Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

En cas de pépin, Strasbourg n’a que deux heures de stock d’eau

Le lieu est ultra-sécurisé, impossible d’aller s’y promener. Le champ de captage du Polygone assure 80% de l’approvisionnement en eau potable de l’agglomération de Strasbourg. En cas d’acte terroriste ou de forte pollution, l’agglomération n’a que 2 ou 3 heures d’autonomie. C’est pourquoi six nouveaux puits seront mis en service à Plobsheim en 2017, après 20 ans de discussions.

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Un puits de captage dans le parc François-1er à Cognac en Charentes (Photo Pierre-Alain Dorange / Flickr / Cc)

Depuis le temps du Kaiser où ils furent creusés, les 11 puits du « champ captant » du Polygone à Strasbourg n’ont jamais été fermés. « Heureusement », souffle à ce propos Henri Bronner, maire de Vendenheim et vice-président de la communauté urbaine de Strasbourg en charge de l’eau et de l’assainissement, car c’est là que sont pompés 80% de la consommation en eau potable de la CUS, directement dans la nappe phréatique ; 80% qui alimentent donc environ 330 000 personnes. Le reste provient de puits à Oberhausbergen (environ 20%), la Robertsau (1%) et Lingosheim (2%), tous en régie publique, c’est à dire gérés directement par la collectivité.

30 000 m³ de stock et ensuite, plus rien au robinet

Or, en cas de forte pollution ou d’acte de malveillance, voire de terrorisme au Polygone, ces puits devraient être fermés en urgence. Dans cette situation (qui ne s’est jamais produite), la CUS n’aurait que 30 000 mètres cubes de stock d’eau à Oberhausbergen, soit 2 ou 3 heures d’autonomie. Moins d’une demie-journée de distribution d’eau, et pas partout, faute de pression suffisante pour alimenter le sud de l’agglomération à partir de la colline d’Ober. Ensuite, plus rien au robinet.

Depuis 1994, la collectivité, qui « doit » à chaque habitant au moins 3 m³ d’eau par jour, a donc adopté un « schéma directeur pour l’alimentation en eau potable », dont l’objectif numéro 1 est de « sécuriser la ressource en eau potable du Polygone et de créer une nouvelle ressource en eau au sud de l’agglomération ».

20 ans pour acter la création de « puits de secours »

C’était il y a 20 ans. Entre temps, le ban communal de Plobsheim a été désigné comme le meilleur endroit pour implanter ce champ captant (2007). Sur le ban de cette commune, de vastes espaces protégés et, sous la forêt et les exploitations agricoles, une nappe « hors des chemins migrants de pollution connus », assure Serge Foresti, directeur de l’environnement et des services urbains à la CUS.

Un programme à 83 millions d’euros est approuvé par l’intercommunalité en 2008 et un forage de reconnaissance est réalisé en 2009. Pourquoi tant d’années ? Gérard Kammerer, maire de Plobsheim depuis 1995, explique :

« Depuis le début, les maires de Nordhouse, d’Erstein et moi-même avons eu de sérieuses réserves sur le débit global [prévu initialement] de 6 000 m³ d’eau à l’heure, qui aurait transformé la forêt de Nordhouse en forêt méditerranéenne. Finalement, après que je sois monté au créneau et que les maires de Nordhouse et d’Erstein aient menacé de porter l’affaire en justice, la CUS a fait marche arrière et le débit à été ramené à 1 000 m³/h. Ce dossier a été un véritable serpent de mer pendant 20 ans… Il aurait fallu trouver cette solution médiane plus tôt. J’espère qu’elle sera respectée. [Même si je ne me représente pas] je reste l’arme au pied. »

Effectivement, ces dernières années, sous la présidence de la CUS de Jacques Bigot, par ailleurs maire PS d’Illkirch-Graffenstaden, le dossier a changé de nature. Les puits de Plobsheim ne pomperont pas autant d’eau que prévu, du moins, pas dans les années à venir. En « fonctionnement normal », 1 030 m³/h seront prélevés dans la nappe, 6 000 uniquement en « fonctionnement de secours ». C’est à dire en cas de défaillance grave des autres puits interconnectés (Polygone, etc.). Les impacts sur l’environnement devraient donc être minorés. La CUS s’engage par ailleurs à mettre en place des mesures de compensation pour 7M€.

La délibération votée par la CUS en février 2014

Car, si le monde agricole a rapidement baissé les armes, constatant que son activité dans le secteur serait peu impactée, les associations de protection de l’environnement restent quant à elles défavorables au projet. Dans un courrier versé au dossier d’enquête publique, qui s’est déroulée du 13 novembre au 13 décembre 2013, Jean-Claude Claverie, président départemental d’Alsace Nature, s’inquiète notamment de ce que les « impacts directs permanents, liés principalement au rabattement de la nappe [ndlr, la baisse de son niveau], ont été déduits d’un modèle mathématique extrapolé à partir d’un seul pompage d’essai de 1 000 m³ pendant 7 jours ».

Il dénonce des compensations écologiques insuffisantes (« ré-inondation de la forêt du Neuhof de toute façon prévue dans le cadre du plan de gestion de la réserve naturelle »), l’injection d’eau du Rhin dans les Giessen de la forêt de Nordhouse (la plus impactée) qui pourrait modifier la qualité de l’eau de la nappe, etc.

Sous-jacente dans ce courrier (à lire en PDF), la crainte que le champ captant de Plobsheim ne soit pas utilisé qu’en cas de secours, notamment au regard de son coût (environ 80 M€), mais qu’il vienne en relais du Polygone d’ici 10 ou 20 ans, avec une dégradation à prévoir des milieux naturels proches. Pour rappel, on trouve non loin de là le polder d’Erstein et la réserve naturelle nationale d’Erstein, le plan d’eau de Plobsheim et des zones forestières classées Natura 2000.

« Un immense château d’eau gratuite et propre »

De leur côté, Serge Foresti et Henri Bronner ne peuvent que rassurer. C’est en tout cas ce qu’ils s’évertuent à faire depuis plusieurs années, mettant en place « une communication de proximité, en allant voir les maires et les associations pour montrer que la CUS ne va pas saccager le secteur ». A l’une des critiques des associations, qui auraient souhaité que soit chiffrée la création d’une usine de purification de l’eau pompée dans le Rhin plutôt que dans la nappe, comme cela se fait dans d’autres villes, Serge Foresti répond :

« Nous avons un immense château d’eau gratuite et propre sous nos pieds. C’est le plus gros réservoir d’eau d’Europe dont nous ne prélevons en Alsace que 5% par an. Pomper dans le Rhin aurait coûté très cher. Economiquement, il n’y avait pas photo ! »

20 ans de suivi scientifique

Alors que la CUS s’engage à piloter un comité de suivi scientifique des effets du pompage du futur champ captant sur l’environnement, et ce pendant 20 ans, la déclaration d’utilité publique du projet devrait être signée par le préfet d’ici l’été, pour un démarrage des travaux l’année prochaine et une mise en service des puits en 2017. Le gros du chantier concernera l’enfouissement des 18 kilomètres de canalisation (2 tuyaux de 1 m de diamètre), qui permettront de relier les puits au réseau existant (voir plan ci-dessous).

Le trajet prévu du nouveau réseau de secours en eau potable entre Plobsheim et le Polygone (doc CUS)

Aller plus loin

Sur Rue89 Strasbourg : le port au menu du dernier conseil de CUS


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