Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Strasbourg : capitale des femmes de pouvoir

Une femme maire, une préfète, une procureure de la République, une cheffe de la police, une rectrice et même une présidente de métropole… Strasbourg est la seule ville de France où ces six postes à hautes responsabilités dans l’échelle administrative sont occupés par des femmes. Un constat réjouissant et affligeant à la fois.

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C’est une idée de sujet qui nous a été soufflée par un policier. « Ici à Strasbourg, on a une femme DDSP, une femme à la Maison d’Arrêt, une femme à la PJ, une femme aux douanes, une femme maire, une proc’, une préfète et je peux continuer hein! ». « Elles sont partout! » s’exclame en riant le fonctionnaire anonyme, qui assure aussitôt que « ça ne change rien pour lui ». Mais forcément, ça nous a titillé. Alors on a creusé.

Strasbourg en tête du classement des 22 métropoles

Nous avons pris les 6 postes clés occupés par des femmes à Strasbourg (maire, président de la métropole, procureur de la république, préfet, directeur départemental de la sécurité publique – c’est à dire le patron de la police au niveau du département – et recteur d’académie), et nous avons regardé, ville par ville, qui était en place. Le classement se limite donc aux 22 métropoles françaises (par ordre alphabétique) : Bordeaux, Brest, Clermont-Ferrand, Dijon, Grenoble, Lille, Lyon, Metz, Montpellier, Nancy, Nantes, Nice, Orléans, Rennes, Rouen, Saint-Etienne, Strasbourg, Toulon, Toulouse, Tours, Marseille, Paris.

  • 1ère au classement : Strasbourg, seule ville avec 6 femmes à ces 6 postes,
  • 2e : Marseille, avec 4 femmes jusqu’en décembre 2020 et la démission de la maire Michèle Rubirola (le poste particulier du préfet de police des Bouches-du-Rhône est également occupé par une femme depuis novembre 2020),
  • 3e : Lille, Bordeaux et Tours, avec 3 femmes sur 6 postes,
  • 4e : Grenoble et Orléans, avec 2 femmes sur 6 postes,
  • 5e : Rennes et Nantes avec une femme à deux postes clés sur 6 (les maires y sont également présidentes de métropole),
  • 6e : Paris, Nice, Montpellier, Dijon, Rouen, Saint-Etienne (1 femme occupe l’un des 6 postes : Anne Hidalgo, maire de Paris, la chef de la police à Nice, la préfète à Saint-Etienne et la rectrice dans les trois autres villes),
  • 7e et dernières au classement avec uniquement des hommes au pouvoir : Lyon, Toulouse, Brest, Clermont-Ferrand, Metz, Nancy, Toulon (avec dans toutes ces villes sauf Lyon, le maire qui est également le président de la métropole).

Et à Strasbourg, ça ne s’arrête pas là. L’Agence régionale du Grand Est est également dirigée par une femme depuis septembre 2020 (Virginie Cayré), la Direction régionale des douanes de Strasbourg depuis juillet 2013 (Christine Durringer), la Direction générale des services de l’Eurométropole et de la Ville (Delphine Joly depuis décembre 2020), la Direction interrégionale de la police judiciaire (DIPJ) du Grand Est (Béatrice Brun depuis septembre 2019) et la Maison d’Arrêt de Strasbourg (Cathy Christophe depuis 2016).

Josiane Chevalier, première préfète du Grand Est et du Bas-Rhin : « Je me sens une responsabilité envers les femmes »

On compte aujourd’hui 109 préfets français (un pour chacun des 101 départements, un préfet pour chaque territoire d’Outre-Mer, ainsi qu’un préfet de Police à Paris et un pour les Bouches-du-Rhône). Parmi eux, 26 sont des femmes soit 23,8%. Même répartition pour les préfets de régions, où l’on compte 3 femmes sur 13, soit 23%.

Josiane Chevalier, 63 ans, est l’une d’entre elles. Elle est d’ailleurs la première femme à occuper le poste de préfet du Grand Est et du Bas-Rhin depuis février 2020.

Josiane Chevalier, première femme préfète du Grand Est et du Bas-Rhin depuis février 2020 (Photo préfecture du Grand Est).

Rue89 Strasbourg : Est-ce que vous en avez marre de ces questions sur les femmes au pouvoir ?

Josiane Chevalier : « Ce sera bien quand on n’en parlera plus, quand on ne remarquera plus que je suis une femme ! C’est la 4e fois que je suis la première femme préfète, donc il y a des progrès. Je ne suis pas une militante féministe mais néanmoins, je me sens une responsabilité particulière envers les femmes, notamment sur la thématique de la vie professionnelle. Oui, il y a encore du chemin à faire, bien sûr, mais ici dans le Grand Est, et à Strasbourg, on voit qu’il y a énormément de femmes en responsabilité. C’est un bel exemple à suivre, pour moi ça doit donner un signe aux jeunes filles dans leur orientation : il faut oser. »

Rue89 Strasbourg : Est-ce que votre manière de travailler est différente, au vu des nombreuses autres femmes occupant des postes à responsabilités ?

