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Susan, ange-gardien de pigeons délaissés à Strasbourg

Susan a recueilli un premier pigeonneau blessé en mai 2019. Grâce à une veille sur les réseaux sociaux strasbourgeois, l’étudiante de 25 ans a déjà sauvé 12 pigeons d’une mort certaine en les soignant et en les nourrissant, chez elle.

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Le pigeon nommé Pirate tourne sur lui-même avant de tenter de prendre son envol… en vain. Susan transporte l’oiseau dans une petite cage, comme celle utilisée pour amener un chat chez le vétérinaire. L’étudiante strasbourgeoise a donné rendez-vous au parc de l’Orangerie en début d’après-midi un mercredi d’été. Les onze autres pigeons sont restés dans la maison familiale, dans le quartier de la Robertsau.

Ils ont tous été recueillis par la jeune femme de 25 ans parce qu’ils étaient isolés, blessés, en détresse. Pirate souffre de paramyxovirose, un trouble neurologique qui perturbe son sens de l’orientation et sa capacité à s’envoler. En un peu plus de deux ans, Susan est ainsi devenue l’une des rares personnes à Strasbourg à accueillir et soigner ces volatiles, d’ordinaire méprisés par les citadins.

Arrivée en France après avoir quitté la Russie à sept ans, Susan a d’abord étudié la communication avant de se lancer dans le design marketing… et le soin des pigeons en détresse. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

« Je pensais qu’il allait rester un mois »

Tout a commencé en mai 2019. Susan arrive en retard à l’Institut supérieur des arts appliqués, rue Thiergarten à Strasbourg. Mais devant la vitrine de l’établissement, l’étudiante aperçoit un petit oisillon mourant. Elle le prend en photo et l’envoie à une amie, bénévole à la Ligue de protection des oiseaux (LPO). La copine reconnaît un pigeon biset et répond que l’association ne prend pas en charge cette espèce. Susan appelle alors le directeur de son école, qui lui donne un carton pour recueillir le pigeonneau. C’est alors qu’elle décide de l’appeler Benjamin, comme son chef d’établissement.

« Je pensais qu’il allait rester un mois et que je le libérerai ensuite », se souvient Susan. Tombé du troisième étage du bâtiment, Benjamin a un poumon perforé et une boule gonflée sous l’œil. L’amoureuse des animaux le prend en charge, en « soins intensifs » :

« Dans ce type de situation, ils ont besoin d’être gavés avec une poudre de nutriments appelée Nutribird à l’aide d’une seringue toutes les trois heures, en plus des médicaments. »

La volière à 400 euros, que Susan a monté elle-même dans le jardin de sa maison. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

En se renseignant, notamment sur le groupe Facebook dédié « Solidarité Lapalomatriste Pigeons », l’éleveuse de pigeons néophyte découvre qu’elle ne pourra pas relâcher l’oiseau. Susan en est convaincue, si elle veut vraiment les sauver, elle doit les garder :

« Lorsqu’ils sont recueillis si tôt, ils ne savent pas voler et chercher de la nourriture par eux-mêmes. De plus, ce sont des animaux grégaires. Sans groupe, ils ne peuvent survivre. Et puis dehors, les pigeons sont méprisés, chassés, parfois empoisonnés. Dehors, l’espérance de vie d’un pigeon est de trois à six ans. En captivité, ils peuvent vivre jusqu’à 20 ans. »

Une veille sur les réseaux… et bientôt douze pigeons

Benjamin reste donc à la maison. Mais grâce à ce sauvetage, Susan découvre qu’elle est l’une des rares Strasbourgeoises à accueillir des pigeons blessés. Dans les groupes Facebook strasbourgeois, notamment Étudiants de Strasbourg, elle voit régulièrement des publications concernant des oiseaux en détresse. Lorsque c’est un pigeon, elle propose son aide. En septembre 2019, un jeune homme trouve un pigeonneau frigorifié sur le rebord de sa fenêtre. Susan lui conseille d’abord d’attendre, au cas où les parents viendraient récupérer leur progéniture. Puis, elle finit par se déplacer pour le soigner et le nourrir chez elle. En janvier 2020, Susan a ainsi atteint les dix pigeons.

Face aux premiers pigeons recueillis, la maman de Susan est d’abord restée circonspecte. D’autant que les oiseaux peuvent provoquer des dégâts dans la maison, notamment par leurs fientes. Ainsi, Susan est obligée de laisser constamment un drap au sol et de le nettoyer le soir pour éviter de tâcher le parquet. Puis il y a les frais, liés aux médicaments et à la nourriture des animaux. Sur un site américain, la jeune éleveuse a aussi trouvé des couches pour pigeons. Pirate en porte une lors de notre entretien à l’Orangerie. Il a aussi fallu acheter une volière extérieure à 400 euros…

En janvier 2020, Susan a ainsi passé la barre des dix pigeons. Elle ne peut en accueillir plus de douze. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

Mais tout a changé avec Pirate. Car c’est sa mère qui a trouvé l’oisillon en sang au bord d’un trottoir. C’est elle aussi qui lui a donné ce nom de flibustier, pensant que l’oiseau avait un œil en moins. Depuis l’arrivée de ce huitième pigeon, l’engagement de Susan ne pose plus de problème à sa mère. Après cinq mois de soins et de médicaments, Pirate « mange des graines de tournesol », s’enthousiasme Susan, comme soulagée. Son père n’est pas souvent là. Mais il pense que « les oiseaux sont mieux en liberté. »

« Pour moi, ce sont des membres de ma famille »

Calme et vêtue d’un chemisier blanc élégant, Susan se décrit volontiers comme solitaire. Elle a montré ses pigeons à ses amis les plus ouverts. Elle leur explique alors que ces oiseaux sont propres lorsqu’ils sont en captivité (« ils se lavent dans leur petit bac d’eau trois fois par jour »). Elle assure aussi qu’ils ne transmettent pas de zoonose, ces maladies qui migrent des animaux à l’homme : « Ces contaminations peuvent arriver si un homme se balade dans un grenier rempli de pigeons, dont certains seraient malades. Mais pas en recueillant un seul pigeon chez soi… »

Mais qu’est-ce qu’apporte un pigeon comme animal de compagnie ? D’autant que Susan a dû renoncer aux grands voyages. Elle le sait, « c’est impossible de trouver quelqu’un qui s’occuperait de douze pigeons… » Mais ces oiseaux sont plus que des animaux pour la jeune femme. Benjamin, qui est en fait une pigeonne (le sexe de cette espèce est difficile à reconnaître), a longtemps pris Susan pour son compagnon : « Au bout de quelques jours et de recherches sur internet, j’ai compris qu’elle attendait que je pose ma main sur les œufs pour aller manger… » Et puis, il y a le fait de pouvoir tenir un pigeon entre ses mains, de pouvoir le caresser, sans qu’il ne s’effraie. Susan résume ainsi son amour pour les pigeons : « Pour moi ce sont des membres de ma famille. Et comme pour des proches, tu aimes simplement leur compagnie. »


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