Pendant la crise sanitaire, les « makers » ont fabriqué avec leurs imprimantes 3D des visières, des attaches pour masques ou des ouvre-portes essentiels pour se protéger du coronavirus. Ce mouvement a-t-il atteint une forme de maturité depuis la crise ? Peut-il remplacer l’industrie et son inertie ? On en discute jeudi à 19h, en visio conférence avec Flavie Genatio, doctorante en sociologie et spécialiste du mouvement des makers, et Quentin Lehmann, fondateur du groupe Makers 67.
Rue89 Strasbourg : Beaucoup ont découvert l’exitence des makers à l’occasion de la crise sanitaire. Comment a démarré cette mobilisation ?
Quentin Lehmann : Le mouvement des makers est très agile. Dès le début de la crise, des fichiers pour produire des attaches, des visières ou même des respirateurs artificiels ont été disponibles. Quand il est devenu clair que les masques allaient manquer et que les usines en Chine ne pourraient suppléer à temps, j’ai créé le groupe sur Facebook, le 28 mars. Puis nous avons mis en place une logistique afin de distribuer les productions, c’est à dire les regrouper et les acheminer. En neuf semaines, nous avons produit plus de 15 000 visières, au début principalement pour les hôpitaux.
Flavie Genatio : Le mouvement est en pleine structuration, et il faut noter qu’il est particulièrement important en France, qui affiche environ 200 fablabs soit autant que les États-Unis. Mais tout repose sur l’énergie de la communauté. Un fablab ne sert à rien s’il n’est pas adossé à une communauté vivante et active.
Comment expliquer ce succès ?
QL : Il faut remercier la communauté des bénévoles, qui se sont mobilisés pour non seulement fabriquer mais également transporter et distribuer les produits. Les commandes ont pu être honorées en des délais record et… gratuitement. Nous ne demandons pas d’argent, nous proposons aux bénéficiaires de nos produits de faire un don, auprès d’un fournisseur de fil PLA, la matière première qui nous permet de produire les objets. L’autre cause du succès est la réactivité de la communauté, qui a très rapidement été en mesure de proposer des fichiers répondant aux besoins de la communauté des soignants.
« Ces communautés ont le partage dans leur ADN »
FG : La force du mouvement, c’est sa capacité à apporter des réponses rapidement grâce à son processus de recherche et développement distribué. Les makers se partagent les fichiers permettant de créer les objets en « open source, » pour la reconnaissance et sans en attendre une rémunération. On savait aussi que beaucoup d’imprimantes 3D s’étaient vendues ces derniers temps. Avec le partage dans leur ADN et actives sur les réseaux sociaux, ces communautés ont été en mesure de répondre aux besoins de la crise.
Est-ce que les makers peuvent remplacer l’industrie ?
QL : Grâce à une centaine d’imprimantes 3D de particuliers, nous avons atteint un pic de production de 700 visières par jour. On aurait pu aller jusqu’à 1 000. Mais une simple machine, c’est 7 000 visières par jour. Donc non, on ne peut pas remplacer l’industrie mais on peut, quand il y a des besoins urgents ou ponctuels, apporter une réponse.
FG : On serait tenté de voir dans les makers un mouvement homogène parce qu’ils utilisent le même outil. Mais il y a de nombreuses réalités différentes, du particulier chez lui à l’atelier de prototypage professionnel… Certains makerspaces répondent à des appels à projets européens et se professionnalisent, d’autres ont une vision militante par exemple au sein de « fabcity », une doctrine écologiste qui veut relocaliser la production au sein des villes. Les makers ne vont pas remplacer l’industrie mais ils ont encore une marge de progression, ils devraient prendre une part plus importante à l’avenir dans la production globale des objets du quotidien.
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