J. C. : « Non, pour moi la méthode de travail est exactement la même avec des femmes et avec des hommes. Après, oui, quand on est toutes les quatre, avec la maire, la présidente de la métropole et Delphine Joly aussi (directrice générale des services de l’Eurométropole et de la Ville), qui nous a beaucoup aidé sur la crise sanitaire, le courant passe bien, c’est sûr. Mais il passe aussi avec mes interlocuteurs masculins ! »

Jeanne Barséghian, la 3e femme à être élue maire de la ville : « On sait toutes d’où l’on vient »

C’est un chiffre qui augmente, tout doucement. 13,9% des maires en 2008 étaient des femmes, 16 % en 2014. Elles sont désormais 19,8% soit 6 913 sur 34 888 selon l’Association des maires de France. Mille communes supplémentaires sont désormais dirigées par des femmes depuis près d’un an, et il y a 11 femmes maires sur les 42 communes de plus de 100 000 habitants.

Mais à l’inverse de Marseille, qui n’avait jamais été dirigée par une femme avant l’arrivée de Michèle Rubirola (le Printemps marseillais), Strasbourg n’en était pas à son coup d’essai avec Jeanne Barseghian. Catherine Trautmann (PS) a en effet occupé cette fonction de 1989 à 2001, puis Fabienne Keller (UMP puis LR) de 2001 à 2008.

À noter qu’en décembre 2020, la maire de Marseille a démissionné, laissant son poste à son premier adjoint Benoît Payan (PS). Strasbourg reste aux côtés de Lille, Nantes et Paris, l’une des quatre villes de plus de 200 000 habitants dirigées par une femme.

Jeanne Barseghian, maire EELV de Strasbourg depuis juin 2020, est la troisième femme à occuper ce poste (Photo Pascal Bastien / Divergence).

Rue89 Strasbourg : Est-ce que les femmes sont différentes dans l’exercice du pouvoir ? 

Jeanne Barseghian : « Je n’ai pas une vision essentialiste, je ne pense pas que par nature les femmes soient plus douces, plus à l’écoute, ou moins ambitieuses. En revanche, les inégalités existent, et nous le savons, nous l’avons vécu. On sera donc plus vigilantes à intégrer ces inégalités dans notre manière de travailler. Par exemple, sur la concertation citoyenne au sujet de la ZFE (zone à faible émission, ndlr), on veut absolument recueillir la parole des femmes. Souvent, elles ont moins le temps de participer aux instances de démocratie locale. Elles assument 75% des tâches ménagères, elles accompagnent les enfants à l’école et donc ça modifie leur disponibilité. Là, on sait qu’on va devoir aller recueillir leur parole spécifiquement et réfléchir à des moyens de mobilité qui répondent à leurs demandes précises. »

Rue89 Strasbourg : Est-ce que votre manière de travailler est différente, au vu des nombreuses autres femmes occupant des postes importants ?

J. B. : « Oui, forcément, il y a des différences d’ambiance entre les réunions où il n’y a que des femmes et celles où il y a beaucoup d’hommes. Dans nos échanges, on a toutes en tête qu’on a eu un parcours particulier en tant que femme pour arriver à ces places. On sait qu’il y a des difficultés, qu’on a eu des plafonds de verre à percer. C’est cette prise de conscience qui change la tonalité des réunions. Ce sont des rapports où il y a moins de compétition et plus de coopération, mais ce n’est pas masculin / féminin, ce sont nos parcours qui nous ont appris à faire preuve d’humilité et à savoir d’où l’on vient. »

Pia Imbs, première présidente de l’Eurométropole : « Nous avons la même approche du pouvoir »

Elles sont, elles aussi, seulement quatre. Quatre femmes à la tête d’une métropole en France (EPCI ou établissement public de coopération intercommunale regroupant des territoires de plus de 400 000 habitants). Sur 22, ça fait peu… 18%. Parmi ces quatre femmes, deux (Johanna Rolland et Nathalie Appere) sont également maires de la ville centre de la métropole (Nantes et Rennes en l’occurrence).

Pia Imbs, présidente de l’Eurométropole (Photo Jérôme Dorkel / Ville et Eurométropole de Strasbourg).

À 61 ans, Pia Imbs, maire sans étiquette de Holtzheim depuis 2014 (commune de moins de 4 000 habitants), a succédé à Robert Hermann (PS) en juin 2020, devenant la première femme à la tête de l’Eurométropole depuis sa création en janvier 2015.

