Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Strasbourg aime ses étudiants, l’inverse est moins évident

Ils sont 52 000 étudiants à Strasbourg, dont 42 000 pour la seule Université. Depuis 2010, la municipalité les accueille à grands renforts de soirées à thèmes, entre autres. Mais en dépit de son attractivité et de la qualité de son université, la capitale alsacienne loge difficilement ses étudiants et subit une fuite des cerveaux chez les plus diplômés. Malgré une offre culturelle d’ampleur, la ville fait de plus figure de « belle endormie » la nuit face à des métropoles comme Toulouse ou Grenoble. Strasbourg est-elle sur la pente descendante auprès des jeunes ? Rue89 Strasbourg s’est penché sur la question.

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Le parvis de la Faculté de Droit Robert Schuman accueille à chaque rentrée le Village des Services : Sport, Vie Étudiante, Numérique, Relations Internationales, Médecine préventive, CROUS et… "Strasbourg aime ses étudiants". (Photo P. Bogner/CUS)

Comme tous les ans à la mi-septembre, c’était le branle-bas de combat de la rentrée universitaire. Et la capitale alsacienne n’a pas fait exception. Avec 6 000 nouveaux étudiants, qui sont venus grossir en 2012 les rangs des différents campus de l’université de Strasbourg (Esplanade, Médecine, Cronenbourg, Illkirch, Haguenau, Sélestat, Wissembourg et Colmar) et qu’il fallu accueillir comme il se doit, les facs et les écoles strasbourgeoises ont eu du pain sur la planche.

Dans cet exercice récurrent, l’Alsace a été à certains égards une région pionnière. L’arrivée de la carte culture en 1992 en est un exemple. Avec ce pass, désormais passé à la postérité, les étudiants bénéficient de tarifs très avantageux pour voir des spectacles, des festivals, des films, et visiter des expositions dans plus de 260 musées, parcs, châteaux et jardins du Bas-Rhin et de l’espace transfrontalier (Alsace, Franche-Comté, Allemagne et Suisse).

La mairie tente de rattraper son retard auprès des jeunes

La Ville de Strasbourg a néanmoins attendu 2010 pour s’impliquer plus profondément dans la réception des étudiants. Car jusqu’à cette année-là, malgré l’existence d’un adjoint en charge des universités, celle-ci était majoritairement assurée par les établissements d’enseignement supérieur et les associations.

Ainsi est né « Strasbourg aime ses étudiants », fruit d’un travail mené conjointement par la mairie, les associations, l’université de Strasbourg et le SVU (Service de la vie universitaire), entre autres. Aux facs l’accueil administratif à travers l’Agora de l’Etudiant, aux assos les infos pratiques sur le logement, les restos U, les sorties, les aides financières… La Ville assure quant à elle la communication et la logistique de la manifestation.

L'"amour" pour les étudiants est visible à tous les lieux stratégiques, comme ici à un arrêt de tram. (Photo JLP)

Thibaut Klein, étudiant en biologie originaire d’Haguenau et président de l’Afges (Association fédérative générale des étudiants de Strasbourg), présente depuis 1924 auprès des étudiants strasbourgeois, apprécie l’irruption de la Ville dans l’accueil des bizuts :

« Nous organisons nos propres évènements de rentrée depuis de nombreuses années : séances de cinéma, barbecues gratuits, visites de la ville et du campus…et ceux-ci rentrent dans le cadre de l’opération. L’avantage de « Strasbourg aime ses étudiants », c’est de leur donner une plus grande visibilité afin de les ouvrir au plus grand nombre. »

Auparavant organisée jusqu’au début du mois d’octobre, la manifestation s’étend désormais sur l’ensemble de l’année universitaire. En 2011, entre 8 000 et 10 000 personnes ont été au rendez-vous.

