Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

La fibre optique se fait attendre à Strasbourg

Tous les geeks le savent, la fibre optique est la technologie la plus performante pour naviguer à très haut débit sur l’Internet. Auparavant réservée aux grandes entreprises, la fibre optique atteint les foyers individuels. Mais à Strasbourg, cette connexion ne sera pas acquise tout de suite pour tout le monde, les opérateurs freinent son déploiement. Rue89 Strasbourg fait le point.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.


Les données informatiques sont transmises par un signal luminescent. Le câble est à peine plus grand qu'un cheveu. (photo Grenns MPs / FlickR / CC)

Il est loin le temps de la connexion modem 56 Kbits/seconde à 10 Francs l’heure, place à la fibre optique qui permet de dégainer jusqu’à 100 Mbits/seconde (très haut débit). À titre de comparaison, la téléchargement d’un DVD prenait 13 jours en 1996 quand il dure seulement 10 minutes avec cette technologie. Mais problème : tout le monde n’est pas près d’être raccordé à la fibre, les opérateurs reculent devant les coûts de déploiement, Free aurait même abandonné certains chantiers. De plus, entre les espaces économiques à développer ou les quartiers délaissés par le haut-débit, les priorités des zones à raccorder changent au gré des pressions, des logiques commerciales ou des objectifs du gouvernement.

Jean-Marc Kolb est directeur adjoint des technologies de l’information et de la communication à la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Strasbourg. Pour lui, le développement de la fibre optique est pourtant essentiel :

« Les entreprises alsaciennes ont une bonne connexion mais en font un usage basique, ils vont sur l’Internet pour envoyer des mails, rechercher des fournisseurs et des produits mais n’utilisent pas d’applications poussées comme le cloud-computing [externalisation des applications et activités de l’entreprise sur l’Internet – ndlr]. Avec le très haut débit, on peut pourtant aller très loin : développer le télétravail, qui permettrait de travailler depuis chez soi tout en restant connecté au réseau de l’entreprise, la visioconférence, faire des visites virtuelles : tout ce qui est gourmand en débit deviendrait plus accessible. »

Pour les particuliers, l’attrait n’est pas le même. Avec le très haut débit, la télévision ne saccade plus, jamais. L’offre de vidéos à la demande devient plus importante et les films sont disponibles plus rapidement. La fibre optique améliore aussi les connexions mobiles, via les normes 3G+ ou 4G, un équipement bien plus présent dans les ménages alsaciens que dans l’ensemble du territoire selon l’Observatoire Internet et E-Business.

L’éligibilité dans 10 ans pour le centre-ville

Les personnes éligibles à la fibre optique sont déjà nombreuses à Strasbourg, la ville et son agglomération faisant partie des objectifs de déploiement des principaux opérateurs. Mais dans les faits, la situation est très contrastée selon les quartiers. La zone de déploiement de Numéricable couvre à ce jour 70% de la population strasbourgeoise et s’étend encore assez densément dans la Communauté urbaine. Petite précision, dans une zone de déploiement, même si un seul opérateur raccorde un immeuble donné, les habitants de cet immeuble pourront choisir leur propre opérateur. En zone très dense, la fibre optique est unique pour chaque opérateur. En zone moyennement dense, les opérateurs se partagent une seule et unique fibre.

Bruno Janet, directeur des relations avec les collectivités locales chez Orange-France Télécom, explique le fonctionnement des raccordements :

