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À Strasbourg, les prestataires de l’animation se suivent et se ressemblent

En mars, les appels d’offres pour les animations estivales ont été mis en ligne par la Ville de Strasbourg. Mais depuis des années, les mêmes sociétés remportent les illuminations de la Cathédrale et les spectacles d’été. Dans la profession, on grince des dents et on raille le manque de renouvellement de ces spectacles.

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L’homme accoudé de la Cathédrale qui depuis 10 ans voit le même spectacle (Photo Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons / cc)

Depuis dix ans, c’est la même société, Xeos, qui remporte le marché des illuminations de la cathédrale de Strasbourg. Du coup, lorsque l’appel d’offres a été mis en ligne par la Ville fin février, beaucoup d’entreprises du secteur de l’événementiel ne se sont même pas donné la peine de répondre. Un scénographe strasbourgeois explique :

« Les marchés ont été publiés début mars, avec une date limite de remise des dossiers le 18… On laisse donc deux semaines aux candidats pour proposer un spectacle entier, conception et réalisation !? Et l’attribution sera publiée mi-mai, soit à peine deux mois avant le début du spectacle ! C’est ridicule. Soit c’est un manque d’ambition, soit c’est de l’incompétence, soit les attributaires ont déjà été choisis. Et toujours rien sur le Millénaire de la Cathédrale (qui débute à l’automne 2014, ndlr)… À titre de comparaison, je travaille déjà sur des prestations pour la Fête de la Loire en 2015. »

(document remis)

Cette année encore, il y a de fortes chances pour que ce soit Xeos qui illumine les gargouilles et les saints de la cathédrale Notre-Dame. Un marché attribué chaque année pour un peu moins de 90 000€. Pour mémoire, en 2013, ça donnait ça :

Huit entreprises ont interpellé Roland Ries

L’hégémonie de Xeos sur cette prestation estivale emblématique fait des envieux. Mais les professionnels locaux du secteur de la production audiovisuelle ont vraiment vu rouge lorsque Xeos a de nouveau remporté un appel d’offres de Strasbourg, le marché transversal de toutes les prestations sonores et d’éclairage de la Ville pendant trois ans. Pire : en cas de défaut de Xeos, les services de la Ville devront faire appel à une société… d’Épinal.

Les gérants de huit entreprises strasbourgeoises spécialisées dans la production de spectacles (Lagoona, Produc’Son, Loct’Ambule, Alpha Sono, Ultra Son, Audio Light Video, Stand By Events et Audiente) se sont fâchés et ont écrit au maire Roland Ries une lettre dans laquelle ils s’étonnent que leurs sociétés soient « systématiquement évincées » et que Xeos ait été bénéficiaire de « 90% des marchés et contrats lancés par le service animation depuis une dizaine d’années ».

Dans leur lettre, ces professionnels accusaient un prestataire de la Ville, Pascal Kolmer, assistant à maîtrise d’ouvrage, de favoriser Xeos. Devant la violence de la charge, ils ont été reçus au centre administratif par le service animation mercredi 23 avril. Et la réunion a été productive puisqu’à l’issue, tous les griefs s’étaient envolés !

De son côté, Pascal Kolmer analyse froidement la saute d’humeur des professionnels :

« Mon boulot, c’est de régler les aspects pratiques après que la Ville ait choisi un prestataire. Je me retrouve donc à gérer la décision de la Ville mais je n’interviens jamais dans les choix et encore moins dans les commissions d’attribution. D’ailleurs, je ne suis pas fonctionnaire. Je comprends qu’il y ait des rancœurs, mais je connais bien les entreprises du secteur et la réalité est que bien souvent, Xeos est la seule entreprise qui dispose des moyens pour réaliser certaines prestations… »

Gérant de Xeos, Christophe Edel rappelle que ces marchés publics sont âprement disputés :

« Sur les illuminations de la cathédrale, chaque année, nous faisons le choix d’un prix plancher parce que nous profitons de l’exposition que nous procure cet événement qui attire chaque soir pendant deux mois près de 10 000 spectateurs. C’est notre carte de visite, alors oui c’est vrai que c’est difficile pour nos concurrents de s’aligner. Mais ce sont des appels d’offres européens, ils ne sont pas réservés aux Strasbourgeois ! Chaque année, je dois me défendre contre des Allemands, qui ont remporté la sonorisation du concert de la Symphonie des Deux-Rives par exemple. »

Des marchés sclérosés

Autre marché estival important, celui du spectacle sons et lumières, qui se déplace du bassin de la Cité de la musique au Pont Vauban. Là encore, depuis 2009, c’est Aquatique Show qui remporte la mise avec une régularité qui force l’admiration. Mais ça pourrait changer cette année, selon l’aveu même de Dominique Formhals, PDG d’Aquatique Show :

« Le spectacle de jets d’eau, sons et lumières près de Rivétoile, c’est environ 400 000€. Là, le service animation a mis une limite à 200 000€. C’est une manière élégante de nous sortir de ce marché… J’ai quand même fait une offre à 400 000€ parce que je pense que ce spectacle est très apprécié des Strasbourgeois, qui feront le déplacement jusqu’au pont Vauban pour le voir et que ce serait dommage de les décevoir. On a remporté ce marché depuis 2009 parce que la Ville a demandé un “show aquatique” et que je les voyais mal l’attribuer à une autre entreprise qu’Aquatique Show qui est strasbourgeoise. »

Pour un observateur du marché, ces succès à répétition s’expliquent aussi par un certain confort intellectuel au service de l’animation : pourquoi changer une entreprise qui convient, et dont les prestations précédentes ont répondu aux attentes sans accroc ? Choisir un nouveau prestataire pour les Illuminations de la cathédrale, c’est prendre le risque qu’il plante une soirée ou qu’un incident survienne, là où Xeos est rôdé. Pour un scénographe strasbourgeois, cette solution de facilité a conduit à une sclérose des animations à Strasbourg :

« Je remporte des marchés à Belfort, Montbéliard, Saint-Dizier, Nancy… mais j’ai toujours perdu à Strasbourg. Le marché est vérolé. Les cahiers des charges sont d’une telle précision qu’ils désignent presque une entreprise, en imposant des systèmes techniques d’éclairage par exemple ou des types de consoles. Les responsables à l’animation ne veulent prendre aucun risque. Du coup, on copie-colle ce qui s’est fait l’année dernière et voilà. Et surtout, cette ultra-précision bride toute créativité. On ne laisse pas la place au conseil, au regard neuf… »

Mathieu Cahn, adjoint au maire en charge de l’animation, n’a pas souhaité répondre à nos questions sur ce sujet.


#animations estivales

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