Paul Meyer, adjoint chargé de la vie étudiante à la Ville de Strasbourg, explique l’intérêt de cette nouvelle formule :

« Il s’agit d’assurer un lien régulier avec les étudiants, qui ne doit pas se limiter à la période de rentrée comme c’était le cas pour les deux premières éditions. Car certains d’entre eux, comme les juristes, ne recommencent qu’en décembre-janvier. De manière globale, « Strasbourg aime ses étudiants » est une interface entre les étudiants, les personnels universitaires et la Ville en elle-même. »

La ville attire des étudiants, mais les garde plus difficilement

Forte de son étiquette de capitale européenne et de sa réputation d’ouverture sur le monde, Strasbourg accueille plus de 20 %  d’étudiants internationaux, soit environ 9 000 sur les 42 000 que compte la l’Université, 10 000 de plus en comptant les différentes écoles. Ce qui en fait la première ville universitaire de France pour l’attraction des étudiants étrangers après Paris. Une récente enquête de l’Afges appuie ce constat et montre que 41 % des étudiants viennent d’un autre département français (27 %) ou de l’étranger (14 %) pour faire des études en Alsace.

Certaines écoles, grâce à leur reconnaissance au niveau national, maintiennent un nombre élevé de candidats pour leur concours d’entrée malgré un numerus clausus serré. À l’Hear (Haute-Ecole des arts du Rhin, ex-Esads), 1053 postulants se sont présentés en 2012 pour 65 places en 1ère année, soit 16,2 % d’admis. Au Cuej (Centre universitaire d’enseignement du journalisme), l’une des 13 écoles de journalisme de référence en France, 551 étudiants ont planché pour 46 places en M1, soit 11,97 % des inscrits.

De plus, dans d’autres établissements, les anciens poussent l’attirance jusqu’à travailler à Strasbourg ou dans sa région après leur cursus. Exemple frappant : 75 % des titulaires d’un master de l’EM Strasbourg (Ecole de management), hors programme Grande Ecole à spécificité internationale, occupent un emploi en Alsace.

Mais quelques points noirs sont à noter. Premier d’entre eux : le logement. 67 % des étudiants strasbourgeois ont confié à l’Afges avoir rencontré beaucoup de difficultés pour trouver un toit, loin devant les autres villes universitaires de l’académie : 38 % tout de même à Colmar, 25 % à Mulhouse et 21 % à Haguenau.

Avec près de 2 700 enseignants-chercheurs et environ 43 000 étudiants, l'Université de Strasbourg est la plus importante du pays en termes d'étudiants et d'enseignants. (Photo Jonathan Martz / FlickR / CC)

Qui plus est, le loyer étudiant moyen à Strasbourg est de 404 euros charges comprises, un tarif élevé compte tenu de la faiblesse des budgets étudiants et malgré les aides des parents. En 2011, celui-ci s’élevait à 369 euros sur l’ensemble des logements de la capitale alsacienne. Enfin, toujours selon l’Afges, les étudiants doivent s’armer de patience s’ils veulent disposer d’un toit à Strasbourg : 37,5 jours de temps de recherche, contre trois semaines en moyenne dans le reste de la France.

Plusieurs autres enquêtes, réalisées par l’Oresipe (Observatoire régional de l’Enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle des étudiants), enfoncent le clou et montrent que le devenir de nombreux étudiants, après une licence, un master ou un doctorat, ne se joue pas prioritairement à Strasbourg.

Selon l’organisme, 38% des étudiants diplômés d’un master de l’Université de Strasbourg en 2007 trouvent un emploi dans la région. Le reste (44%) s’installe en France, mais hors d’Alsace. Chez les doctorants, la tendance est encore plus marquée. Ces derniers quittent majoritairement Strasbourg et la France une fois leur thèse soutenue. Au 1er janvier 2011, 60 % des diplômés en Alsace en 2008 exerçaient une activité de recherche post-doctorale à l’étranger, et deux docteurs sur cinq étaient employés en dehors de l’Hexagone.