« Dans le périmètre de Strasbourg-Cus, toutes les communes ont un « millésime de raccordement », c’est-à-dire que si des travaux commencent dans commune en 2012, celle-ci sera raccordé en 2017. Une commune est raccordée en totalité, ou presque, en cinq ans. Le but est de raccorder tout le secteur d’ici 2020. Bischheim, Lingolsheim et Schiltigheim ont le millésime 2012. Les travaux à Illkirch commenceront en 2013. Les discussions sont en cours pour les autres communes. À Strasbourg, des travaux ont commencé l’année dernière, en priorité dans les quartiers avec un plus faible débit : Esplanade, Gare, Orangerie-Roberstau, Neudorf. Si le centre historique ne figure pas encore dans la zone de déploiement d’Orange, cela signifie que les travaux dans ce secteur n’ont pas commencé. Les travaux au cœur de la ville commenceront en 2015 à cause de la présence de bâtiments historiques par exemple, qui ne permettent pas d’intervenir comme bon nous semble. Chez Orange, le raccordement ne se fait pas à partir de câbles déjà existants mais à partir de nouveaux câbles. »

Jean-Claude Brier, directeur des relations régionales chez SFR, confirme l’inconvénient des bâtiments historiques mais souligne d’autres points noirs :

« C’est vrai qu’on peut avoir des difficultés de raccordement avec des bâtiments historiques. À Colmar, Vialis a rencontré des difficultés similaires pour poser des câbles en façades. Ce qui nous a gêné aussi à Strasbourg, c’est le déclassement par l’Arcep de certaines zones auparavant inscrites en zone très dense qui se retrouvent en zone moyennement dense. Le raccordement n’est plus le même dans cette situation et il faut donc changer les prises. Par ailleurs, l’opérateur Free, qui avait récupéré des conventions d’exploitation d’immeubles, s’était désengagé sans donner plus de précisions aux autres opérateurs sur les immeubles déjà raccordés ou non. On a perdu du temps, car pour équiper un bâtiment, il faut obtenir l’autorisation du syndicat d’immeuble. Or les Assemblées générales n’ont lieu qu’une fois par an. »

Mais d’autres raisons s’ajoutent. L’opérateur historique Orange-France Télécom loue sa boucle locale pour les actuelles connexions Adsl. SFR, en tant qu’opérateur alternatif, doit reverser 9€ à Orange Télécom pour chacun de ses abonnés. Selon Joël Mau, directeur de Mission à l’Institut Mines-Télécom, Orange-France Télécom doit favoriser davantage l’accès à la fibre optique :

« Orange-France Télécom loue les câbles cuivrés aux autres opérateurs. Or pour passer à la fibre optique, il faut abandonner les câbles de cuivre loués aux fournisseurs d’accès internet. Si la location de la fibre optique s’avère moins rentable que la location du câble cuivré, l’opérateur historique n’incitera pas les autres à migrer vers le très haut débit. »

Et pour compliquer le tout, les opérateurs attendent aussi des collectivités territoriales des subventions pour soutenir l’investissement onéreux à la fibre optique. Bref, tout ce petit monde se regarde et se jauge, le but étant de déployer la fibre mais pas trop vite, pour que les concurrents n’en profitent pas. Tous les opérateurs contactés ont refusé de nous communiquer leur planning de déploiement.

Câblage d’un réseau de fibre optique

Ceux qui ne verront pas le très haut débit

Et les laissés pour compte ? La situation est compliquée. Initialement, 73 communes de la région devraient être raccordées à la fibre optique d’ici 2020, soit 51% de la population. Mais le gouvernement de François Hollande préférerait équiper l’ensemble du territoire simplement en haut débit (Adsl) en priorité, quitte à retarder le déploiement du très haut débit. Une proposition de loi pour l’aménagement du territoire, a été adoptée en première lecture par le Sénat le 14 février 2012. Parmi les dispositions figure l’article 8 qui énonce que « tout abonné à un réseau fixe de communications électroniques doit être en mesure d’accéder à un débit minimal de 2 Mbit/s avant le 31 décembre 2013 et 8 Mbit/s avant le 31 décembre 2015. »

Lors de l’Université de la Rochelle, Fleur Pellerin, ministre chargée du développement numérique, a rappelé que la priorité du gouvernement était la couverture totale du territoire en haut débit d’ici 2015. Selon une étude de McKinsey & Company, l’usage d’internet aurait en effet participé pour 20% de la croissance française entre 2005 et 2009.

