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Théâtre : La fin d’Œdipe

Depuis hier soir et jusqu’au 13 avril, la compagnie Scarface Ensemble investit le Taps Gare pour présenter sa dernière création, texte issu du fond des âges ou presque: Œdipe à Colone, de Sophocle, mis en scène par Elisabeth Marie. La fin d’un mythe, moins tragique peut-être qu’il n’y paraît…

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Œdipe, qui ne le connaît pas? Difficile de le louper depuis qu’il est un complexe psychanalytique à lui tout seul. Difficile aussi, depuis Anouilh, de rater sa fille Antigone. L’histoire d’Œdipe, il va sans dire, est une histoire de famille. Or, si l’on sait la lourdeur de ses crimes – le parricide et l’inceste – comment se solde cet effroyable destin ? C’est ce que nous propose  de découvrir la compagnie Scarface Ensemble, dans une mise en scène soignée, quoiqu’inégale.

Bien moins représentée qu’Œdipe Roi ou Antigone, Œdipe à Colone est la dernière pérégrination du héros tragique, mais aussi la dernière pièce de Sophocle, jouée pour la première fois en 401 avant Jésus-Christ. Hormis une ferveur polythéiste, invoquant Zeus et Phébus à chaque coin de phrase, le propos n’a cependant pas pris une ride. Œdipe aux yeux crevés et sa fidèle fille Antigone arrivent à Colone, petite cité aux portes d’Athènes. Il vient là, sur une prophétie d’Apollon, attendre dignement sa mort. Mais voilà que son autre fille, Ismène, débarque avec un cortège de mauvaises nouvelles: la guerre est déclarée entre Etéocle et Polynice, les deux fils d’Œdipe, dont l’enjeu est le trône de Thèbes. Un bon oracle se faufile pourtant dans ce lot de calamités: Thèbes, qui l’avait chassé, recherchera Œdipe.

Ce sera d’abord Créon, fourbe manipulateur des arguments et des débats, dont la malhonnête tactique a tôt fait de briser l’écorce de la fiction pour venir faire écho à notre réalité. Ce sera ensuite Polynice, tout l’inverse d’un fils prodigue, venu remuer le couteau dans la plaie. Arrive enfin le coup de tonnerre de la prophétie et, avec lui, la tant attendue délivrance de la mort.  Œdipe rejoint le royaume d’Hadès, loin des yeux de ses filles et du public.

Ismène, Antigone et Thésée, les seuls protecteurs d’Œdipe, en pleine répétition.

Un Œdipe charismatique

Alors c’est ainsi ? Une succession de malheurs comme une rangée de dominos pour finalement mourir sagement dans un coin? Eh bien non, car Œdipe ne meurt pas en lâche. L’aveugle est ici le plus clairvoyant. Expulsé par les siens de sa cité, à son tour de châtier les indignes! Fauteur dans une patrie de despotes, c’est en terre de justice qu’il vient plaider non coupable: « malgré moi« , « malgré moi » répète-t-il à qui vient encore le condamner d’un crime qu’il n’a pas voulu commettre. Œdipe à Colone est un Œdipe lumineux, parce qu’il refuse, pour une fois, l’absurde cycle de la fatalité. A contrario des siens, qui alimentent l’infernal rouage.

Sur scène, même topo. A l’admirable Œdipe campé par Marc-Henri Boisse, les cinq autres personnages opposent la stature monochrome, monolithique, de ceux qui suivent le destin d’un autre. Œdipe, lui, passe par toutes les nuances d’un homme qui aimerait enfin vivre. Dans un décor épuré de simples chaises empilées, la mise en scène d’Elisabeth Marie distille quelques délicates notes comiques et bucoliques dans un flot de gravité, qui confine parfois à la lourdeur. Mais la tragédie n’est-elle pas par nature pesanteur? La mort d’Œdipe sonne pourtant comme un heureux soulagement, pour lui et pour Athènes, et ferait presque du plus célèbre des Labdacides une figure christique: le malheur d’un seul pour la paix de tous. Si la mise en scène n’aura sans doute pas convaincu tout le monde, l’essence du texte demeure inébranlable et pose des questions d’une éternelle actualité: quelle part de responsabilité individuelle dans l’aventure collective?

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