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À Strasbourg, le silence des institutions russes sur la guerre et une tentative d’influence

Depuis le début de la guerre en Ukraine, les principales institutions russes de Strasbourg ne s’expriment pas ou peu sur le conflit. À l’attention des diplomates de Strasbourg, la représentation de la Russie au Conseil de l’Europe, qui a été suspendue de ses droits, diffuse une newsletter qui se fait le relais de la propagande russe.

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Les sanctions s’accumulent dans les pays d’Europe à l’encontre des institutions russes accusées de reprendre la propagande du régime de Vladimir Poutine. La première a eu lieu à Strasbourg dès le lendemain des premiers bombardements sur Kiev, vendredi 25 février. Le Conseil de l’Europe avait décidé la suspension de la représentation permanente de la fédération de Russie. Cette représentation, située allée de la Robertsau, fait partie de l’assemblée des 47 pays membres du Conseil de l’Europe. Comme les autres institutions russes établies à Strasbourg, ses représentants observent un silence de façade à propos du conflit ukrainien.

La représentation russe au Conseil de l’Europe s’exprime sur Twitter

Cette suspension « temporaire » signifie que les représentants russes ne pourront plus faire partie du Comité des ministres, qui représente les gouvernements au Conseil de l’Europe et a pour rôle de faire appliquer les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Les représentants russes ne pourront également plus prendre part à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qui est un organe de discussion et de débat sur les enjeux européens et mondiaux entre les représentants issus des parlements nationaux. En revanche, le juge russe à la CEDH est toujours en place et les ressortissants peuvent le saisir.

Suite à cette suspension, la représentation russe s’est exprimée dans trois tweets accusant notamment une décision prise dans une « totale hystérie ». Un député russe est cité désignant cette décision comme « un pas de plus vers la création d’un nouveau « rideau de fer », la barrière qui séparait le bloc d’influence soviétique du monde occidental pendant la Guerre Froide. Contactée par Rue89 Strasbourg, la délégation n’a pas répondu à notre sollicitation, en expliquant que ses employés étaient exclusivement russophones.

Une newsletter pro-russe quotidienne aux diplomates internationaux

Lundi 28 février, quatre jours après le début de l’invasion, la représentation permanente a commencé à diffuser une newsletter à destination des autres représentations et consulats présents à Strasbourg. Dans un premier mail envoyé le 28 février à 5h22, la représentation russe annonce vouloir distribuer « un bulletin d’information quotidien, dont l’objectif principal est de [vous] dire la vérité sur le cours des événements en Ukraine, de démontrer clairement et d’exposer la propagation massive de fausse informations en vous fournissant les informations les plus importantes, des preuves factuelles. »

Ces documents, que Rue89 Strasbourg a pu consulter, communiquent sur les positions de la Fédération de Russie et de ses différentes institutions. La structure des envois, en anglais et avec quelques passages en français, est plus ou moins la même d’un jour sur l’autre. Une première partie présente des citations des représentants politiques russes qualifiant les sanctions européennes de « discriminatoires » et « complètement politisées ». Une deuxième partie expose, avec beaucoup de détails et d’images du conflit armé, des faits présentés invariablement comme des « crimes de guerre de l’armée ukrainienne ».

Les sources citées sont pour la plupart des médias et des agences de presse russes. Il y a par exemple l’agence de presse russe TASS, qui a été bannie de l’Agence européenne des agences de presse (EANA) le 27 février. L’Agence a considéré que TASS se trouvait « en violation des statuts de l’Alliance, ne pouvant pas fournir d’informations impartiales, qui sont au cœur de la déclaration de l’EANA ».

Enfin, une dernière partie liste des bombardements et des attaques russes comme des « fake news ». Pour cette partie, certains médias occidentaux, comme la BBC ou les DNA sont cités. Certaines éditions mentionnent des actes de « russophobie » comme la suspension des médias gouvernementaux Russia Today et Sputnik, ou encore que la Fédération internationale féline suspend de ses compétitions les chats ayant grandi en Russie.

La représentation permanente russe jouxte le Conseil de l’Europe. Photo : Google street view

Pour le Patriarcat de Moscou à Strasbourg, la guerre est une « opération militaire »

Près du parc de l’Orangerie, l’église orthodoxe russe « Tous les Saints » est aussi un lieu important pour la communauté russe à Strasbourg. Elle est rattachée au Patriarcat de Moscou, historiquement proche du régime russe. L’édifice religieux a d’ailleurs été inauguré le 26 mai 2019 par le patriarche Kirill, chef de l’église orthodoxe russe et proche de Vladimir Poutine. Depuis Moscou, le patriarche a récemment pris position sur la guerre en Ukraine en qualifiant de « forces du mal » la résistance en Ukraine.

Sur sa page Facebook, l’église strasbourgeoise a publié un communiqué qualifiant l’invasion russe « d’opération militaire » en Ukraine et faisant état de bombardements ukrainiens ciblant les civils dans le Donbass, en phase avec les termes employés par le régime russe pour justifier l’invasion. Contactée par Rue89 Strasbourg, l’église orthodoxe affirme ne pas être financée par le régime de Moscou. En outre, son représentant ecclésiastique Philipe Ryabykh, qui est aussi représentant du Patriarcat de Moscou au Conseil de l’Europe, ne souhaite pas en dire davantage :

« Nous sommes une communauté religieuse qui s’occupe de la vie spirituelle. En ce moment, nous ne voulons que nous concentrer sur la prière pour la paix et sur le soutien spirituel pour nos fidèles de différentes origines. Nous ne voulons pas répondre aux allégations et aux provocations politiques. »

L’église orthodoxe russe à Strasbourg. Photo : Evan Lemoine / Rue89 Strasbourg / cc

Le Consulat de Russie ne communique pas

Le Consulat de Russie, situé place Sébastien-Brant, n’a pas communiqué sur la guerre en Ukraine. Sur son site, la plupart des rubriques de documentation ne sont plus accessibles. Certains liens restent néanmoins fonctionnels, vers des portails sur l’art de vivre ou touristiques comme « Russia Travel ». Le vendredi 25 février, le bâtiment avait été tagué par des croix gammées au deuxième jour du conflit. L’auteur a été condamné à une amende 300 euros pour les dégradations, puis s’être battu avec le directeur départemental adjoint de la sécurité publique.

Le consulat est protégé par une ceinture de barrières à plusieurs mètres des grilles depuis l’offensive russe. Photo : Evan Lemoine / Rue89 Strasbourg / cc

Contacté par Rue89 Strasbourg, le Consulat de Russie n’a pas souhaité communiquer, au prétexte, comme à la représentation permanente, que ses agents sont exclusivement russophones.

Anton Shekhovtsov, directeur du centre pour l’intégrité démocratique à Vienne et Ukrainien, explique ce silence par une forme de « loyauté » des salariés russes à l’étranger vis-à-vis du Kremlin :

« Les personnes qui représentent la Russie dans les autres pays ne sont pas forcément bien formés. Certains ont des diplômes mais qui viennent d’universités russes peu cotées. Ils ne sont pas choisis pour leurs compétences mais davantage parce qu’ils sont loyaux. S’ils ne restent pas fidèles au poste auquel la Russie les emploie, ils ne seront de toutes façons pas embauchés ailleurs. Donc il n’y a aucune raison qu’ils s’expriment sur le sujet. »


#consulat de Russie

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