Explication : les 2/3 d’entre eux, originaires d’Asie ou d’Afrique, privilégient les destinations comme les États-Unis, où la valeur des centres de recherche comme le MIT n’est plus à prouver, et la Suisse, où la réputation du CERN, entre autres, les incite vivement à poser leurs bagages. Strasbourg, malgré ses deux prix Nobel – Jules Hoffman (Médecine en 2011) et Jean-Marie Lehn – (Chimie en 1987), son programme doctoral international et son « campus d’excellence », peine à les retenir.

La nuit, les étudiants s’ennuient

Autre problème, on ne peut pas dire que Strasbourg soit un repaire de noctambules. Hormis le Retro, le Living Room et le Barco Latino, pour les plus connus d’entre eux, les discothèques et bars ouvrant tard ont du mal à s’imposer dans la capitale alsacienne.

Et au grand dam de ceux qui n’ont ni permis de conduire, ni vélo, ni abonnement Vel’Hop ou qui ont tout simplement pris un verre de trop, le tram s’arrête aux alentours de 0h30. Un horaire qui oblige les jeunes à écourter sensiblement leurs soirées ou à attendre le lever du jour pour ne pas rentrer chez eux à pied.

David M., arrivé en septembre 2011 au Cuej après une licence d’Histoire à Grenoble, confie avoir eu plus de difficultés que dans la capitale des Alpes pour trouver de quoi s’amuser :

« A Grenoble-même, il y a plein de bars sympas en centre-ville, et le tram fonctionne jusqu’à 1h30 du matin. Ici, il y a plus de restos que d’endroits « festifs » et la dernière rame ne circule jamais au-delà de 0h30. J’ai vraiment ressenti la différence de culture et d’ambiance entre Grenoble et Strasbourg. »

Des propos qui expliquent peut-être pourquoi, au dernier classement du magazine l’Etudiant sur les villes où il fait bon étudier, en France, Strasbourg se retrouve à une sombre 19ème place sur 20 pour le volet sorties. En guise de réponse, la Ville a décidé d’étendre la  ligne de bus de nuit au jeudi, entre Robertstau-Boecklin et le campus d’Illkirch.

Alors que se déroulent les premières soirées de l'année universitaire, la Ville avertit les noctambules : ne faites pas la fête trop fort. Les étudiants apprécieront. (Photo JLP)

Mauvaise nouvelle supplémentaire pour les fêtards, la Ville de Strasbourg a annoncé à la mi-août qu’elle souhaite agrandir dans les mois à venir, à l’aide d’arrêtés municipaux, la zone d’interdiction de consommation d’alcool sur la voie publique de 22h à 5h du matin à proximité des bars de la Grand’Rue, de la rue des Grandes-Arcades, de la rue du Maire-Kuss et du secteur de la place Saint-Etienne. Une mesure en vigueur depuis mai dernier au parc de l’Orangerie et place de la République. Les contrevenants risquent 38€ d’amende.

Strasbourg peut heureusement compter sur une palette culturelle d’envergure. Avec des salles de spectacle comme le Zénith, la Laiterie et le TNS, des lieux d’expérimentation comme la « zone artistique temporaire » de la Meinau ou celle de la tour Seegmuller – liste non exhaustive – , l’offre proposée aux jeunes est l’une des plus foisonnantes de France. Strasbourg organise environ 9 000 manifestations culturelles par an. La Ville consacre un quart de son budget à la culture, soit environ 77 millions d’euros.

Mais avant de figurer un jour au top des villes étudiantes les plus attractives de l’Hexagone comme Toulouse, Grenoble, Montpellier, Aix-Marseille ou Lyon, qui occupent les cinq premières places, la capitale alsacienne, classée seulement 11ème, doit faire trois efforts indispensables : faciliter l’accès au logement pour les jeunes, savoir garder ses étudiants les plus brillants et faire oublier sa réputation de ville de couche-tôt qui lui colle à la peau.

Sur le site de l’Afges : Enquête sur les conditions de vie étudiante en Alsace (PDF, 2012)


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