Fin juillet, Hugo et Leila ont participé à la création de la page Instagram « Vigilance Strasbourgeoises ». Cette dernière a reçu plus de 10 000 abonnés en une semaine, propulsant la thématique du harcèlement de rue et des agressions sexuelles et sexistes au centre du débat public strasbourgeois. Les deux jeunes Strasbourgeois ont décidé de léguer ce puissant outil de communication à la future association de Tiphany, fondatrice de la page Facebook « Témoignages & soutien violences sexistes de rue – Strasbourg ». Interview.
Rue89 Strasbourg : Comment est-ce que la page Instagram « Vigilance Strasbourgeoises » est née ?
Hugo : On était quatre en soirée et on avait tous lu le témoignage d’une personne qui disait avoir été violée près du Phonographe. Ça faisait déjà un moment qu’on voyait les témoignages qui s’alignaient sur le groupe Facebook « Étudiants de Strasbourg ». On a eu un sentiment d’impuissance qui devenait de plus en plus frustrant à supporter. Ce soir-là, on s’est dit qu’avec nos compétences en communication, en référencement, en écriture et en graphisme, il y avait quelque chose à faire sur un outil où il n’y avait pas encore de positionnement sur ce sujet à Strasbourg, à savoir Instagram.
Quel était l’objectif en montant cette page ?
Hugo : On voulait créer un espace de parole sur le harcèlement de rue. On avait la sensation que plus l’espace de parole s’ouvrait, moins les gens avaient peur de parler. Le retour qu’on a eu après quelques jours, c’était : « Je me sens beaucoup mieux maintenant que je sais que je ne suis pas toute seule sur ce bateau, ou tout seul. » Je dis tout seul parce qu’on inclut aussi des témoignages d’hommes.
Votre page ne publie pas seulement des témoignages autour du harcèlement ou des agressions sexistes ou sexuelles ?
Hugo : Des conseils et des initiatives ont aussi été échangés sur les commissariats accueillants pour porter plainte, comme celui de Neudorf. On a eu des professeurs de self défense qui ont donné des conseils. Des juristes ont parlé des moyens légaux de légitime défense. La page centralise beaucoup d’informations qu’on a voulu rendre accessible à tous.
Combien de témoignages avez-vous reçus ?
Hugo : Au total, on a reçu près de 5 000 messages. Parmi eux, près de 1 200 sont des témoignages de harcèlement de rue ou d’aggression sexiste ou sexuelle. Pour le moment, on en a publié près de 10%.
Comment expliquez-vous le succès de cette page, avec près de 10 000 abonnés en une semaine ?
Leila : Beaucoup de gens ont partagé dans leur story le compte de Vigilance Strasbourgeoises en recommandant de nous suivre, de témoigner. Ce qui a fait augmenter notre nombre d’abonnés, c’est une succession de comptes à 400, 500 abonnés qui nous ont mis en avant sur leur page perso.
Hugo : Sur Instagram, il y a beaucoup de jeunes donc on a joué sur des mots forts, pour jouer sur l’impact émotionnel et mobiliser directement. Les visuels, le rouge et le noir, ont très bien marché avec le message qui allait avec.
Il y avait déjà des associations et des collectifs qui mobilisaient sur ces sujets. Pourquoi avoir créé une nouvelle page sur le harcèlement de rue ?
Hugo : Je n’ai pas vu la communication de ces associations et pages déjà créées, du moins dans la vie de tous les jours. Je n’y ai pas été confrontée alors que les témoignages, j’y ai été confrontés et c’est comme ça que j’ai pris conscience de la problématique du harcèlement de rue. Hier, on a fait un sondage et on a découvert que 65 % des hommes abonnés au compte de Vigilance Strasbourgeoises n’étaient pas conscients que le harcèlement de rue était si violent au quotidien. Moi aussi, j’ai pris conscience du sujet lorsque j’ai vu ces témoignages affluer.
Leila, Hugo, vous êtes deux fondateurs parmi les quatre que compte la page Vigilance Strasbourgeoises. Pourquoi les deux autres ont-ils choisi de rester anonymes ?
Hugo : Il faut savoir que pendant ces sept premiers jours de la page Instagram, on a reçu énormément d’insultes, de menaces de mort. Ça nous a bien retourné physiquement. Les deux collègues, qui ne souhaitent pas témoigner, en ont fait des nuits blanches.
