Il avait été journaliste, philosophe, serveur, veilleur de nuit et bien d’autres choses encore. Barto Pedro Orent-Niedzielski, dit Bartek, s’est éteint le 16 décembre 2018 après cinq jours passés en réanimation.
Cinq jours pendant lesquels des dizaines de proches se sont retrouvés à son chevet. Parmi eux, il y avait l’artiste Claire Audhuy avec qui Bartek avait écrit un livre en 2011 :
« Des liens extrêmement forts se sont créés dans le service de réanimation. La première fois que j’y suis allée et que j’ai vu Bartek, je me suis évanouie. Une jeune femme m’a mis deux gifles pour me réveiller. C’était une amie de Bartek et ça faisait des mois qu’il voulait que je la rencontre. Bien sûr, on est resté en lien. Avec d’autres proches de Bartek, on se donnait des nouvelles au jour le jour. Ça fait partie de ces amitiés tellement puissantes qu’aujourd’hui, je ne pourrais pas avancer sans elles. »
« Des rues où je ne me rends plus »
Des relations essentielles pour se reconstruire, pour se donner la force de se réapproprier Strasbourg. Car comme le confie la dramaturge :
« Il y a des rues marquées et marquantes où je ne me rends plus. Je calcule mes trajets. Ça m’ennuie d’avoir perdu des morceaux de ma ville. Par exemple, je ne suis retournée que trois fois rue des Orfèvres, là où Bartek est mort. Une fois pour discuter avec les commerçants tout de suite après l’attentat. Et puis, deux fois récemment pour leur apporter mon livre. »
En effet, face à cette blessure, Claire Audhuy a écrit. Comme pour laisser une trace de ce qu’elle a ressenti ou simplement observé les semaines après l’attentat. Quelques mots, puis quelques lignes qui ont finalement donné naissance au livre L’hiver dure 90 jours paru cet automne :
« Écrire, c’est continuer de faire vivre notre ami Bartek. C’est consigner toute cette beauté, toutes ces rencontres. »
Oui, dans son livre, Claire Audhuy parle d’une certaine beauté. Elle montre comment le beau peut naître après l’horreur. Dans l’atrocité, les proches de Bartek ont réussi à s’élever :
« Ne pas se mettre au niveau de la violence au risque de faire triompher la violence deux fois. Ce n’est pas tiré de l’évangile, mais c’est simplement ce que m’a dit mon ami psychiatre, qui d’ailleurs est mon ami, mais pas mon psychiatre. »
Cet ami, Claire Audhuy l’a beaucoup écouté. Même quand il lui disait qu’il fallait compter tous les morts, y compris Cherif Chekatt :
« C’est une démarche difficile, mais c’est beau. De la même manière, quelques jours après l’attentat, la maman de Bartek a écrit sa compassion aux parents de Cherif Chekatt (dans un post Facebook, ndlr). C’est un acte d’une très grande beauté, d’une très grande sagesse dont on doit prendre de la graine. »
La France passe à autre chose, pas Claire Audhuy
À Strasbourg, une grande solidarité s’est donc développée entre les proches de Bartek. Mais le retour à la « vie normale » a été compliqué. Après l’émoi du 11 décembre, le reste de la France est rapidement passé à autre chose. C’est en tous cas ce qu’a ressenti Claire Audhuy :
« Trois jours après l’attaque, des journaux nationaux titraient déjà “Strasbourg se remet de l’attentat”. C’est extraordinaire, comment peut-on juger, en étant à l’autre bout de la France, si une ville se remet d’un attentat ?! Ça m’a vraiment heurté. »
Cette impression de tourner trop vite la page, la metteuse en scène ne l’a pas eue uniquement en lisant les journaux. Quand elle s’éloignait de l’Alsace, le fossé entre Strasbourg et le reste du pays était palpable :
« Trois semaines après l’attaque, j’étais dans la région nantaise. Certaines personnes me disaient sans aucune compassion et avec beaucoup de désinvolture à quel point Strasbourg et son marché de Noël devaient être sympas. Je ne souhaite évidemment pas que Strasbourg devienne une ville pestiférée. Mais la légèreté de certaines personnes moins d’un mois après l’attentat était vraiment dure à encaisser. »
Depuis l’ouverture du marché de Noël, Claire Audhuy et son mari ont quitté Strasbourg pour un mois. Impossible pour eux de rester pendant cette période. La blessure est loin de s’être refermée.
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