Rue89 Strasbourg : Que pensez-vous de toutes ces femmes à vos côtés, qui occupent ces postes à hautes responsabilités dans la ville et la région ?

Pia Imbs : « Ça donne le vertige ! Après l’élection, j’ai vérifié, j’ai cherché combien de femmes étaient présidentes de métropoles. Je constate en effet qu’on est très loin de l’équilibre. J’en ai fait de même quand j’ai été élue maire en 2014, même si depuis la situation s’est améliorée. C’est un point important pour moi, parce que je suis convaincue que le plafond de verre fonctionne, et que beaucoup de femmes n’osent pas. »

Rue89 Strasbourg : Est-ce que votre manière de travailler est différente, au vu des nombreuses autres femmes occupant ces postes ?

P. I. : « Les femmes, je crois, ont souvent une autre approche du pouvoir. En ce qui me concerne, je le vis comme une responsabilité et non pas comme une position hiérarchique où je me considérerais au sommet, ou pour exercer une certaine autorité. Et je pense déceler auprès des autres femmes en poste ici, cette même approche. Je ne tiens pas à schématiser et à dire que les hommes sont dans une dynamique de pouvoir, mais moi je suis dans une logique de responsabilités. Aujourd’hui, les relations sont très fluides, hommes ou femmes, et oui, peut être qu’il y a un peu plus de connivences entre nous, mais c’est aussi une question de personnalités ! »

Elisabeth Laporte, 4e rectrice de l’Académie de Strasbourg : « Nous avons une considération mutuelle entre nous »

Le poste de recteur est beaucoup plus féminisé en France que les 5 autres listés dans cet article. En effet, sur 32 recteurs d’académie, 17 sont des femmes, soit 53%. Ainsi à Strasbourg, Elisabeth Laporte a pris la place en février 2020 d’une autre femme, Sophie Béjean, qui occupait le poste de rectrice depuis 2016. Toutefois, elle est seulement la 4e femme sur les 13 recteurs de l’Académie de Strasbourg qui se sont succédé depuis 1970 (la première rectrice femme de l’Académie a été nommée en 2008).

Elisabeth Laporte est la 4e rectrice de l’Académie de Strasbourg depuis 1970 (Photo J.F. Badias / Rectorat de Strasbourg).

Rue89 Strasbourg : Pourquoi le poste de recteur est-il plus souvent occupé par une femme que par un homme (53% de rectrices au niveau national) ?

Elisabeth Laporte : « Cela a changé ! Traditionnellement, c’était une affaire d’homme l’éducation. La féminisation est récente, elle date de la démocratisation de l’enseignement, et la féminisation est surtout marquée dans le 1er degré. Au niveau des recteurs, il y a une parité homme / femme, mais si vous regardez les inspecteurs d’académie : il y a plus d’hommes, les proviseurs de grands lycées : plus d’hommes aussi… Donc aujourd’hui il y a une volonté du ministère de l’Éducation d’être sur cet objectif de parité, et c’est très bien. Il faut que ça continue ! Je suis la 4e rectrice ici en 13 ans, c’est plutôt bien ! »

Rue89 Strasbourg : Est-ce que votre manière de travailler est différente, au vu des nombreuses autres femmes occupant ces postes ?

E. L. : « Nous sommes six femmes, avec des personnalités différentes, mais je pense que nous savons ce que nous devons à notre travail, pour arriver à ces postes. C’est ce qui nourrit aussi cette considération mutuelle. Je ne pense pas que ça change concrètement quelque chose dans nos réunions. En revanche, le parcours antérieur, notre travail, notre détermination qui nous ont permis d’être à ces fonctions, oui, ça crée du lien. Parce qu’une femme, plus qu’un homme, doit apporter certaines preuves, certaines garanties. »

Pour la première fois à Strasbourg : une procureure de la République et une DDSP

La procureure de la République, Yolande Renzi, est la première femme à occuper ce poste depuis 2017 (photo JFG / Rue89 Strasbourg).

Arrivée en septembre 2017, Yolande Renzi est également la première femme à occuper le poste de procureure de la République. En France, elles sont 53 sur 168 (en comptant également les procureurs des parquets financier et antiterroriste) soit 31,5% selon les chiffres communiqués par le ministère de la Justice.

Annie Brégal est la première femme nommée à la tête de la Direction départementale de la Sécurité Publique (DDSP) du Bas-Rhin (Photo Police Nationale).

Enfin, depuis mars 2019, une femme est également à la tête de la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP). Annie Brégal est responsable des 1 200 policiers affectés à la sécurité publique du Bas-Rhin. C’est la première fois qu’une femme occupe ce poste à Strasbourg. Selon la police nationale, 19 femmes sont DDSP en France, sur 100 au total, soit 19%.

Annie Brégal et Yolande Renzi n’étaient pas disponibles pour répondre à nos questions.


#égalité homme-femme

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