Vous avez aussi été critiquée par certaines associations ou collectifs féministes ?
Hugo : La page collage féministe Strasbourg a exprimé un avis divergent sur notre action. Ils prônent la non-mixité et le rejet de la participation des « hommes cis » (des hommes dont le genre est masculin depuis la naissance, ndlr) dans n’importe quelle initiative féministe ou aux questions d’égalité. Nous avons publié leur avis sur nous, en précisant que nous resterions sur cette recherche de témoignages. On n’est pas rentré dans l’invective. On a donné une visibilité à cette voix divergente pour que ceux qui ne nous trouvent pas assez bienveillants, ou déconstruits, puissent se désabonner et suivre des pages qui prônent la non-mixité. Cette transparence, on l’a aussi eue lorsque des rumeurs évoquaient des liens entre nous et un groupuscule d’extrême-droite (selon nos recherches, aucun des quatre membres fondateurs de la page Vigilance Strasbourgeoises n’a de lien avec la Cocarde étudiante, ndlr).
Pourquoi avez-vous décidé de laisser ce compte Instagram à Tiphany, la créatrice de la page Facebook « Témoignages & soutien violences sexistes de rue » ?
Hugo : La démarche de Tiphany sur Facebook nous paraissait équivalente à la nôtre sur Instagram. On s’est dit que Tiphany avait le même état d’esprit que nous, elle a une vision, elle est pour la mixité, elle est pacifique… Quand on a su qu’elle allait créer une association, on s’est dit qu’on pouvait lui donner notre outil de communication, ce qui aidera sans doute l’association à être prise au sérieux, notamment au niveau des instances publiques.
Ensuite, moi en tant qu’homme, blanc, cis, privilégié, je ne cache pas que je me sens pas le plus légitime, même si j’ai des compétences que j’ai pu apporter, je n’ai pas envie de voler le combat de quiconque. Donc aujourd’hui, on donne cet outil sans rien demander en retour.
Est-ce que cette association a déjà un nom ? Quel est son objectif ?
Tiphany : Pour moi aussi finalement, tout est allé très vite. À la base, je voulais simplement créer une carte et recueillir des témoignages dans un endroit bienveillant, sécurisant et rassurant. Car malheureusement dans d’autres groupes Facebook, il y a des rigolos qui s’amusent à réagir de manière déplacée à ces témoignages.
Ce qui m’a beaucoup frappé, au-delà des milliers de personnes qui ont rejoint le groupe, c’est l’énorme élan de solidarité et l’énergie disponible, donc je me suis dit qu’il y a quelque chose à faire ensemble. On est entre quarante et cinquante personnes qui veulent s’engager dans cette association.
Ensuite, la mairie a voulu nous rencontrer donc on a fait un sondage en interne pour demander quelles étaient les idées pour lutter contre ces phénomènes. On a récolté plein d’idées et je me suis dit, si on veut agir, être dans le concret, il faut créer une structure associative et lancer des projets. Je veux pas laisser retomber cette énergie extraordinaire contre le harcèlement de rue, les agressions sexistes et sexuelles. Et ce ne sont pas seulement des femmes qui veulent s’impliquer, mais aussi des hommes, très profondément marqués par ces témoignages. Donc pour moi c’est important de les inclure et de les sensibiliser. Pour moi, c’est ça le but aussi, de ne pas rester entre filles, parce que nous on sait ce que c’est le harcèlement de rue. C’est aussi de montrer le problème auprès de personnes qui ne sont pas sensibilisées.
Quelle est votre position au sujet du groupe Facebook « Stras défense » qui cherche à organiser un collectif de défense citoyen contre le harcèlement de rue ?
Tiphany : Je ne connais pas ces gens, ni leur intention. Les milices citoyennes risquent-elles d’être violentes ? C’est une possibilité, on ne peut pas l’exclure. Ils peuvent aussi partir d’un bon principe, avec des personnes extérieures qui souhaitent être violentes. Donc je ne suis pas contre rencontrer d’autres idées, d’autres projets. De là à faire des partenariats, je préfère mettre mon véto pour l’instant. La milice, je ne suis pas pour personnellement, ça peut trop vite escalader. Pour moi, la solution n’est pas de répondre par la violence, mais par l’éducation et la sensibilisation à long-terme en incluant toutes les instances publiques, les hommes et les femmes.
