoin d’elles. Si on s’en sort, je saurais m’en souvenir.
Tout cela, nous l’avons vécu, il y a quelques semaines qui paraissent des mois dorénavant.
« Nous sommes comme anesthésiés, sous perfusion »
Aujourd’hui, nous sommes, comme pour plusieurs de nos confrères et consœurs, dans une situation un peu comateuse. On a senti les turbulences en mars, on sait qu’on va vivre des moments terribles dans les semaines à venir, mais pour l’instant, étant donné que nous sommes « sous perfusion », c’est comme si nous étions anesthésiés.
Notre quotidien est fait de points en vidéo avec nos fournisseurs, les administrations, les élus et nos confrères de Strasbourg et d’ailleurs en France via Skype, Zoom, Teams, Whatsapp… L’important est de rester en contact, se soutenir et se transmettre des infos, des tuyaux, éviter l’isolement. Avec notre syndicat, nous essayons de faire en sorte que les petits restaurateurs ne soient pas oubliés. Mais nous savons bien que plusieurs seront concernés par le redressement judiciaire ou la faillite. Nous ne nous faisons pas d’illusions. La procédure de sauvegarde pour nos affaires, nous avons déjà commencé à l’étudier.
Quel est l’avenir de la restauration en période de pandémie ?
Nous lançons quand même des chantiers dans nos établissements, nous essayons de réfléchir à « demain, » quel sera notre métier pendant la pandémie ? On peut envisager des services au comptoir ou des services en salle limités mais si c’est pour mettre des visières, des plexiglass sur les tables et prendre la température des clients quand ils rentrent, très sincèrement, ce sera sans nous !
Certains restaurateurs s’essaient au drive, aux « click and collect » ou à la livraison de repas. Nous le faisons aussi de manière expérimentale, pour voir et comprendre le fonctionnement mais notre véritable métier, ce n’est pas celui-là. Notre mission, c’est d’accueillir du monde, de les servir et de leur faire passer un bon moment. C’est à ce niveau-là que l’on doit se repenser. D’ailleurs, on s’en rend bien compte quand on analyse l’économie de ce type de restauration, il faut faire des calculs de coûts matières, de grammage dans les plats… Bref tout ce qui va à l’encontre de ce que la restauration implique : la générosité, la convivialité et l’envie de partage.
Il y a peut-être à réfléchir cependant pour sortir des modèles de Deliveroo ou d’Uber Eats, seuls présents dans la livraison de repas à Strasbourg. Nous pourrions profiter de la période pour faire émerger un service local, plus responsable et éthique, afin de répondre à cette demande.
L’espoir des grandes terrasses sur l’espace public
La voie la plus immédiate pour sauver les restaurateurs, au moins pour les trois ou quatre prochains mois, c’est l’utilisation de l’espace public. En investissant les rues, les places ou les squares, les restaurants et les bars pourraient proposer des accueils conformes aux règles de distanciation physique. Ce qui permettrait de rouvrir.
Cette idée pourrait bien être une réponse concrète et réaliste qui permettrait de sauver la profession. Nous sommes prêts à étudier les conditions pour veiller à la sécurité de tous et au respect des riverains. Objet de luttes, de marquages au cordeau et de régulations sans fin, l’utilisation de l’espace public comme bouée pendant la pandémie pourrait permettre de repenser nos relations avec la municipalité, avec les riverains ainsi que les procédures et les contraintes qui nous étaient jusqu’alors imposées.
C’est à la Ville de nous envoyer ce signal. À nous ensuite de proposer des aménagements permettant la cohabitation avec les piétons ou les cyclistes. Nous trouverons aussi les moyens de soutenir les confrères qui n’ont aucune possibilité de terrasse, même déportée.
Le secteur de la restauration à Strasbourg est composé essentiellement de petits indépendants (malgré ce que l’on pourrait penser parfois) pour qui les mois à venir vont être décisifs. Nous sommes prêts à tout essayer mais nous ne pourrons plus tenir bien longtemps. Pour dire les choses plus directement, la mairie tient le destin des restaurants entre ses mains.
Fanny Fuchs et Stéphane Wernert
Restaurateurs à Strasbourg du Café de l’Opéra, du Café du TNS et du Il Girasole.
Fanny Fuchs est colistière d’Alain Fontanel (LREM), candidat qualifié au second tour des élections municipales à Strasbourg.
Chargement des commentaires…