Emmanuel (son prénom a été modifié) est mal. Perturbé. « Psychologiquement, cela m’use ». Avec les affaires de pédophilie des prêtres et d’abus sur les religieuses n’en finissant pas d’alimenter l’actualité, difficile pour ce père de famille haut-rhinois de vivre avec légèreté. « Que vont devenir toutes ces victimes ? Adultes, quel amour véhiculer à leurs propres enfants ? » Et pour lui qui reste croyant, comment garder confiance en l’Église ?
Si la colère et l’abattement le tenaillent, ce n’est cependant pas par identification aux victimes. Emmanuel n’a pas eu à subir l’irréparable. Mais depuis toujours, et encore aujourd’hui, à 40 ans, sans se l’expliquer, il se sent vulnérable, et proche des vulnérables (il a choisi le métier d’auxiliaire de vie pour personnes handicapées).
Surtout, il sait que se contenter de condamner les auteurs est inefficient. « Comment peut-on faire abstraction de la sexualité des prêtres ? Comme s’ils étaient asexués ! » Il est bien placé pour le savoir. « Je suis fils de prêtre », lance-t-il, presque fier.
Un amour doublement interdit
Emmanuel va un peu vite en besogne. Quand son père a rencontré sa mère, de 20 années sa cadette, au début des années 1970, il était encore curé de paroisse. Mais face à l’évidence de leurs sentiments, il a obtenu d’être réduit à l’état laïc, avant de se marier puis de devenir papa. La formule a le don d’agacer Emmanuel. « Réduit ! Comme si les laïcs avaient une existence inférieure ! »
Ce père aujourd’hui âgé, il l’a toujours chéri, autant que celui-ci l’a chéri. « Mes frères et moi avons eu une chance inouïe. Nos parents ont vécu le véritable amour. Notre père était et il est toujours un bon père », raconte-t-il en se souvenant par exemple d’histoires à épisodes, qu’il inventait et racontait en quelques minutes, autour d’un personnage fictif, Ziska.
Pourtant, cette généalogie, qu’il a découverte à ses huit ans, lui a valu d’être mal vu, à une époque où l’amour de ses parents était doublement interdit (avoir détourné un prêtre de sa mission, et avec une différence d’âge). La famille de sa mère l’a très mal vécu. Son père, reconverti en professeur de religion devait taire son passé et a souffert de ne plus pouvoir être prêtre, ce qu’il aimait infiniment.
Permettre aux prêtres d’être heureux
Emmanuel a grandi avec un sentiment mêlé d’orgueil, de culpabilité, de tiraillement dans sa propre foi, face à ce qu’il ressentait comme des injonctions à la perfection, au point de plonger deux années en dépression, devenu jeune adulte.
Pourquoi ne laisse-t-on pas la liberté aux prêtres de se marier et de fonder une famille ? Pourquoi ne permet-on pas aux femmes de servir ce ministère ? Pourquoi, enfin, la hiérarchie de l’Église catholique ne s’empare-t-elle pas de ce sujet ? Tels sont les questionnements qui habitent Emmanuel.
Quand, en décembre, le diocèse de Strasbourg tremble avec l’affaire Bonan (un prêtre accusé de pédophilie), et que l’archevêque de Strasbourg, Luc Ravel, déjà très engagé pour la prise en compte des victimes, se montre très ferme, Emmanuel s’emporte :
« C’est trop tard. Condamner ceux qui ont fauté, libérer la parole ne servira à rien si on ne se donne pas les moyens pour que cela n’arrive plus. On nous prend encore pour des petits enfants ! »
Il profite alors du déplacement de l’archevêque aux offices dominicaux des paroisses du père Bonan pour l’interpeller à l’issue. Et il l’exhorte : il faut cesser de se voiler la face. Il faut permettre aux prêtres d’être heureux et accompagner ceux qui restent seuls.
Comme les premiers chrétiens
« Il m’a simplement répondu qu’il ne pouvait rien faire », regrette Emmanuel, mettant en avant les prises de position de l’archevêque de Poitiers, Pascal Wintzer, favorable au mariage des prêtres. Autre piste, plus inattendue, selon Emmanuel : supprimer la confession. « Cela crée un ascendant psychologique inutile et dangereux ».
Et finalement, revoir de fond en comble la posture de l’Église avec ses fidèles. « Quelles leçons peut-elle encore donner, alors que les pires actes sont commis en son sein ? », juge celui qui ne supporte plus les appréciations morales selon lui omniprésentes dans l’Église.
Mais tout cela ne le détournera pas du groupe biblique auquel il participe depuis 20 ans, accompagné par un diacre, et dont les membres sont devenus des compagnons de route. « L’Évangile peut encore nous aider à vivre mieux ». Avec un idéal : les communautés chrétiennes des débuts.
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