La barre des 2Mbits/s n’est pas près d’effrayer les fournisseurs d’accès internet. Il s’agit pour eux du minimum requis s’ils veulent parler de haut débit. En revanche, le débit à 8Mbits/s est déjà plus difficile à déployer, surtout en l’espace de trois ans. Dans un communiqué de presse, la Fédération française des télécoms, qui représente la plupart des opérateurs, a dénoncé ce texte :

« En imposant un système de contraintes et de sanctions, le texte peut conduire à un désengagement des opérateurs sur certaines zones du territoire. Par ailleurs la proposition de loi imposerait des niveaux de débits pour l’ensemble des usagers qui sont dans les faits irréalistes aux dates envisagées et qui viendraient pénaliser le déploiement de la fibre optique. »

Il faut aussi éviter que la « fracture numérique » ne s’agrandisse. Le rapport final du schéma directeur territorial de l’aménagement numérique de l’Alsace fait part de l’existence de zones insuffisamment couvertes par l’Adsl. À la CCI, Jean-Marc Kolb avoue que les disparités technologiques doivent être repensées :

« Il faut éviter une amplification de la fracture numérique entre d’un côté les zones hyper-connectées et les zones sinistrées. Des endroits dans la Vallée de la Bruche ou à Andlau par exemple sont trop loin des commutateurs, situé à cinq ou dix kilomètres de là, et n’ont même pas une bonne connexion Adsl. Il faudrait en priorité s’occuper de ces zones en besoin mais les opérateurs vont bien sûr préférer investir à Strasbourg plutôt que d’équiper une boulangerie dans un quelconque village. »

Et vous, avez-vous la fibre ?

Pour savoir si la connexion par fibre optique est possible chez soi, il suffit de se rendre sur ces sites internet : Compare Fibre, Céleste ou DegroupTest. Rue89 Strasbourg a essayé pour son propre compte. Résultat : pas de connexion possible dans l’immédia, mais « éligible », la fibre passe à proximité. En d’autres termes, les locaux se situent dans une zone de déploiement mais le bâtiment n’a pas été raccordé. Seule chose à faire : attendre l’Assemblée générale des copropriétaires de l’immeuble et inscrire la demande de raccordement à l’ordre du jour. En effet, seule une autorisation du syndic ou du propriétaire permet aux opérateurs d’équiper l’immeuble.

L’installation de la fibre optique se réalise après différentes démarches, selon que vous êtes propriétaire, copropriétaire ou locataire. Le propriétaire peut solliciter des propositions de fibrage pour son immeuble directement auprès des opérateurs. Le copropriétaire peut demander au syndicat de l’immeuble, par lettre recommandée avec accusé de réception, que la question du fibrage par l’opérateur de son choix soit mis à l’ordre du jour de la prochaine réunion des copropriétaires. Le locataire bénéficie, en tant qu’occupant du logement, d’un « droit à la fibre ». Si un locataire souhaite être raccordé à la fibre optique et qu’un opérateur a validé la possibilité de fibrer l’immeuble, le propriétaire ne peut pas s’y opposer, sauf exception.

Selon la loi, l’opérateur en charge du déploiement du réseau dans un immeuble doit respecter des conditions de déploiement pour garantir un accès neutre à l’ensemble des autres opérateurs.

Bon à savoir, le raccordement à la fibre optique ne coûte rien aux propriétaires ou aux locataires. La loi prévoit que les coûts d’installation du fibrage de l’immeuble soient à la charge de l’opérateur choisi pour le raccordement, et, le cas échéant, aux autres opérateurs qui se sont associés aux travaux. Toute personne est également libre de refuser l’installation de la prise optique chez elle. Elle pourra contacter l’opérateur ultérieurement si celle-ci a changé d’avis. L’installation du câble optique ne modifie pas les réseaux déjà existants.


#Bouygues Télécoms

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Autres mots-clés :

Partager
Plus d'options
Quitter la version mobile