Quelle sera la thématique principale de l’association ?
Tiphany : L’urgence est de travailler sur le harcèlement et les agressions sexistes de rue. On a l’impression qu’il y a une recrudescence des témoignages après le confinement. On souhaite aussi repenser la place des femmes dans l’espace public. C’est intrinsèquement lié : on se sent moins en sécurité à certains endroits parce qu’il n’y a pas assez de lumière, les trottoirs sont trop serrés, etc. C’est pourquoi on veut travailler avec la municipalité et la police. C’est anormal que les femmes se privent de liberté pour qu’on n’attaque pas leur dignité.
Quels sujets ont été discutés lors de votre rencontre avec la municipalité ?
Tiphany : La Ville est globalement bien quadrillée par la vidéosurveillance, mais on travaillera ensemble en recoupant notre carte du harcèlement de rue avec celles des caméras pour voir où on pourrait en rajouter. La mairie, qui gère la police municipale, va mettre en place une formation sur le sexisme dans la rue. Elle a affirmé qu’elle sensibiliserait ses agents à la contravention liée à l’outrage sexiste, qui peut représenter 750 euros d’amende. Les policiers municipaux seraient habilités à appliquer cette contravention immédiatement car il ne s’agit pas d’une arrestation.
Pouvez-vous présenter un projet que vous souhaiteriez mettre en place ?
Tiphany : Pour améliorer l’accueil des victimes dans les commissariats, nous allons organiser une enquête interne que nous ferons remonter auprès de la municipalité. Nous allons recenser les témoignages pour savoir ce qu’il s’est passé quand les victimes se sont déplacées et comment elles ont été reçues. On va également organiser une rencontre entre la mairie, la police municipale et certaines victimes de violences. Le but est de comprendre pourquoi elles n’osent parfois pas porter plainte. Ça peut être une épreuve psychologique de répéter 30 fois la même chose. Certains policiers ne sont pas formés et n’adoptent pas un comportement adapté.
On va aussi mettre en place des campagnes de sensibilisation dans les transports en commun et travailler sur l’aménagement urbain. Depuis quelques années, le dispositif des « marches exploratoires » permet à des citoyens de suivre un circuit dans certains quartiers pour voir ce qui est à améliorer. On souhaiterait le développer sous le prisme des femmes. Parfois, on pense qu’il faut éteindre les lampadaires par souci écologique mais sans lumière, on ne se sent pas en sécurité le soir dans la rue.
Quelles sont vos revendications auprès de la municipalité ?
Tiphany : D’abord, il faut travailler sur l’accueil des victimes au commissariat. On veut inciter les femmes à porter plainte et poser une main courante, même pour harcèlement. La police doit assurer une écoute active des victimes et ne pas remettre leur parole en cause. On pense former des personnes qui accompagnent les victimes au commissariat pour qu’elles ne soient pas seules, qui les aident dans leurs démarches de plainte. On aimerait aussi plus de tolérance sur les bombes de poivre ou lacrymogènes, qui sont parfois confisquées par la police lors de contrôles. On doit se sentir en sécurité et avoir la possibilité de s’échapper grâce à cela. Notre but est de sensibiliser le grand public. Des outils existent pour désamorcer les harcèlements dans la rue, il faudrait une formation de masse pour que chacun en ait conscience. Quand on voit une agression se dérouler, on peut intervenir en faisant semblant de connaître la victime. Si elle n’est plus isolée et que le harceleur est exposé, il sera forcé d’arrêter.
Pensez-vous que Strasbourg peut prendre un virage féministe ?
Tiphany : On sent qu’il y a de l’espoir. Quand on voit autant de personnes mobilisées, on se dit qu’on peut changer les choses. Les harceleurs représentent une minorité, alors il suffit que la majorité se dresse contre ces personnes et il n’y aura plus de raison pour que le harcèlement continue de déferler. Au-delà de la revendication féministe, ce problème nous concerne tous, c’est un phénomène de société. On est optimiste. Dans la continuité du mouvement #MeToo, on a l’impression que la prise de conscience est forte grâce à la sensibilisation et à la libération de la parole
Sur Facebook : le groupe de témoignage et de soutien aux violences sexistes
Sur Instagram : le compte Strasbourg vigilance
Sur France 3 Grand Est : Strasbourg : recrudescence des témoignages d’agressions sexuelles et de harcèlement de rue, la mairie réagit
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